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Témoignage émouvant du commandant DC-10 Simon Diasolua sur les causes de catastrophe Aérienne Type K

8 janvier 1996 – 8 janvier 2017. 21 ans viennent de s’écouler depuis que la RD-Congo a connu le plus grand crash d’un aéronef ayant fauché la vie de plus de 400 personnes et provoqué des dégâts collatéraux incommensurables. Jusqu’à ce jour, ce dossier qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive, continue de défrayer la chronique. Les nombreuses victimes de cet accident du marché Type K sur le prolongement de la piste de Kinshasa-Ndolo ne savent plus à quel saint se vouer dans la quête d’une hypothétique indemnisation, le gouvernement RD-congolais ayant montré ses insuffisances dans la résolution de l’épineuse question de cette catastrophe aérienne. «AfricaNews» vous propose de pénétrer dans les entrailles de l’enquête de ce crash du marché Type K à travers le témoignage du commandant Simon Diasolua Zitu, l’une des icônes de l’aviation civile RD-congolaise. Ce commandant DC-10, parmi les deux premiers pilotes RD-congolais et noirs à avoir piloté cet imposant triréacteur bien avant leurs collègues américains, européens et autres asiatiques, a eu à convoyer plusieurs grands de ce monde: le Roi Baudouin et la Reine Fabiola du Royaume de Belgique, le Pape Jean-Paul II, les Chefs d’Etat des continents africain et européen, le plus grand boxeur de tous les temps Ali Muhammad, etc. Dans son livre intitulé: «Entre ciel et terre, Confidences d’un pilote de ligne congolais» publié aux éditions L’Harmattan en 2014, Simon Diasolua Zitu, pilote de ligne pendant 37 ans, puis instructeur pilote DC-10, expert enquêtes et accidents, consultant aéronautique, lève un coin de voile sur cette catastrophe aérienne. En voici le récit tel que repris en pages 135 à 148. Accident du marché Type K Je venais de boucler le rapport final d’enquête technique sur l’accident d’Electra zaïrois à Jamba, en Angola. Mais à peine arrivé au ministère des Transports et Communications où était logé le bureau de la Commission d’enquête, un des conseillers du ministre m’informa du crash de l’Antonov 32, qui venait de se produire au décollage de Ndolo vers 13h40’ locales. Dix minutes auparavant, je venais d’emprunter l’avenue Bokassa qui coupe la piste de cet aéroport, à hauteur du marché Type K. Mon épouse qui me conduisait au ministère à bord de sa voiture, avait émis une réflexion à cette occasion, sur le danger que représentait le marché situé en bout de piste. Accompagné de trois membres de la commission Jamba, je suis immédiatement reparti vers le lieu de l’accident où une scène apocalyptique m’attendait. En effet, il y avait des cadavres partout. L’appareil en cause était encore en feu au bout du marché, à près de 150 mètres au-delà de l’avenue Bokassa. La catastrophe aérienne la plus meurtrière connue par l’Afrique Ce qui choqua de prime abord était la tête décapitée d’un enfant, mais dont je ne voyais pas le reste du corps. Tout était entremêlé, dans un désordre indescriptible. Les échoppes avaient été pulvérisées le long du sillage par l’Antonov, avec des dégâts à peine imaginables. L’avion était entré dans le marché avec ses hélices tournantes, entraînées par des moteurs de 5.000 chevaux chacun. Chaque objet que touchaient les hélices devenait ainsi un projectile au même titre qu’une balle de fusil. Au décompte des morts et à l’évaluation des dégâts occasionnés, il s’agissait sûrement de la catastrophe aérienne la plus meurtrière que l’Afrique ait connue. Des personnes étaient déchiquetées ou atrocement mutilées de chaque côté du sillage de l’avion, sur environ 15 mètres de large et 150 mètres de longueur. Pour appréhender l’ampleur exacte du drame, il fallait être présent sur ces lieux, un marché à l’heure de grande affluence et complètement rouge de sang. Mis à part deux camions