Le RD-Congolais Albert Tcheta-Bampa, professeur en Economie de l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne et chercheur au Centre d’Économie de la Sorbonne -CES- a cons acré des mois et des mois à observer la conduite des affaires de l’Etat par le gouvernement Matata et, surtout, les réformes entreprises pour consolider le cadre macroéconomique et tenter de relancer l’économie du pays. Il est d’avis que Matata est passé à la trappe et qu’en RD-Congo, où le taux de chômage atteint le chiffre astronomique -taux de chômage de 40% de l’ensemble de la population active et 80% de la population active jeune-, il est temps de réfléchir vite à un plan de relance, qui mobilise de manière contra-cyclique les fonds disponibles. «Notre pays n’a pas constitué de réserves en temps utile dans lesquelles il pourrait puiser en cette période de crise. Il s’agit toutefois d’un pays peu endetté aujourd’hui, en mesure d’accroître son déficit budgétaire, notamment par l’emprunt, en cette période de tassement de l’activité, voire de crise, sans perdre la confiance des marchés», suggère Tcheta-Bampa dans un article percutant. Et d’ajouter: «Si le gouvernement ne renforce pas rapidement la qualité de nos institutions politiques et économiques, le pays risque de ne plus disposer de ce genre de marges de manœuvre, sera contraint à adopter des mesures budgétaires d’urgence et n’aura guère la possibilité d’opter pour des politiques budgétaires anticycliques». Lisez plutôt.
Emprunt public: importance de la marge de manœuvre dont dispose le gouvernement congolais et les conditions de son action afin d’investir massivement
I. Introduction
Depuis fin 2015, la conjoncture est restée maussade en RD-Congo où l’activité a ralenti. Le lundi 16 mai 2016, le Premier ministre RD-congolais MatataMpoyo a exhorté son ministre en charge du Budget et des finances d’élaborer des lois de finances rectificatives réduisant d’environ USD 8 à 6 milliards le budget de l’État de 2016 en cours d’exécution. Ce collectif budgétaire permettra de modifier, de manière significative, en cours d’année, les dispositions de la loi de finances initiale concernant notamment les plafonds des dépenses du budget de l’État. Afin de justifier cette baisse du budget de l’Etat, les autorités économiques avancent que «la chute des cours des matières premières et des produits de base ainsi que le durcissement des conditions financières sont à la base des déséquilibres financiers et extérieurs» du pays -voir le communiqué de la Troïka stratégique du lundi 16 mai 2016, p. 2. Une telle situation engendre de plus en plus de «déficits auxquels le pays fait face, couplés à la dépréciation -du Franc Congolais-» -Troïka stratégique.
De ce fait, l’équilibre économique et financier déterminé par la dernière loi de finances devient évidemment obsolète. Il convient donc, dans un souci de sincérité et de transparence, de présenter une loi de finances rectificative. Cette décision implique concrètement que les dépenses publiques doivent être réduites en cette période de mauvaise conjoncture afin d’éviter les risques d’endettement excessif et d’hyperinflation et l’émergence d’une situation similaire à celle des années 1990. Autrement dit, l’argument sous-jacent derrière la stratégie du gouvernement Matata est qu’un défaut de rigueur dans la politique des finances publiques peut conduire à une trop forte accumulation de la dette publique, à une importante inflation, à un effet d’éviction et à l’incertitude phénomènes qui ont tous pour effet d’entraver la croissance -voir Gupta et al., 2004 et Daniel et al., 2006, pour des bilans récents. Ainsi, une consolidation budgétaire, i.e. une réduction du déficit public obtenue par la réduction des dépenses, a, -selon la stratégie du gouvernement inspirée par la théorie dite anti-keynésienne des finances publiques-, des effets favorables -au pire neutres- sur le niveau de l’activité économique.
Je juge toutefois que cet argument est de courte vue, car le choix de la politique d’austérité budgétaire justifiée par le gouvernement Matata n’a pas permis de mieux relancer la production après les chocs de l’effondrement des cours des produits de base. Nous pensons que la réduction d’environ USD 2 milliards du budget de l’Etat en cours, signifie que l’on contraint le solde budgétaire à revenir à l’équilibre, ce qui implique de diminuer les dépenses et/ou d’augmenter les prélèvements obligatoires. Etant donné que l’économie RD-congolaise ralentit depuis 2015, l’augmentation des prélèvements obligatoires pour financer le déficit public et la baisse des dépenses publiques courantes vont restreindre le pouvoir d’achat des ménages et réduire la capacité de financement des entreprises, ce qui par la suite diminuerait la consommation espérée et l’investissement national ainsi que la croissance économique. De plus, des efforts additionnels de consolidation budgétaire -coupes dans les dépenses, retrait graduel des subventions, gel des salaires et des embauches dans la fonction publique-, que le gouvernement prévoit pour réduire le déficit fiscal du PIB, risquent de faire davantage diminuer la demande intérieure. Les rentrées fiscales vont ainsi s’amenuiser, ce qui tendra à engendrer des déficits publics. Enfin, les ralentissements de la création d’emplois et de la croissance seront plus élevés dans les mois et années à venir.
