Politique

L’édifiant oral de Jérôme Kitoko

Le 22 octobre 2016, à la faveur de la rentrée solennelle de la Cour suprême de justice -CSJ-, Jérôme Kitoko Kimpele, Premier président de cette cour, a, devant un auditoire trié sur le volet, saisi l’occasion d’éclairer la lanterne des RD-Congolais et particulièrement des praticiens de droit sur la question de recours contre les jugements avant dire droit. Le recours est-il possible? Dans quel cas? Jérôme Kitoko en a donné les réponses dans une dialectique digne de ce nom, sur le thème: «De la cassation des jugements avant dire droit». L’objectif? Concilier la position du législateur qui prescrit l’irrecevabilité du recours introduit contre un jugement avant dire droit avant le jugement définitif, avec la pratique judiciaire, qui, soutenue par la doctrine, accepte exceptionnellement la recevabilité du pourvoi introduit avant le jugement définitif dans un cas précis. A en croire le Premier président de la CSJ, les doctrines belge, française et RD-congolaise sont claires sur cette discussion de prétoire. Il y a deux catégories des jugements avant dire droit: ceux préparatoires et ceux interlocutoires. Et fort de ces doctrines, Kitoko conclut sa réflexion de 25 pages en ces termes: le recours contre le jugement avant dire droit préparatoire n’est pas envisageable. Par contre, celui introduit contre le jugement avant dire droit interlocutoire est recevable.
La Cour suprême de justice -CSJ- n’a pas dérogé à la coutume. En application des dispositions de l’article 64 de la loi organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, faisant fonction de la Cour de cassation jusqu’à l’installation de cette dernière, elle a tenu comme au mois octobre de chaque année, une audience solennelle et publique au cours de laquelle le Premier président a prononcé son discours. Cette année, Jérôme Kitoko Kimpele a fait une présentation sur le thème: «de la cassation des jugements avant dire droit». Cette réflexion du Premier président de la CSJ a porté successivement sur l’aperçu historique de la Cour suprême de justice, la fonction de cassation et les décisions susceptibles de pourvoi. A en croire Kitoko, la Cour suprême de justice a été créée en définitive par l’Ordonnance-loi n°68/248 du 10 juillet 1968 avant d’être rendue effective le 24 novembre de la même année. Une grande réforme de la justice en RD-Congo. A son article 164, cette ordonnance fixe le contenu et le sens à donner à la «violation de la loi et de la coutume» et partant les cas d’ouverture à cassation notamment l’incompétence, l’excès de pouvoir des Cours et Tribunaux, la fausse interprétation ou fausse application de la loi, la non-conformité aux lois ou à l’ordre public de la coutume dont il a été fait application, la violation des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité. «Cette disposition fixe de manière très explicite et pour la première fois en RD-Congo les cas d’ouverture à cassation qui resteront d’application jusqu’à ce jour car repris par l’article 116 de la loi organique du 11 avril 2013», a fait savoir le Premier président de la Cour suprême de justice. Et de préciser plus loin: «jusqu’à la réforme de 2013, c’est la section judiciaire de la Cour suprême de justice qui était compétente pour connaitre des pourvois en cassation pour violation de la loi ou de la coutume formés contre les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les Cours et Tribunaux. Mais ce sont les sections réunies qui étaient compétentes pour connaitre du pourvoi introduit pour la deuxième fois après cassation et du pourvoi formé par le Procureur général de la République sur injonction du ministre de la Justice». Puis: «La Constitution du 18 février 2006 attribue ce rôle à la Cour de cassation dont la procédure à suivre est fixée par la Loi organique n°13/010 du 19 février 2013».
Fonction de la cassation
Les fonctions de la cassation peuvent se résumer en trois points. Il s’agit d’abord, selon le juge Kitoko, de la fonction juridique. La Cour de cassation assume la mission de gardienne des lois et de la légalité. Elle veille à l’unité de l’interprétation de la loi par l’ensemble des tribunaux du pays et à l’égard de tous les justiciables, quel que soit la province où se situe le tribunal, la profession des parties ou la nature du litige. C’est pourquoi elle est appelée Cour régulatrice ou encore unificatrice. Ensuite, la cassation assure la formation des juges. «En effet, les juges sont appelés à être sensibles aux critiques dont leurs décisions font l’objet. Ils en tirent des leçons utiles pour leur formation en droit. C’est pourquoi les juges des juridictions inférieures devraient exploiter les bulletins des arrêts de la Cour suprême de justice pour éviter de tomber dans les mêmes violations de la loi», a-t-il martelé. Et enfin vient la fonction politique. Pour le Premier président de la CSJ, l’unité de la jurisprudence crée un sentiment de confiance dans le chef de tous les habitants du pays et contribue à cimenter l’unité nationale.
Le recours en cassation contre les jugements avant dire droit 
Dans un langage simple et limpide, le Premier président de la Cour suprême a soutenu que les décisions susceptibles de pourvoi en cassation sont celles rendues en dernier ressort par les Cours et Tribunaux. Cependant, avant d’en arriver, l’on doit épuiser les voies ordinaires de recours. Ce, parce que la cassation est une voie extraordinaire et non un troisième degré de juridiction. «Le recours en cassation contre les jugements avant dire droit n’est ouvert en principe qu’avec le jugement définitif conformément à l’article 35 alinéa 2 de la procédure devant la Cour de cassation», a-t-il argué. Et d’interroger: de quel jugement avant dire droit s’agit-il? Celui interlocutoire? Celui préparatoire? Le débat est réel autour des notions et caractéristiques des jugements avant dire droit pour les distinguer. «Tant en matière répressive que de droit privé, le Tribunal peut ordonner toute mesure d’instruction complémentaire qu’il juge nécessaire pour la manifestation la vérité… Le Tribunal ordonne ces mesures d’instruction complémentaire par un jugement avant dire droit qui peut être interlocutoire ou préparatoire selon qu’il préjuge ou non le fond», a relevé Jérôme Kitoko. Ce dernier a fait une étude comparée de l’évolution de la question en droit français, belge et RD-congolais. Il y a dégagé un constat net: «en matière de cassation, les doctrines française, belge et RD-congolaise, après avoir classé les jugements avant dire droit en deux catégories…, ont pris position pour nous amener à confirmer que le recours en cassation contre les jugements avant dire droit préparatoire n’est ouvert qu’après le jugement définitif, tandis que celui introduit contre le jugement avant dire droit interlocutoire peut être ouvert avant le jugement définitif». Puis: «en définitive, s’il est admis qu’il ne peut être interjeté un appel contre un jugement avant dire droit préparatoire, mais plutôt interlocutoire, il est de même admis que le pourvoi contre un jugement avant dire droit préparatoire n’est pas envisageable. Il suffit tout simplement de motiver la décision et de la rédiger en des termes qui le distinguent d’un jugement préparatoire».
Hugo Robert MABIALA   
 

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