des pompiers de l’aéroport de Ndolo que j’ai trouvés sur place, les renforts sont arrivés de l’ONATRA -centre-ville- et de l’aéroport de N’Djili -sud-, en même temps que moi, soit vingt minutes après le drame. Mais les véhicules étaient quasiment vides de produits d’extinction. Quand les pilleurs s’en donnent à cœur joie Malgré la présence des agents de l’ordre, les pilleurs étaient parvenus jusqu’à la partie arrière de l’avion, encore en feu, pour dérober la cargaison de boîtes de conserve, de sel, de cigarettes et autres. Mais contrairement à la rumeur qui s’était propagée, il n’y avait pas d’armes à bord, aux termes de l’enquête. Les pilleurs s’en donnaient à cœur joie, nonobstant les mises en garde, jusqu’au moment où s’est produite l’explosion des deux réservoirs d’ailes qui, heureusement, n’ont pas fait de victimes. Alors que je dressais mon rapport par téléphone à l’attention du ministre, mon portable m’a été arraché par les gardes du corps du général commandant de la ville de Kinshasa, qui me soupçonnaient d’informer l’extérieur, alors même que les correspondants de la presse étrangère se trouvaient déjà sur place. Le téléphone me sera rendu un quart d’heure plus tard sur ordre personnel du général, avec des excuses en prime. Mais, que s’est-il réellement passé ce jour-là au marché Type K de Ndolo, sur l’avenue Bokassa, à Kinshasa? L’accident était d’une telle violence et ses rebondissements aussi complexes que controversées qu’il nous a paru important d’y revenir. a. L’aéroport de Ndolo L’ancienne piste de Ndolo s‘étendait sur 1.600 mètres de long avant la construction de l’avenue Bokassa, qui a coupé la partie ouest de la piste. Il est aujourd’hui resté 1.300 mètres utilisables. L’aéroport était jusqu’alors desservi par l’aviation générale ainsi que par les hélicoptères de l’armée de l’air. Les riverains ont profité de la coupure du terrain et de la partie restée vacante, au-delà de la nouvelle avenue ainsi créée, pour ériger anarchiquement un marché sur une bande de près de 300 mètres de long, que l’avenue a séparée du reste de la piste. Mais au lieu d’interdire cette implantation, les autorités de la ville ont avalisé sa réalisation, en dépit des lettres de protestation lancées par les différents PDG qui se sont succédé à la tête de la Régie des voies aériennes -RVA- entreprise d’Etat responsable des infrastructures aéroportuaires, lesquelles expliquaient avec force détails les dangers que représentait ce marché pour la sécurité aérienne et celle des personnes. La piste d’une largeur de 30 mètres se trouve à une hauteur de 950 pieds -plus ou moins 300 mètres- avec un revêtement en asphalte. b. L’Antonov 32B L’avion accidenté était un full cargo fabriqué à Kiev par la société Kiapo en 1990. Il totalisait à peine 369 heures de vol au 22 août 1995. Il avait le certificat de navigabilité n°3573 délivré le 28 novembre 1994 et valable jusqu’au 15 février 1997. L’appareil a été conçu, à la demande de l’Inde, pour opérer par temps chaud sur des pistes situées en altitude. Ainsi, il lui fallait des moteurs puissants, de 5.000 chevaux chacun. Même au poids maximum de 27 tonnes, ce type d’avion est capable de décoller sur 700 mètres, dans des conditions normales. Pendant les trois mois précédant l’accident, l’avion avait subi, à Ndolo, une inspection de 300 heures effectuée par une équipe venue de Kiev. Il est à noter que lors du contrôle, la commission technique de l’aéronautique civile du Zaïre avait formulé des réserves sur certains points. Importation frauduleuse de l’Antonov 32B au Zaïre Il ressort du dossier remis à la commission d’enquête par le directeur de l’aéronautique civile que l’avion en question était entré frauduleusement au Zaïre, en violation de l’arrêté ministériel n°409/CAB/MIN/TC/011/95 du 30 mars 1995 portant règlementation des conditions d’importation d’un aéronef. Au lieu de dénoncer l’importation frauduleuse de l’Antonov 32, le directeur de l’Aviation civile a délivré