Ce choix du gouvernement Matata est fondé sur deux postulats très discutables. Premièrement, ce projet de modification du budget 2016 est conçu à partir de mauvaises mesures d’estimation de la situation budgétaire. En effet, la décision du gouvernement repose sur le solde opérationnel -c’est-à-dire le solde global diminué de la part du service de la dette qui compense l’inflation pour les détenteurs d’obligations- et le solde pour la consommation courante i.e. solde courant ou conjoncturel -à savoir la différence entre les recettes courantes et les dépenses courantes, qui indique le volume de l’épargne publique-, alors que la bonne mesure consisterait dans le recours au solde structurel ou solde budgétaire corrigé par des variations conjoncturelles -mesure de la situation budgétaire, déduction faite de l’incidence des effets de production sur le budget. Le choix opéré par le gouvernement Matata de faire baisser le budget de l’Etat n’est pas également en phase avec l’évolution du cycle de baisse des cours des produits de base et sa perception de l’évolution du déficit public peut conduire à une lecture erronée de l’orientation de la politique budgétaire. Faire varier à court terme la fiscalité et les dépenses budgétaires afin de conserver un budget en équilibre tout au long du cycle aurait des effets très perturbateurs. On peut les éviter si on parvient à distinguer les variations du solde budgétaire dues aux effets conjoncturels des tendances budgétaires structurelles fondamentales.
La plupart d’économistes recommandent de considérer deux éléments pour procéder à la modification d’un budget de l’Etat -voir Cohen 2004, 2011, Creel et al. 2005, Atkinson; Stiglitz, 2015 pour plus de détails. Il faut d’abord examiner le déficit structurel, c’est-à-dire quel serait le déficit si l’économie était au plein emploi. En effet, la RD-Congo a un taux de chômage très élevé, 40% de l’ensemble de la population active et 80% de la population active jeune, selon les sources. Quand le taux de chômage est très important, cela signifie qu’il y a moins d’investissements, moins de créations d’emplois et que les impôts baissent moins, compte tenu des dépenses sociales qui en découlent. Contrairement au calcul du solde courant, le calcul du solde budgétaire structurel inclut le calcul d’un taux de chômage d’équilibre, à savoir le taux de sous-emploi en dessous duquel des pressions inflationnistes se font sentir. Le solde courant n’est donc pas une bonne façon d’estimer la situation fiscale. Le ciblage du solde courant peut contribuer démesurément à limiter l’emprunt afin de répondre à des préoccupations relatives à la viabilité de la dette à long terme. C’est en particulier le cas lorsque le taux d’endettement public est faible, période pendant laquelle une relance par voie budgétaire permet d’atténuer les pertes de croissance après le choc des prix des produits de base. Le déficit budgétaire de la RD-Congo n’est à présent pas insoutenable parce que son taux d’endettement est faible -la dette publique en pourcentage du PIB avoisine les 15% et la dette extérieure les 19%. Par ailleurs, avoir un déficit budgétaire n’est pas forcément une mauvaise chose, cela peut signifier que l’État soutient l’économie par des dépenses publiques en espérant avoir de la croissance par le biais du mécanisme de multiplicateur de dépenses keynésien. Si vous empruntez pour investir alors que votre déficit s’accroît, eh bien vous devez investir dans l’avenir -infrastructures, éducation, recherche et progrès technique ou innovation.
Cet article présente le premier examen macroéconomique de l’importance des marges de manœuvre dont dispose le gouvernement de la RD-Congo et les conditions de son action afin de relancer l’activité économique et d’investir massivement après la chute des cours des produits de base. Il montre que l’augmentation des prélèvements obligatoires pour financer le déficit public et la baisse des dépenses publiques courantes décidées par le gouvernement Matata vont aggraver le ralentissement de l’activité économique, et engendrer in fine, une nouvelle baisse du budget de l’Etat. A la place de ce choix, nous suggérons au gouvernement d’utiliser la dette publique qui constitue aujourd’hui un bon outil pour soutenir l’activité économique. Nous défendons donc dans cet article, l’idée de plus d’Etat autrement en proposant une troisième voie qui se situe entre la politique keynésienne et le vieil Etat providence d’un côté, et la politique extra-libérale, de l’autre. Ce que l’on préconise, est une approche de relance de la croissance par l’offre et non par la demande, afin d’aider l’économie RD-congolaise à devenir plus compétitive qu’avant le choc des cours des produits de base. Cela signifie qu’il s’agit d’investir davantage dans l’infrastructure socialement productive. En particulier, il faut investir pour avoir un appareil productif plus performant qu’ailleurs. Enfin, le déficit structurel est plus adapté pour comprendre le véritable poids des réformes dites structurelles. Une réforme est un investissement. Ce que nous proposons dans cet article pourrait permettre à l’Etat RD-congolais de rationaliser ses moyens pour pouvoir payer les coûts des réformes déjà engagés sur le long terme. En d’autres termes, si le Parlement adopte le collectif budgétaire du gouvernement Matata, l’Etat ne sera plus en mesure de gérer le coût de transition des réformes. Ainsi, les réformes à court terme ne pourront plus contribuer à financer les réformes à long terme.
