Discriminées à cause leur appartenance sociale et, en plus, de leur sexe, les jeunes diplômées pygmées doivent également affronter le chômage. Entre la lutte contre la discrimination et les difficultés d’accéder à l’emploi, le respect de la Convention 111 ainsi que la ratification de la Convention 169 de l’OIT par le gouvernement de la RD-Congo sont devenus une question existentielle pour les jeunes filles pygmées «éduquées». Reportage.
Tous les lundi et mercredi de la semaine, Bibiche s’est imposé une tache: contacter les entreprises où elle a déposé son curriculum vitae, puis consulter les sites Internet des agences de placement. C’est depuis trois ans que cette jeune diplômée en Sciences économiques de l’Université de Kinshasa refait le même exercice, tel un rituel. «Je suis habituée à me battre et sais aussi que cette situation va s’améliorer», se fortifie Bibiche, pygmée issu de la communauté Twa de l’actuelle Province de l’Ituri, dans la partie Est de la RD-Congo.
En décembre 2015, une société de télécommunications l’a contactée pour un entretien d’embauche. Mais, cela n’a pas été concluant. «J’avais vite compris, au cours de l’entretien, que j’étais, pour les recruteurs, une sorte d’antithèse de théories répondues chez les bantoues sur les pygmées», explique-t-elle, en ajoutant qu’ils ne l’ont pas interrogée sur ses compétences, mais plutôt sur sa communauté. «Ils ne s’imaginaient pas qu’une fille Twa pouvait être diplômée et compétente. C’est triste!», regrette Bibiche, 32 ans.
Discrimination à cause du genre
Si en RD-Congo, le chômage l’emporte depuis plusieurs décennies sur l’emploi et que le taux d’activités des jeunes entre 15 et 24 ans n’est que 23,9% en milieu urbain et 40,4% en milieu rural, rapporte une récente enquête du Programme des Nations unies sur le développement -PNUD-, la situation devient exaspérante pour les communautés pygmées. Les jeunes filles diplômées doivent non seulement faire face aux stéréotypes, mais également affronter une discrimination supplémentaire sur le marché du travail et à l’intérieur de leur communauté à cause du genre parce qu’elles sont des femmes. Simplement!
«Les pygmées sont exclus de la gestion des affaires publiques, alors que nous sommes les premiers habitants de ce pays. Certains ont étudié et décroché des diplômes universitaires, mais leurs compétences ne sont jamais reconnues à juste titre. Ils sont peu nombreux à décrocher des postes à responsabilités. Lorsqu’on est une femme, c’est encore plus compliqué», regrette Prunelle, pygmée issue de la communauté Twa qui se souvient que ses camarades de l’université l’appelaient «éduquée». Sans doute, ils faisaient allusion à l’appellation des noirs «civilisés» qui fréquentaient les colons belges.
Les associations des Droits de l’homme et de protection des Droits des peuples autochtones estiment que la situation de précarité de ces communautés est une affaire de volonté politique. La RD-Congo a signé et ratifié les Conventions 111 de l’OIT relative à la discrimination -emploi et profession. Mais, son application est loin d’être évidente.
Peuples autochtones sur un même pied d’égalité
En 2015, la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations -CEARC-, à travers ses observations au sujet de la Convention 111, a demandé au gouvernement de prendre des mesures concrètes afin de permettre aux peuples autochtones d’accéder, sur un pied d’égalité avec les autres membres de la population, à tous les niveaux d’enseignement et formation professionnelle, à l’emploi et aux ressources leur permettant d’exercer leurs activités.
La Commission a également prié les autorités de Kinshasa d’accorder une attention particulière aux femmes autochtones qui doivent affronter une discrimination supplémentaire sur le marché du travail et à l’intérieur de leur communauté parce qu’elles sont des femmes.
Du côté du ministère RD-congolais du Travail et Prévoyance sociale, allusion est faite à la mise en place du Programme national pour l’emploi des jeunes ainsi que le programme Emploi-Diplômé. «Ce sont des signes que les autorités veulent résoudre cette question du chômage pour tous les RD-congolais, y compris les peuples autochtones».
Entre 250.000 et 600.000 pygmées en RD-Congo
Pour de nombreuses associations de lutte des droits des peuples autochtones, le respect de la Convention 111 ainsi que la ratification de la Convention 169 de l’OIT sont une question de survie pour la plupart des jeunes filles pygmées «éduquées». «Je ne vois pas une vraie volonté politique de combattre les stéréotypes à travers des campagnes de sensibilisation», commentent-ils.
La RD-Congo abrite entre 250.000 et 600.000 pygmées, vivant un mode de vie traditionnelle, souvent loin des considérations économiques de rentabilité et de productivité. En 2015, un projet de loi portant sur la promotion
et la protection
des
Droits
des
peuples autochtones a été soumis pour examen au Parlement. Ce projet loi est censé ouvrir la voie à la signature et la ratification de la Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux.
Cependant, il est à ce jour noyé dans l’actualité politique consacrée aux questions de la mise en œuvre de l’Accord de la Saint Sylvestre. Bibiche, quant à elle, n’en démord pas pourtant dans sa quête du travail décent. Elle croit que son jour de bonheur et celui de sa communauté arrivera.
Christian MUTOMBO
3 minutes de lecture