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RDC: Les secrets derrière les contrats Milvest

Milvest, un nom ronflant depuis quelques années en RD-Congo. Méconnue de la population kino-congolaise au début des années 2020, l’entreprise turque a gagné plusieurs marchés publics ces trois dernières années… au nom de la République et d’une… certaine amitié. Du Centre financier à Kin Arena, en passant par l’aéroport international de N’Djili, le groupe dirigé par le milliardaire turc Thuran Mildon a tout raflé ou presque. Le 11 juillet, au cours d’une interview exclusive au duo Jeanric Umande et Achille Kadima représentant Ouragan et AfricaNews, le boss de Milvest en personne s’est livré : sa prédisposition à préfinancer elle-même grâce à des montages financiers pour se faire rembourser plus tard.

Mais il paraît n’avoir pas dit totalement la vérité tant de zones d’ombre, finalement éclairées après recoupements et consultations d’une série de correspondances, avec des responsables tenus à l’écart. Il reste encore beaucoup à dire, à découvrir sur les marchés Milvest. Après les premiers mystères percés, le constat est éloquent: aucun chantier n’est totalement achevé à ce jour, même pas le Centre financier dont une partie a été inaugurée en décembre dernier en clôture de la campagne électorale. Thuran Mildon justifie l’arrêt des travaux par le blocage des containers des équipements et matériels par l’administration.

Seulement, les faits font mentir l’investisseur. D’abord, Milvest semble n’avoir pas financé les projets. Des documents confirment le décaissement de près de 520 millions de dollars du Trésor public au profit du groupe turc. Aussi, l’arrêt des travaux semble ne pas être dû aux raisons évoquées par le milliardaire turc. L’étrange coïncidence entre l’interruption des travaux dans les chantiers Milvest et le blocage de certains paiements en faveur de l’entreprise turque laisse planer le doute sur la version de Thuran Mildon. Interview.

Bonjour Monsieur Turhan Mildon. Voudriez-vous présenter la société Milvest ?

Bonjour. La société Milvest s’est installée en République démocratique du Congo en 2021, après une rencontre que j’ai eue à Istanbul avec le président Félix Tshisekedi grâce au président de mon pays, Recep Tayyip Erdogan. J’ai pu présenter notre projet au président Tshisekedi au cours de cette rencontre. Milvest est une branche de notre société mère, Miller Holding, un groupe initialement spécialisé dans la construction, créé il y a 60 ans par mon grand-père, passé ensuite sous la gestion de mon père avant la mienne propre.

Nous sommes présents dans onze pays à travers le monde. Mais la République démocratique du Congo, où nous avons commencé par la construction, est la plus importante actuellement. C’est ici que nous avons fait notre plus gros investissement à travers 14 projets avec le gouvernement de la République, avec le soutien du président Tshisekedi. De tous ces projets, le Centre financier a un très grand impact et a récolté un grand succès. Après son inauguration en décembre 2023, j’ai personnellement reçu les messages de félicitations de sept chefs d’État.

Malgré la forte prédominance de la politique dans les débats économiques et les affaires, je suis depuis l’indépendance du pays le plus grand investisseur privé qui ait mis plus de mises directes dans les projets à caractère public. Nous avons financé et érigé le Centre financier, le Centre de congrès, le projet Arena. Nous sommes présents dans les projets routiers, des logements sociaux, de transport électrique et ou bientôt d’infrastructures aéroportuaires.

Pourquoi dites-vous que la République démocratique du Congo est la plus importante ?

Je l’ai dit tantôt. Depuis l’indépendance, aucun homme d’affaires n’a fait autant d’investissements directs que moi dans un temps aussi record. J’ai investi coup sur coup plus de 400 millions de dollars en attendant que l’État commence à rembourser, pour un total de 14 projets qui emploient 9.000 personnes dont la société assure les salaires, les soins médicaux et le logement.