Cet article fournit un aperçu de toutes ces questions de politique budgétaire et se poursuit comme suit. Dans la section suivante, nous proposons une discussion en démontrant que l’ajustement budgétaire décidé par le gouvernement Matata est basé sur de mauvaises mesures d’estimation de la situation fiscale. Dans la section 3, nous explorons la question de la relance par voie budgétaire, qui consiste en particulier à savoir si le faible endettement est susceptible de représenter une marge de manœuvre nécessaire que le gouvernement RD-congolais peut utiliser afin de relancer l’économie et d’investir pour l’avenir après le choc de la chute des cours des produits de base.
II. La stratégie du gouvernement des finances publiques
L’un des arguments mis en avant par le gouvernement Matata pour faire baisser le budget de l’Etat consiste à soutenir que les dépenses publiques doivent être réduites en cette période de mauvaise conjoncture. D’une part, les déficits publics seraient généralement trop élevés, conduisant à une trop forte accumulation de la dette publique. D’autre part, les déficits publics seraient nuisibles du fait qu’ils induisent une hausse des taux d’intérêt, en provoquant une baisse de la demande privée -puisque les agents anticipent les impôts qu’ils devront payer demain- et une baisse de l’offre -en raison de l’anticipation des effets néfastes des impôts futurs. La seule stratégie macroéconomique efficace en RD-Congo consisterait alors à faire baisser les dépenses publiques, ce qui permettrait une baisse de la fiscalité, qui engendrerait une hausse de l’offre et de la demande. Les périodes de consolidation budgétaire -c’est-à-dire de réduction des déficits publics principalement obtenue par une baisse des dépenses-, qui conduisent les agents à anticiper un niveau durablement plus faible d’imposition, auraient des effets favorables sur l’activité. Cette théorie anti-keynésienne des finances publiques est dominante au sein de la Troïka stratégique. Dans cette partie, nous démontrons que l’ajustement budgétaire actuel est conçu à partir de mauvaises mesures d’estimation de la situation budgétaire.
1. Déficit structurel versus déficit opérationnel et déficit courant
L’ajustement budgétaire peut contribuer à atténuer la cyclicité -l’alternance des phases de récession et d’expansion-, à réduire les déséquilibres marqués des soldes extérieurs courants et à contenir l’inflation. Toutefois, l’ajustement peut échouer s’il repose sur des indicateurs budgétaires erronés. Tel est le cas de la réduction du budget de l’Etat RD-congolais qui repose sur le déficit opérationnel et/ou le déficit courant. Plusieurs paragraphes des communiqués de la Troïka stratégique mettent en évidence l’évaluation par le gouvernement du déficit opérationnel et du déficit courant. Le communiqué de la Troïka stratégique du lundi 21 mars 2016 décrit la situation budgétaire courante comme suit p. 2: «Le solde des opérations financières de l’Etat, au 18 mars 2016, est déficitaire de 59,124 milliards CDF, résultant des recettes de 167,482 milliards CDF et des dépenses de 226,606 milliards CDF. Le Communiqué Troïka stratégique -du lundi 16 mai 2016, p. 3- va dans ce sens quand il fait remarquer que «pour ce qui est des finances publiques, le solde ajusté de clôture du mois d’avril est déficitaire de 15,673 milliards CDF, contre un excédent projeté à 61,198 milliards CDF. Ce solde provient des recettes de 350,359 milliards CDF, et des dépenses de 366,032 milliards CDF. De même qu’au 13 mai 2016, le solde mensuel est négatif de 142,486 milliards CDF, découlant des recettes de 65,638 milliards CDF et des dépenses de 208,124 milliards CDF, dont essentiellement les salaires du mois de mai pour 150,266 milliards CDF. En cumul annuel, le compte général du Trésor est déficitaire de 231,093 milliards CDF». De plus, dans une autre perspective, Muzito Fumutshi, dans sa 12ème Tribune du 23 mai 2016, portant sur la crise économique et financière de la RD-Congo, décrit la même situation comme suit p…: «… au premier trimestre 2015, le plan de trésorerie s’est soldé positivement avec 5.895 millions de FC contre un solde négatif de 72.847 millions de FC pour le premier semestre 2016». C’est sur cette augmentation du déficit courant -position budgétaire- que repose la politique d’austérité du gouvernement RD-congolais. Enfin, la FMI 2015, dans son Rapport des services sur consultations de juillet 2015 pour la RD-Congo, décrit le déficit comme suit p 1: «Le déficit budgétaire s’est situé à 8,5 % du PIB en 2014, soit près du double de 2013, notamment à cause de l’augmentation des dépenses publiques et de la diminution des recettes pétrolières. Ce déficit a été principalement financé à partir d’emprunts auprès de la Banque des États de l’Afrique centrale… et de tirages sur les dépôts extérieurs de l’État. Le déficit courant s’est creusé de 1% du PIB pour se situer à 5,5% du PIB en 2014».