le 4 septembre 1995 à SCIBE-Airlift, qui l’exploitait, l’autorisation de circulation n°416/DAC/TC/410/95, valable au-dessus du territoire zaïrois et renouvelée le 20 décembre 1995 pour une durée de trois mois. En définitive, l’importation de l’avion accidenté n’a jamais été autorisée par l’arrêté du ministre compétent et son entrée non couverte par une autorisation de survol et d’atterrissage. Selon la déposition du commandant de bord, Kazarine Nikolaï devant la commission, la destination finale du vol était Luzamba, en territoire angolais. Il s’agit donc d’un vol international non régulier devant requérir l’autorisation préalable du ministre des Transports et Communications du Zaïre ainsi que des autorités angolaises. Ce qui n’a pas été le cas. c. Le déroulement du vol De l’analyse des déclarations de l’équipage, les points ci-après sont à relever: -Pendant le décollage et jusqu’à 100 km/h, l’accélération était normale; -Après 100 km/h, l’accélération s’est dégradée. L’équipage s’en est rendu compte à plus ou moins 200 mètres du bout de la piste; -A 190 km/h, l’équipage a appliqué la rotation. Normalement, à 210 km/h le nez de l’avion devait se soulever; -La vitesse de 210 km/h correspondait à la vitesse de décision pouvant permettre d’arrêter le déroulement du décollage en cas de problème majeur. La vitesse de décollage pour ce vol en particulier était de 230 km/h. Mais à 200 mètres du bout de la piste, la vitesse n’était que de 200 km/h. Le commandant a réalisé en ce moment-là qu’il n’était plus en mesure de décoller sur la partie restante de la piste. Si l’avion n’a pas été capable de décoller sur une piste longue de 1.300 mètres, lorsque les conditions météorologiques étaient propices, c’est qu’il existait un problème. A la question de savoir si un des moteurs avait lâché avant la vitesse de décision, la réponse de l’équipage est négative. A celle relative au blocage des commandes de vol à la rotation, la réponse est aussi négative. Quant à savoir s’il y avait un problème de surcharge, les réponses sont livrées dans les lignes qui suivent. Possibilité de décollage sur une longueur de 600 mètres L’Antonov 32 est équipé des moteurs très puissants. Conçu pour opérer par temps chaud sur des pistes situées en altitude, il dispose de moteurs dont la puissance est quasiment le double de son équivalent l’Antonov 24. Avec les conditions météo du jour de l’accident, l’avion pouvait décoller en conditions normales sur une longueur de 600 mètres. De ce qui précède, il y a lieu de conclure que la dégradation de l’accélération était provoquée par une cause autre que les moteurs, la surcharge ou le blocage des commandes. Une autre cause pouvant provoquer une dégradation de l’accélération est une piste contaminée par l’eau ou la neige, ou alors un blocage des freins. Mon appréciation se dirigeait plus vers un blocage des freins, après que le pilote ait indiqué que la veille de l’accident, l’avion avait subi un changement de blocs de freins. Le commandant Kazarine a également confirmé cette version dans son procès-verbal du 9 janvier 1996. A cet effet, tout mauvais réglage des freins peut entraîner une dilatation de ceux-ci par échauffement, même lorsque l’on roule à petites vitesses, avec comme conséquence la dégradation de l’accélération au décollage. Difficulté d’arrêt d’une masse de 26 tonnes sur les 200 mètres restants A la vitesse de 200 km/h, il était impossible au commandant d’arrêter une masse de près de 26 tonnes sur la distance restante de 200 mètres. Même s’il avait ordonné de couper les moteurs dès la sortie de la piste, l’accident aurait quand même occasionné des victimes et des dégâts, mais à moindre échelle, car les hélices auraient perdu de leur force de rotation. Tels étaient à ce stade de l’enquête les avis et considérations