Avec les projets déjà finis, l’État me doit 147 millions de dollars. J’ai investi 100 millions de dollars en machines et autres équipements. La centrale à béton, la carrière et autres m’ont coûté 150 millions de dollars. L’Arena a déjà englouti 68 millions de dollars contre plus de 100 millions de dollars dans l’immobilier. Tous ces financements sont documentés, donc traçables. En ce qui concerne le Centre financier, l’État a payé ses 15% d’avance comme stipulé dans le contrat mais, jusqu’à son inauguration en décembre dernier, je n’ai rien reçu en retour.

C’est vous qui avez financé tous ces projets ou c’est le gouvernement de la République ?

C’est moi qui ai financé et j’attends que l’État commence à rembourser. Ce que je dis est vérifiable au ministère du Budget, au ministère des Finances et à la Banque centrale du Congo. J’ai financé parce que je crois en l’avenir de la République démocratique du Congo, parce que je crois au président Félix Tshisekedi. Je fais tout ça malgré la campagne des luttes politiques dont ma société est la cible. Mais ce qui arrive, est malheureux pour le pays. Le chien aboie, la caravane passe, dit l’adage. Je crois que les nouveaux projets continueront malgré tout.

Peut-on connaître la nature des montages financiers derrière tous ces projets ?

Alors que l’État éprouve encore des difficultés financières, j’ai pu, après d’âpres négociations avec les banques, obtenir des financements pour différents projets. Pour le Centre financier, par exemple, j’ai réussi à ramener à l’État un crédit d’une période de sept ans. L’État ne va rien payer les deux premières années et les cinq années suivantes seront payées grâce à la mise en location des appartements, bureaux et autres pièces du Centre financier qui reste donc la propriété de la République démocratique du Congo. C’est le même modèle pour le Centre des congrès et les autres projets.

Pour Arena, j’ai déjà payé 68 millions de dollars contre rien de la part de l’État. L’ouvrage devait être mis en service dans les délais mais le chantier a connu du retard à cause d’une certaine administration qui bloque du matériel et exige le paiement de certaines taxes alors qu’il s’agit d’un projet éminemment public. C’est paradoxal. C’est contreproductif. Ça dessert le pays et son dirigeant. À ce jour, 1300 containers sont bloqués au port de Matadi et un navire en mouillage avec 400 autres containers chargés, pourtant destinés à cet autre important chantier!

Mais pourquoi avoir laissé la rumeur et les contrevérités s’amplifier face à toutes ces évidences ?

Milvest et sa maison mère ont 60 ans d’activités. Je n’ai personnellement pas l’habitude de parler dans la presse. Je n’ai jamais eu autant d’opportunités de m’exprimer comme je le fais en République démocratique du Congo. Je préfère faire parler le savoir-faire de nos sociétés, notre sérieux et la qualité de nos réalisations. Le reste ce n’est pas mon débat.

Mais les accusations de compromission se multiplient contre vous…

Je sais que le Congolais est humain. J’aime le pays et son peuple. Mais je mets un bémol. Tout ici est lié à la lutte politique et l’argent. Moi je n’ai pas ce temps-là. Je suis milliardaire avant de venir en République démocratique du Congo. Je n’ai pas de temps à perdre avec les conneries. C’est pourquoi je garde mon silence.

Qu’est devenu le projet du nouvel aéroport international de Kinshasa ?

C’est un projet à part. La structure de départ a été faite sous le président honoraire Joseph Kabila pour 700 millions de dollars que l’État devrait entièrement financer. À ma première réunion avec le président Tshisekedi, je lui avais dit que j’avais tout aimé à Kinshasa à l’exception de la qualité de son aéroport international. Je lui avais soumis l’idée d’un nouveau projet dans lequel l’État n’allait rien dépenser mais entièrement financé à plus d’un milliard de dollars par les privés et dont le remboursement se ferait grâce aux revenus issus de l’exploitation après une échéance acceptée par les parties.

L’idée l’avait enchanté. Le gouvernement a recherché en vain ce financement privé. Je me suis finalement prononcé pour financer cet important projet. Le travail final initié avec le gouvernement Sama vient d’être présenté à la nouvelle équipe dirigée par la Première ministre Suminwa. Les travaux pourraient débuter au mois d’août de cette année.