Ce ciblage du solde opérationnel et du solde courant peut contribuer à protéger l’investissement en période d’assainissement des finances publiques, tout en laissant intacte la valeur nette du patrimoine public et en encourageant l’équité intergénérationnelle. Il est cependant risqué de se focaliser exclusivement sur le solde opérationnel et le solde courant au moins pour les trois raisons suivantes. Premièrement, le gouvernement considère le solde opérationnel calculé en excluant la composante inflationniste des paiements nets d’intérêts du solde conventionnel. En effet, le déficit opérationnel peut être un concept problématique quand l’inflation est très variable, en raison des difficultés de mesure et d’interprétation des paiements d’intérêts réels. Singulièrement, parce que les taux d’intérêt sont une fonction de l’inflation attendue, l’utilisation des taux d’inflation courants -comme c’est le cas de la RD-Congo- pour calculer le déficit opérationnel peut s’avérer trompeuse si des chocs importants d’inflation non anticipés apparaissent au cours de la période.
Deuxièmement, les politiques centrées sur le solde courant peuvent donner lieu à de mauvaises utilisations des fonds publics en réduisant certains investissements qui peuvent avoir un rendement plus élevé. La hausse des dépenses publiques induit une anticipation de la hausse des impôts qui fait baisser le revenu anticipé des agents. Ainsi, compte tenu du fait qu’elle rend nécessaire une hausse des impôts, la hausse des dépenses publiques réduit à terme la production potentielle. Ceci pose problème, en particulier lorsqu’il s’agit d’investissements en infrastructures, d’innovations, i.e. dans le cas de la RD-Congo de procédés d’imitation et d’adaptation des progrès techniques provenant de l’étranger, de recherches -qui peuvent permettre d’augmenter la productivité de l’économie- ou de certaines dépenses utiles aux ménages -capital humain, retraite. Si l’on exclut l’investissement public des objectifs budgétaires, cela risque de faire pencher les choix budgétaires dans un sens défavorable à ce type de dépenses et d’empêcher le secteur privé de participer au développement des infrastructures.
Troisièmement, la consolidation budgétaire -réduction du déficit public- que le gouvernement Matata cherche à obtenir par la réduction des dépenses a, sans doute, des effets favorables -au pire, neutres- sur le niveau de l’activité économique. Ceux-ci peuvent passer par au moins deux canaux de transmission. Tout d’abord, la baisse des dépenses publiques entraîne une anticipation de baisse durable des taux d’intérêts à court terme qui fait baisser immédiatement les taux longs, ce qui augmente l’investissement. Cette baisse des taux d’intérêt peut être induite par l’anticipation d’une demande plus faible, par l’anticipation qu’une dette publique plus faible incitera le gouvernement à choisir un taux d’inflation plus bas, ou par la baisse de la prime de risque liée au risque de défaut sur la dette publique. Enfin, la baisse des dépenses publiques induit une anticipation de baisse des impôts qui augmente le revenu anticipé des ménages. La baisse anticipée des impôts entraîne une anticipation d’augmentation de la production et du revenu, car les agents anticipent le fait que les effets distorsifs de la fiscalité seront réduits. En raison de ces anticipations, la hausse de la consommation présente est supérieure à la baisse initiale des dépenses publiques -Perotti, 1999. Toutefois, dans un pays comme la RD-Congo, l’argument selon lequel les agents anticipent la politique budgétaire future peut poser la question de leur capacité à faire la distinction entre les chocs permanents et ceux temporaires, à évaluer les risques d’insolvabilité, à intégrer les conditions d’équilibre à terme des finances publiques, à juger si un déséquilibre sera résolu par une baisse des dépenses ou une hausse des recettes -voir par exemple, Feldstein, 1982.
Tout bien considéré, la baisse du budget de l’Etat par le gouvernement Matata, consécutive à la hausse constatée du déficit public depuis le début de l’année 2016, s’avère contestable parce que les déficits courants et opérationnels sur lesquels repose la politique d’austérité du gouvernement, sont des déficits cycliques, qu’ils résultent du jeu des stabilisateurs automatiques ou de décisions discrétionnaires.
A mon avis, la stratégie budgétaire du gouvernement Matata selon laquelle les dépenses publiques doivent être réduites en période de mauvaise conjoncture ne sera donc pas efficace. L’idée centrale est qu’une évaluation correcte des stratégies budgétaires à moyen terme requiert de déterminer la mesure dans laquelle les variations des soldes budgétaires courants sont le reflet des facteurs structurels, en particulier les mesures discrétionnaires de politique budgétaire, plutôt que des mouvements cycliques. Une telle distinction s’avère importante car les variations du solde budgétaire attribuable au cycle des affaires -ou aux fluctuations à court terme de la demande globale- peuvent être considérées comme auto-correctrices, alors que les variations des déficits dues aux facteurs structurels peuvent être compensées uniquement par des mesures discrétionnaires. Enlever la composante cyclique auto-correctrice du solde budgétaire observé fournit donc une indication plus précise des positions budgétaires à moyen terme. L’indicateur qui en résulte est donc le solde budgétaire structurel ou le déficit corrigé des fluctuations cycliques.