de la sous-commission technique sur le déroulement du vol et ses conséquences, laquelle était placée sous ma responsabilité. Par ailleurs, en dehors des victimes au sol, il y avait un total de six personnes à bord de l’appareil. Il s’agissait de MM. Nicolaï Kazarine, commandant de bord, Andrei Gouskov, copilote, Andrei Korovikhin, mécanicien navigant, Andrei Beliaev, navigateur et unique tué de l’équipage, Sergei, navigateur et seul blessé de l’ l’équipage, tous de nationalité russe, ainsi qu’un sujet zaïrois non autrement identifié jusqu’à la clôture de l’enquête, porté disparu. d. Les obligations Conformément aux dispositions des annexes 2 et 14 de la Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale et de l’article 77 de l’Ordonnance n°62-321 du 8 octobre 1955 relative à la navigation aérienne, les différents PDG de la RVA ont maintes fois sollicité les gouverneurs successifs de la ville de Kinshasa d’évacuer le marché Type K. Les responsables de l’aéronautique ont en effet usé de leur pouvoir pour garantir la sécurité de la navigation aérienne et prévenir les catastrophes. Ces demandes ont été confirmées notamment par les lettres respectivement des 17 décembre 1990, 28 septembre 1992 et 14 mars 1994. Malgré les diverses mises en garde, les gouverneurs respectifs ont fait la sourde oreille, désignant même des administrateurs dudit marché. Ainsi, s’il avait été évacué en son temps, on aurait pu éviter des dégâts matériels et les pertes en vies humaines occasionnés par ce grave accident. L’obligation de réparer les dommages matériels et les préjudices résultant des pertes en vies humaines incombe à l’exploitant de l’aéronef, à savoir SCIBE Airlift ainsi qu’à la Russie -Moscou Airways. e. Les dégâts humains et matériels A la date du 6 février 1996, le nombre provisoire des morts, recensés dans les différents hôpitaux de la ville de Kinshasa, se chiffrait à 372, tandis que les blessés à 179 personnes. Concernant l’inhumation, les autorités de la ville ont retiré et enterré 91 corps, grâce notamment à l’intervention de l’Alliance libanaise, qui a gracieusement fourni une cinquantaine de cercueils. Les autres corps furent enterrés par leurs familles. Le problème d’apurement des factures des soins aux blessés a été soulevé et reste encore d’actualité à ce jour. A titre d’exemple, la Clinique Ngaliema estimait à la date du 9 février 1996 à plus ou moins USD 250.000 les soins et l’hospitalisation des blessés admis dans cette institution. Pour les autres institutions ayant soigné les blessés, les données n’ont pu être recueillies, suite à la chute du régime de Mobutu le 17 mai 1997. Catégorisation en biens périssables et non périssables Quant aux dégâts matériels, ils ont été catégorisés en biens périssables et non périssables. En ce qui concerne les premiers, il est difficile d’évaluer, même approximativement, l’importance des dégâts subis par les commerçants, les acheteurs, voire les simples passants surpris par la mort. Pour les biens non périssables, il s’agit principalement des échoppes et des véhicules qui roulaient sur l’avenue et d’autres garés à proximité. Huit véhicules au total ont été ainsi recensés, dont un appartenant au PNUD. Mais j’estime que seule la Fédération congolaise des petites et moyennes entreprises est en mesure de déterminer tous les dégâts matériels occasionnés par le crash. A l’issue de l’accident, il a été constaté une désorganisation dans l’assistance aux victimes. Cette lacune est imputable à l’absence d’un plan d’intervention d’urgence en cas de catastrophe. Il est, à cet effet, recommandé que les pouvoirs publics mènent, de manière permanente, des campagnes d’information et d’éducation sur la nécessité du respect des lois et décisions, à commencer par les autorités elles-mêmes, car l’exemple doit venir d’en haut. A suivre

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