Mais il y aussi le projet Téléphérique de Kinshasa…

Il s’agit là d’un projet entre l’État et le groupe français POMA. Ce n’est pas un projet Milvest. POMA a pris l’initiative de nous contacter pour envisager de travailler ensemble parce qu’il n’a pas un personnel et des équipements sur place. Un contrat a été signé mais l’État et POMA n’ont pas pu faire avancer le projet. À ce stade, je ne peux rien faire à mon niveau parce que je n’en suis pas l’initiateur. Je sais que les discussions continuent. J’observe.

Quels sont vos rapports avec l’ancien ministre des Finances Nicolas Kazadi ?

J’ai rencontré pour la première fois le président Tshisekedi à Istanbul chez le président Erdogan. Je l’ai vu pour la deuxième fois à Kinshasa, à son invitation. J’ai également vu le même jour l’ancien ministre des Finances Nicolas Kazadi et mon frère Amadou Diaby, que je connais depuis longtemps en dehors de la République démocratique du Congo. Nous avons tous participé à une réunion autour du président de la République.

Petite anecdote: Nicolas Kazadi était quelque peu réticent après la présentation de mes projets. Mais, convaincu après notre rencontre grâce au président Erdogan, le président Tshisekedi m’a fait confiance et a demandé à Nicolas Kazadi de faire le suivi des projets Milvest et lui faire régulièrement rapport. Donc entre Nicolas Kazadi et moi, c’étaient des relations entre un investisseur et un membre du gouvernement en charge du secteur des finances.

Ça n’a jamais été une relation personnelle ou une relation d’argent au détriment de l’État. On a travaillé ensemble pour des projets d’intérêt public. Les gens de mauvaise foi nous ont soupçonnés sans preuve de gagner des millions ensemble dans ces projets. Et c’est ça l’origine de la vile campagne contre Milvest. On voit Nicolas dans tous les projets Milvest. Après lui, on verra certainement son successeur, le ministre Doudou Fwamba (Rires)…

Je n’ai pas encore gagné un seul dollar de mon énorme investissement en République démocratique du Congo et je n’ai donc pas un seul dollar à faire gagner à quiconque.

Mais vous prêtiez régulièrement votre avion à Nicolas Kazadi ?

Je peux vous dire qu’il n’était pas le seul à avoir utilisé cet appareil. D’autres responsables politiques ont également recouru à ce jet sans émouvoir personne. En avril dernier, quand Nicolas Kazadi a été débarqué à Ndjili, il y avait quatre autres ministres à bord. Je suis aujourd’hui citoyen de la République démocratique du Congo de par mon investissement et mon amour pour le pays, j’aide juste tout le monde qui me le demande.

FAITS : Cet acte pourrait justement être considéré comme de la corruption. Un privé qui cherche des contrats avec l’État congolais et qui met son jet à disposition de différents ministres, n’est pas un fait anodin dont il peut être fier. Il nous revient par nos contacts à la DGM que le ministre qui l’a le plus utilisé est l’ancien argentier national, pour aller à Paris, en Turquie, à Abu Dhabi, Mbujimayi, etc…

Êtes-vous sûr de pouvoir récupérer l’argent que vous investissez malgré les luttes politiques que vous évoquez ?

Je ne suis pas un politique. Ça ne m’intéresse pas. J’ai confiance en la République démocratique du Congo, ses dirigeants et son peuple. Je fais confiance au président Tshisekedi et c’est ce qui justifie mon engagement et mon assurance. Je sais que ça ne sera pas facile mais le modèle de remboursement mis en place me permet de croire. J’ai un principe dans la vie : je vis pour mon honneur et l’honneur de mon pays, la Turquie. Quand je donne ma parole, je la tiens toujours. La République démocratique du Congo, aujourd’hui ma seconde patrie, peut compter sur moi. Je ne suis pas venu ici pour des actes compromettants.

Avec Jeanric UMANDE

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