Afin d’évaluer le déficit structurel, les économistes et les organisations internationales utilisent très souvent une méthode en deux étapes. La première étape consiste à obtenir une évaluation du PIB potentiel à partir d’un filtrage -le plus souvent de type Hodrick-Prescott- ou en estimant une fonction de production. La seconde étape permet le calcul du solde public que l’on observerait si le PIB se situait à son niveau potentiel.
Si le gouvernement Matata raisonnait en termes de déficit structurel, c’est-à-dire s’il corrigeait le déficit des effets mécaniques du cycle économique, il serait peut-être étonné d’apprendre que le déficit n’a pas augmenté, mais qu’il s’est stabilisé. Selon nos estimations, au moyen de cette méthode en deux étapes, le solde structurel: 1,9% depuis le début de cette année, est supérieur aux prévisions du FMI, 1,1% du PIB en 2016. Selon l’OCDE -2016-, la RD-Congo figure parmi les pays d’Afrique -Burkina Faso, Comores, Éthiopie, Gabon, Guinée-Bissau, Mauritanie, Nigéria, Soudan, Swaziland et Zimbabwe-, qui se sont retrouvés avec un déficit raisonnable, autour de 3% du PIB, voire moins en 2015.
2. En voulant réduire les déficits, on a réduit la croissance
Le débat sur la différente nature des déficits est crucial dans une économie en rattrapage et relativement ouverte, comme la nôtre. Ce débat ne doit pas tourner court, la question consistant à savoir où l’on met le curseur entre les investissements et les dépenses courantes afin d’augmenter notre produit intérieur brut par personne et de réussir à nous en sortir pour éventuellement atteindre des produits intérieurs bruts par personne comparables à ceux des pays industrialisés. La distinction que je propose entre le déficit courant, qui porte toutes les incertitudes de la conjoncture, et le déficit structurel, permettant de savoir à quoi le gouvernement RD-congolais doit s’engager, ne doit pas être écartée dans la politique d’ajustement budgétaire.
Il était grand temps de voir le gouvernement Matata, jusque-là arc-bouté sur la baisse du budget de l’Etat, de comprendre qu’il était dans l’erreur. Je mets en garde contre le risque que fera peser sur l’économie la poursuite de la baisse du budget de l’Etat -de déficit public- en ce temps de ralentissement de l’activité. Le gouvernement Matata est en train de créer de toutes pièces une crise artificielle. Il est grand temps de désarmer ce piège dans lequel notre économie va tomber en 2016. Les effets de la politique d’austérité seront nombreux.
La réduction du budget aujourd’hui, l’objectif qui consiste à passer d’un budget 2016 en cours d’exécution, d’USD 8 milliards à un déficit à USD 6 milliards, rend obligatoire une purge de plusieurs points du PIB. Il s’agit d’un effort monstrueux. Le problème est que les effets macroéconomiques de cette purge conduisent, au bout du compte, à une course-poursuite entre les objectifs que le gouvernement se fixe et ceux effectivement atteints. Et je pense que cette course sera vaine, elle sera autodestructrice.
Dans une économie en rattrapage, comme celle de la RD-Congo, chaque fois que l’on réduit les dépenses publiques ou que l’on augmente les impôts, on affecte l’activité économique et par là-même les rentrées fiscales: il y a une déperdition énorme des efforts. Le résultat effectivement atteint en bout de course, en termes de réduction du déficit, est inférieur à l’effort engagé. Il est évident que lorsque l’on réduit notre déficit de quelques points de PIB, on réduit également la croissance de quelques points. C’est ce que l’on appelle le «multiplicateur». Avec le financement du déficit au moyen de l’augmentation d’impôt, il y a donc une déperdition, en termes de recettes publiques. Le gouvernement Matata se rendra compte trop retard qu’en réalité, pendant cette crise, l’impact de sa politique d’austérité sur la croissance est plus important. Cela peut s’expliquer: les gens changent de comportement, ils retirent moins d’argent sur leur épargne, les entreprises freinent leurs investissements, etc. En conclusion, il n’est pas du tout efficace de mener une politique de rigueur en période de crise. C’est ce que toute la science économique nous a appris depuis les années 30: il ne faut pas adopter la rigueur en période de crise. C’est en période de croissance qu’une telle politique convient, alors que durant une période de crise, il est nécessaire de laisser filer les déficits -voir aussi, Cohen, 2011.
Nous avons perdu presque deux ans -depuis le gouvernement Matata 2- à cause d’une vision fausse de l’économie. La troïka stratégique envisage à tort un multiplicateur budgétaire négatif en RD-Congo, c’est-à-dire, comme Bertola et Drazen -1993- l’ont affirmé, que le point de vue conventionnel ne s’applique pas nécessairement dans les pays où, dès le départ, les déséquilibres et la dette publique sont importants. Au contraire, l’austérité budgétaire peut être expansionniste. En réalité, ce n’est pas le cas de la RD-Congo qui a un déficit structurel et un taux d’endettement faibles aujourd’hui. Selon le point de vue conventionnel de l’austérité budgétaire -présenté comme le point de vue Keynésien-, une réduction des dépenses publiques réduira la demande globale et la production. Il est temps d’utiliser la marge de manœuvre ouverte par le taux d’endettement faible pour donner une chance à la croissance économique, et interrompre l’hémorragie de ralentissement de la croissance et pérennisation d’un chômage de masse.
