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Loi Tshiani, CENI, 2023…: Moïse Katumbi trace les lignes rouges à ne pas franchir

Ses relations avec Félix Tshisekedi et le président honoraire Joseph Kabila. Évaluation des 100 premiers jours du gouvernement Sama et de l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu. Chasse aux sorcières lancées contre certains dignitaires de l’ancien régime. Possibilité de faire équipe avec le FCC… Moïse Katumbi Chapwe, le leader de Ensemble pour la République, évoque tous ces sujets dans une interview accordée à “Jeune Afrique”. Il y trace surtout les lignes rouges à ne pas franchir en ce qui concerne la Loi Tshiani, la désignation des membres de la Commission électorale nationale indépendante -CENI- et les élections de 2023. Si la Loi Tshiani venait à être ne
serait-ce que programmée pour être débattue au Parlement, Katumbi et Ensemble prendraient leurs distances. Il en est de même pour la CENI et les élections obligatoires de 2023.
Interview en intégralité.

Jeune Afrique : Plus de cent jours après l’investiture du gouvernement de Sama Lukonde Kyenge, l’Union sacrée va-t-elle
dans la bonne direction ?

Moïse Katumbi : Parler des cent jours n’a, selon moi, aucun sens. C’est un concept essentiellement médiatique. La RDC est un pays à terre, où tout est à refaire. Il faut donner du temps à ce gouvernement. Nous ferons le bilan au bout d’un an ou deux.

Pour ce qui est de l’Union sacrée en elle-même, il nous manque pour l’instant un cadre de concertation collectif. Nous n’avons d’ailleurs eu aucune réunion qui nous aurait permis de jauger l’efficacité de notre action.

Diriez-vous, comme certains, que l’état de siège décrété en mai dernier dans l’Est pour lutter contre l’insécurité est un échec?

Il faut voir ce qui a été bien fait et ce qui ne marche pas. Chaque jour ou presque, on déplore des morts. C’est donc que le problème persiste et nous devons accepter d’en parler entre nous, même si cela gêne certaines personnes.

Sur le plan judiciaire, plusieurs proches de l’ancien président Joseph Kabila sont aujourd’hui poursuivis ou en exil. L’état de droit vous paraît-il sur la bonne voie?

La justice doit être indépendante et non pas instrumentalisée, en particulier à des fins politiques. C’est ce que nous avions dénoncé avec l’UDPS [l’Union pour la démocratie et le progrès social, de Félix
Tshisekedi] quand nous étions ensemble dans l’opposition. La justice ne peut pas se montrer sélective, il faut mettre un terme à la chasse aux sorcières.

C’est de cela qu’il s’agit selon vous, d’une « chasse aux sorcières »?

Soyons clairs : il est important que les méfaits commis soient jugés. Pour autant, s’il faut condamner, il faut aussi savoir pardonner. La place des Congolais est au Congo. On ne peut se réjouir d’en voir prendre la route de l’exil, quoi qu’ils aient fait. Cela vaut pour Kikaya Bin Karubi, John Numbi, Kalev Mutondo et les autres.Il ne faut pas avoir la mémoire courte : certains de ceux qui sont aujourd’hui en difficultés ont beaucoup apporté à notre pays.

Notamment le pasteur Ngoy Mulunda, un homme de Dieu qui a beaucoup œuvré pour la paix, mais aussi Vital Kamerhe, l’un des principaux acteurs de la vie politique ces dernières années, ou encore Augustin Matata Ponyo, qui fut un valeureux Premier ministre.

Le président Tshisekedi a fait de la lutte contre la corruption l’une de ses priorités. Quel bilan tirez-vous de son action en la matière ?

Les pratiques d’hier persistent. Le directeur de cabinet du chef de l’État l’a d’ailleurs reconnu en condamnant l’instrumentalisation des institutions par certains conseillers de la présidence. Je le dis parce qu’être membre de l’Union sacrée, ce n’est pas se taire ni fermer les yeux sur ce qui se passe et sur des faits qui sont répréhensibles.

Avec cinq ministres étiquetés «Ensemble pour la République», estimez-vous avoir obtenu votre juste part lors de la formation du gouvernement ?