III. La dette publique est un bon outil pour soutenir l’activité économique
Ma présentation faite plus haut des différents types de déficit est fondée. Mais au-delà de ses vertus pédagogiques, les véritables questions consistent à savoir à quel moment les déficits publics réduisent l’activité; à quel moment les dettes publiques deviennent tellement importantes qu’elles ne peuvent plus être absorbées par les marchés financiers et enfin, à quel moment les taux d’intérêt font la police et remontent.
En RD-Congo, où le taux de chômage atteint le chiffre astronomique -taux de chômage de 40% de l’ensemble de la population active et 80% de la population active jeune-, il est temps de réfléchir à un plan de relance, qui mobilise de manière contra-cyclique les fonds disponibles. Il est encore temps d’éviter les erreurs des politiques économiques de la Troïka stratégique, mais, il faut faire vite.
Notre pays n’a pas constitué de réserves en temps utile dans lesquelles il pourrait puiser en cette période de crise. Il s’agit toutefois d’un pays peu endetté aujourd’hui, en mesure d’accroître son déficit budgétaire, notamment par l’emprunt, en cette période de tassement de l’activité, voire de crise, sans perdre la confiance des marchés. Si le gouvernement ne renforce pas rapidement la qualité de nos institutions politiques et économiques, le pays risque de ne plus disposer de ce genre de marges de manœuvre, sera contraint à adopter des mesures budgétaires d’urgence et n’aura guère la possibilité d’opter pour des politiques budgétaires anticycliques. Les expériences des crises de la RD-Congo montrent que les mesures de compression budgétaire d’urgence risquent davantage de nuire à l’investissement, à la croissance et aux indicateurs sociaux étant donné qu’elles sont souvent conçues dans l’urgence et visent des gains financiers à court terme au détriment d’une efficacité à long terme. La résilience de la production dépend alors des mesures prises face aux chocs.
Après avoir montré que le cycle de l’effondrement des cours des produits de base est terminé -fin du choc-, nous discuterons de l’utilité des dépenses publiques et nous nous demanderons pourquoi ces dépenses justifient que l’État s’endette.
3.1 Les cycles des cours des produits de base, 2000-2016
Comme nous l’avons annoncé dans l’introduction, le choix des politiques de la Troïka stratégique n’est pas en phase avec l’évolution du cycle de baisse des cours des produits de base. Pendant plus d’une décennie, l’économie RD-congolaise a surfé sur la vague mondiale des matières premières. La demande mondiale de métaux et ressources énergétiques a dépassé l’offre, poussant les prix à la hausse vers des niveaux quasiment jamais atteints dans certains cas. Durant cette période, la croissance de la RD-Congo s’est principalement appuyée sur le boom des industries extractives et les investissements des compagnies énergétiques et minières étrangères.
L’évolution des cours mondiaux de nos deux produits de base est représentée sur les figures 1, de janvier 2000 jusqu’à juillet 2016. Les prix des produits de base ont augmenté de manière spectaculaire depuis 2000. Cette augmentation soutenue des prix de l’énergie et des métaux a été brièvement interrompue par la récession économique mondiale de 2008 qui a entraîné une interruption d’environ une année, pendant laquelle le cuivre et le pétrole se vendaient à bas prix -graphique 1. En gros, le monde a connu un épisode d’une forte hausse des cours s’est amorcé au début des années 2000 pour atteindre en 2008, dans la plupart des cas, des sommets sans précédent. Après s’être remis de la crise entre 2009 et 2010, les prix de l’énergie et des métaux ont amorcé une nouvelle baisse en 2011, qui s’est accélérée à partir du milieu de l’année 2011 pour le cuivre et du milieu de l’année 2014 concernant le pétrole -graphique 1. Les cours du pétrole brut ont chuté de quelque 66% entre juin 2014 et décembre 2015 et l’indice des prix de cuivre a fléchi de 52% entre juillet 2011 et novembre 2015.
Graphique 1. Cours de Cuivre (prix en US dollars par tonne) et de
Pétrole brut “Brent” (prix en euros par baril)
Sources: auteur à partir des données de l’Institut national de la statistique et des études économiques -INSEE, France- et de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement -UNCTADstat.
Cependant, peu d’indices laissent entrevoir la continuité d’un effondrement des cours. La situation semble s’améliorer depuis le début de l’année 2016, comme témoigne l’évolution des cours du pétrole brut, et des indices des prix du cuivre et de l’or -tableau 1. Il y a des raisons de penser que le troisième supercycle depuis la Seconde Guerre mondiale, va continuer comme prévu dans la littérature portant sur les booms des matières premières. Par exemple, Erten et Ocampo -2012- soutiennent que le monde est encore dans la phase médiane du troisième supercycle des matières premières. Il s’agit de périodes durant lesquelles la tendance des prix à la hausse dure beaucoup plus longtemps que d’habitude -entre 10 et 35 ans- et couvre une large variété de produits. Dorbec -2016- quant elle, suggère que la phase descendante va se poursuivre jusqu’à ce qu’un nouveau «principal moteur de croissance structurelle» émerge, aussi puissant que la Chine au cours des deux dernières décennies, que l’Europe et le Japon dans la période de l’après-guerre et les États-Unis à la fin du 19ème siècle.
Tableau 1. Tendances des cours des produits de base depuis début 2016
pour le cuivre, l’or et le pétrole
Mois Cours du cuivre Cours de l’or Cours du pétrole
2016 Janvier 4541 1097,6 30,8
2016 Février 4704,5 1201,4 33,2
2016 Mars 4855 1244,9 39,1
2016 Avril 5044,5 1242,5 42,3
2016 Mai 4698 1 259,6 41,7
2016 Juin 4826 1 276,7 43,2
2016 Juillet 4852 1 337,2 40,8
Sources :auteur à partir des données de l’Institut national de la statistique et
des études économiques (INSEE, France) et de la Conférence des Nations unies
sur le commerce et le développement (UNCTADstat).
Ces informations sur l’évolution récente des cours du cuivre, de l’or et du pétrole -graphique 1 et tableau 1- et les travaux sur les cycles des matières premières en général, laissent entrevoir le début d’une période qui suit immédiatement l’effondrement des cours des produits de base, i.e. fin de choc. Nous pensons donc que la RD-Congo peut utiliser la marge de manœuvre des politiques budgétaires et monétaires disponible. La RD-Congo est aujourd’hui libérée de contraintes liées à la soutenabilité de la dette et peut laisser jouer le stabilisateur automatique.
3.2 Dette, déficit public et dépenses publiques
3.2.1 Existe-t-il un risque de fuite en avant de l’endettement?
Il est très important, quel que soit l’état des finances publiques, de continuer à investir. L’argent que l’on emprunte aujourd’hui, s’il est bien investi, rapportera plus à l’Etat que ce qu’il coûte en intérêts et en capital. La RD-Congo peut emprunter chaque année des milliards de dollars sur les marchés financiers et elle peut le faire dans des conditions qui restent bonnes, son taux d’endettement étant faible. Si l’emprunt RD-congolais est réalisé sur les marchés financiers et si les taux d’intérêt demeurent bas, la probabilité que l’opération soit rentable est élevée. Dans ce cas, ce ne sera pas une fuite en avant.
Il existe une abondante littérature sur l’impact des déficits et des dettes publics sur la croissance de long terme. Parmi les travaux les plus récents et les plus connus figurent ceux de Reinhart et Rogoff -2009- qui s’appuient sur une analyse historique de 8 siècles et 66 pays et mettent en évidence l’existence d’une relation systématique entre croissance du PIB et niveau de la dette publique. Ils estiment, entre autres, que la relation est faible pour des ratios de dette inférieurs à 90% du PIB et qu’au-delà de ce seuil, la croissance ralentit de manière significative. En effet, au-delà de ce dernier, le taux de croissance médian chute d’environ 1% et la moyenne diminue davantage -environ 4%. Ce résultat vaut aussi bien pour les pays développés que pour ceux en développement. Plus récemment, une étude empirique du FMI -perspectives économiques régionales de 2016 sur l’Afrique, pp. 26-46- a montré qu’un «accroissement des dépenses publiques courantes en termes réels pendant les années qui suivent immédiatement un choc est clairement associé à de moindres pertes de production, mais uniquement quand le ratio dette extérieure/PIB est inférieur à 40%».
Considérons chacun de ces ratios dette-PIB comme un niveau optimal d’endettement noté Ensuite, supposons que l’encours de la dette publique, ,qui est inférieur à ce niveau optimal < : le gouvernement peut continuer d’utiliser le mode de financement par financement par endettement public, car, il lui permettra d’accumuler des recettes supplémentaires, ce qui contribue à l’amélioration de la santé des finances publiques -cf. graphique 2a et 2b. La situation est différente cependant, si dépasse : les créanciers émettront des réserves sur la capacité de remboursement de l’État emprunteur. En conséquence, il existe deux différents impacts sur la santé des finances publiques liés aux niveaux de dette publique/extérieure: ,i.e. l’impact financier positif sur la santé la santé financière de l’État et, , i.e. l’impact financier négatif sur la santé financière de l’État. La différence entre les impacts correspond à un impact net financier net, noté :
(1)
Cette relation s’interprète comme suit: si l’impact financier est positif, la dette exerce un levier financier sur la santé financière de l’État -i.e. elle améliore la santé financière de l’État en apportant plus de ressources financières pour augmenter la capacité d’investissement- alors que s’il est négatif, on est face à une massue financière -i.e. détérioration de la santé financière de l’État. Si est égal à zéro , cela signifie qu’on a atteint le niveau optimal de la dette publique -ou extérieure- d’un point de vue financier -cf. graphique 2a et 2b.