Nous aurions dû avoir un minimum de douze ministres et vice-ministres. Malgré cela, j’ai estimé, contre l’avis de la majorité de mes députés, qu’il était de notre devoir de ne pas bloquer la machine en retardant davantage la mise en place du gouvernement. Moi-même, on m’a proposé le poste de Premier ministre, mais j’ai décliné.

Pourquoi ?

Je n’ai pas pour habitude de rendre public le contenu de mes conversations avec le président.

Regrettez-vous d’avoir accepté de prendre part aux consultations lancées par Félix Tshisekedi après sa rupture avec Joseph Kabila ?

Je ne regrette jamais ce que je fais. Il fallait donner sa chance à l’Union sacrée sans présager de l’avenir.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de jouer sur les deux tableaux en gardant un pied dans l’opposition et un autre dans la majorité ?

Je suis un homme libre. Quand j’étais avec le président Kabila, j’étais son gouverneur le plus puissant. Cela ne m’a pas empêché, quand je n’ai plus été d’accord avec lui, d’aller le voir et de le lui dire. Je ne suis pas un hypocrite. Quand j’ai défendu notre Constitution, c’était sur la place de la Poste à Lubumbashi. Je ne cache jamais mes intentions. Nous n’avons pas rejoint la majorité pour applaudir. Il faut avoir le courage de dire tout haut ce qui ne marche pas.

Votre retour au sein de la majorité et le passage de Kabila dans l’opposition constituent-t-il une revanche ?

Je suis chrétien, je ne peux être dans une logique de vengeance. Je laisse cela à Dieu. Mais lorsque l’on est dans la majorité, on ne doit jamais oublier que le pouvoir est passager et qu’un jour, la situation peut s’inverser.

Avez-vous pardonné à l’ancien président les quatre années d’exil auxquelles vous avez été contraint ?

Entre Kabila et moi, il n’y a jamais eu de problème. C’était avec son entourage que cela coinçait. Il se passe la même chose au sein de l’Union sacrée. Il y a des gens qui pensent que, quand vous êtes proche de quelqu’un, c’est pour prendre son poste. Moi je ne suis pas un demandeur d’emploi.

Avez-vous échangé avec Kabila ces derniers mois ?

On ne s’est jamais reparlé depuis que j’ai quitté la majorité, en 2015. Mais si un jour le besoin s’en fait sentir, je chercherai son numéro et je l’appellerai.

Depuis plusieurs semaines, la loi Tshiani, qui vise à interdire la fonction présidentielle aux Congolais nés d’un parent étranger, fait réagir. Estimez-vous, comme certains de vos collaborateurs, qu’il s’agit d’une manœuvre du pouvoir pour empêcher certaines candidatures en 2023?

Je ne peux pas accuser le pouvoir en place, mais je peux accuser une partie de l’Union sacrée, parce que ce projet de loi est porté par un député issu de ses rangs. La RDC de 2021 n’a pas besoin d’une loi comme celles qui furent votées en Afrique du Sud dans les années 1940. Notre pays ne s’honorerait pas à être le seul au monde à adopter un texte raciste, ségrégationniste et inconstitutionnel.

Vous sentez-vous personnellement visé?

Des Moïse Katumbi , il y en a des millions en RDC ! Quelle famille ici n’a pas un parent, un cousin, un fils ou une fille, une nièce ou un neveu qui n’est pas congolais d’origine ? Nous partageons neuf frontières avec nos voisins, ce qui est un cas unique en Afrique.

Chaque année, des milliers de mariages mixtes sont célébrés. Si une telle loi venait à s’appliquer, cela signifierait que demain, concrètement, des jeunes Congolais ne pourraient pas prétendre aux plus hautes fonctions bien qu’étant compétents et méritants. Cela porte un nom : le racisme.

Quitteriez-vous l’Union sacrée si cette loi venait à être adoptée ?

Oui, il s’agit clairement d’une ligne rouge. Si elle venait à être ne serait-ce que programmée pour être débattue au Parlement, nous quitterions la majorité.

Attendez-vous que le chef de l’État se positionne sur la question ?

Je crois qu’il a dit aux sénateurs qu’il n’était pas d’accord avec cette proposition de loi, mais le débat public continue. Il faut sonner la fin de la récréation.

Comment avez-vous réagi à la condamnation du président de la Ligue des jeunes de votre parti, Jacky Ndala, qui avait critiqué la loi Tshiani ?

Cette condamnation est inadmissible et injuste. D’abord parce qu’un politicien qui n’est pas critiqué, c’est un politicien mort. Et puis d’autres ont tenu des propos autrement plus dangereux et sont toujours en liberté. On les invite même très souvent sur les plateaux de télévision.

En refusant d’envoyer vos délégués à la Commission électorale nationale indépendante [Ceni], ne contribuez-vous pas à retarder le processus électoral ?

Ce n’est pas nous qui retardons les choses mais ceux qui manœuvrent pour faire en sorte que ce scrutin ne soit ni équitable, ni transparent, ni inclusif. Je parlais tout à l’heure de ligne rouge. La désignation du président et des autres membres de la Ceni en est une autre. Leur nomination doit être consensuelle et conforme à la loi. Ce qui signifie qu’il faut laisser les confessions religieuses travailler sans pression, menace, intimidation ou manipulation, et qu’il faut tenir compte du poids de chacun des partenaires au sein de la majorité.

La nouvelle loi électorale dépolitise-t-elle suffisamment la Ceni ?

Non, et je me rappelle très bien du discours du président disant qu’il allait le faire pour éviter les erreurs du passé. Cela m’avait encouragé, mais nous sommes en train de nous éloigner. Que l’on se rappelle 2006, 2011, 2018… Les mêmes causes produiront les mêmes effets en 2023. Nous voulons que, si le président Tshisekedi gagne les prochaines élections à la régulière, tout le monde puisse le reconnaître et l’applaudir. Idem s’il s’agit de quelqu’un d’autre.

Les élections pourront-elles se tenir en 2023 ?

Ce n’est pas une option mais une obligation, et il revient aux institutions de se conformer au calendrier électoral plutôt que d’essayer d’adapter la Constitution à je ne sais quel agenda politique.

Au sein de l’Union sacrée, certains mettent en doute votre loyauté envers le chef de l’État…

Mes relations avec lui sont empreintes de franchise. Quand j’ai quelque chose à lui dire, je le lui dis ouvertement et sans détour.

Plusieurs ténors de la majorité, tel Modeste Bahati Lukwebo, le président du Sénat, ont déjà formulé leur soutien à la candidature de Félix Tshisekedi en 2023. Pas vous. Pourquoi ?

Bahati Lukwebo est libre de se prononcer au nom de son parti. Jean-Pierre Bemba [le président du Mouvement de libération du Congo, MLC] l’est tout autant, et c’est la même chose pour moi. C’est cela, la démocratie. Assimiler à un manque de loyauté le fait que je ne me sois pas encore prononcé sur le sujet, c’est de l’escroquerie politique.

Serez-vous candidat ?

Si j’avais déjà décidé de me présenter en 2023, je le dirais ouvertement. La décision n’a pas encore été prise, ni dans un sens ni dans un autre. Aujourd’hui, je suis à la tête d’Ensemble. Nous avons des instances, dont un comité directeur et un bureau politique. La décision ne pourra donc être prise qu’à l’issue de notre congrès et de manière collective.

Quand vous étiez dans l’opposition, vous estimiez que le président serait le seul responsable de son bilan. Qu’en est-il maintenant que vous appartenez à la majorité ?

En tant que membre de l’Union sacrée, nous assumerons notre part de responsabilité, mais seulement celle-ci. Ne nous voilons pas la face : le responsable numéro un aux yeux des Congolais, ce sera Félix Tshisekedi.

Au regard des dynamiques politiques actuelles, un rapprochement entre Ensemble et le FCC est-il possible ?

Je ne peux pas exclure a priori une coalition avec qui que ce soit. Quand nous étions dans l’opposition, Jean-Pierre Bemba et moi, qui aurait pensé que nous pourrions finalement nous retrouver dans la majorité ? Quand je négocie, je le fais toujours au grand jour. Si je constate que l’intérêt de la population ne réside plus dans l’Union sacrée, je le dirai.

Avec Jeune Afrique

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