En prenant en compte les résultats de Reinhart et Rogoff -2009- et du FMI -2016- ainsi que le niveau d’endettement actuel de la RD-Congo, on peut démontrer la marge de manœuvre dont dispose le gouvernement, à partir d’une adaptation de la courbe de Laffer. En adoptant l’approche en termes d’optimalité financière, on met en évidence le rapport les recettes de l’État et la dette , ce qui correspond au taux d’endettement en pourcentage des recettes publiques . Les ratios de la dette publique et de la dette extérieure en pourcentage du PIB de la RD-Congo sont respectivement de près de 15% et près de 19% -voir, FMI, 2016. Ces taux d’endettements sont inférieurs respectivement, au taux d’endettement optimal du FMI qui est de 40% -cf. le graphique 2a- et au taux d’endettement optimal de Reinhart et Rogoff, qui est de -cf. graphique 2b.
Ces écarts entre les taux d’endettement effectifs -encours de la dette publique/extérieure, et les taux d’endettement optimal -niveau optimal d’endettement, constituent une capacité d’amortissement budgétaire pour pouvoir soutenir l’activité économique et contrer le ralentissement de la croissance. Une relance par voie budgétaire permet donc d’atténuer les pertes de croissance après la crise. Ce faible endettement est un indicateur de la marge de manœuvre dont dispose aujourd’hui le gouvernant RD-congolais.
Graphique 2a. Courbe de l’optimalité financière de la dette publique
Graphique 2b. Courbe de l’optimalité financière de la dette extérieure
Ainsi, la RD-Congo peut aujourd’hui emprunter à des taux d’intérêts faibles, et certains investissements engendreront des retours d’investissement plus importants -je l’ai déjà dit. Il n’y a pas de fuite en avant, car, le danger de la dette publique est encore éloigné.
Le tableau 2 suivant, tiré des données du FMI, permet de se faire une idée de l’évolution de la dette cumulée des administrations publiques RD-congolaises, ces dernières années. Les chiffres sont en pourcentage du PIB.
Tableau 2: Evolution de croissance du PIB, des prix à la consommation, des dettes publiques, des recettes publiques, des dépenses publiques et des dons en RD-Congo, 2004/2008-2016
2004/2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
Croissance du PIB réel (en %) 6,1 2,9 7,1 6,9 7,1 8,5 9,2 7,7 4,9
Croissance du PIB réel, hors pétrole (en %) 5,9 2,8 7,2 7 7,2 8,6 9,2 7,8 5
Prix à la consommation (Fin de période, variation en %) 17,2 53,4 9,8 15,4 2,7 1 1,2 0,9 2,5
Prix à la consommation (% moyenne de variation annuelle) 14,7 46,2 23,5 15,5 2,1 0,8 1 1 1,7
Dette extérieure publique par débiteur (en % du PIB) 88,9 74,8 24,2 20,7 18,3 15 13 15,2 16,6
Dette publique (en % du PIB) 105 93,2 31,9 26,3 23,2 19,1 16,8 18,8 19,8
Recettes publiques, hors dons (en % du PIB) 8,6 10,7 12,1 11,8 14,4 12,9 13,3 13,6 13,8
Dépenses publiques (en % du PIB) 10,6 13,9 17,7 15,7 15,4 12,2 13,3 14,2 15,6
Dépenses d’investissement (en % du PIB) 12,7 14,8 12,3 12,2 12,7 15,3 15,7 15,6 14,9
Dons (en % du PIB) 1,6 4,5 8,1 3,4 2,9 2,4 1,2 2,5 2,9
On peut dégager quelques constats simples de ce tableau. D’abord, depuis 2004 jusqu’en 2015, en pourcentage du PIB, la dette publique baisse de près de 39% tous les cinq ans et depuis 2009 jusqu’à 2015, elle baisse de près de 33% chaque année. En 7 ans -entre 2009 et 2015-, la dette publique a baissé plus vite et le PIB réel a augmenté plus vite. Ensuite, depuis 2009, les dépenses des administrations publiques excèdent systématiquement leurs recettes, mais l’écart entre recettes publiques et dépenses publiques se réduit. Il passe de 3,2 -en 2009- à 0,6 -2015- points de PIB. De plus, les dépenses d’investissement, a priori celles dont il y a le plus de valeur ajoutée induite à espérer, augmentent mais faiblement depuis plus de 10 ans. Elle évolue à 14% en moyenne du PIB entre 2009 et 2015. On observe enfin une concordance entre baisse de la dette publique, baisse de l’inflation des prix à la consommation et augmentation de la croissance du PIB. Même si corrélation ne veut pas nécessairement dire causalité, on remarque, toutefois, que des niveaux faibles de dette sont corrélés avec de forts taux de croissance depuis 2010. La dette publique RD-congolaise baisse alors que les dépenses de l’Etat n’augmentent pas beaucoup.
Rappelons-le que cette analyse ne présente qu’une vue partielle du problème: la dette publique est alimentée par l’ensemble des décisions prises par un État, mais aussi par la conjoncture internationale et la croissance de l’économie. Afin de montrer que ce résultat de l’absence de fuite en avant en ce qui concerne la dette et la dépense publiques s’avère fiable, nous analysons l’évolution de la dette extérieure et du solde budgétaire, qui, tous deux sont les indicateurs d’appréciation de la situation des finances publiques. Ils sont très largement utilisés dans la littérature parce qu’ils permettent une analyse croisée du déficit et de la variation de la dette, c’est-à-dire des ajustements flux-stocks. Cela peut permettre d’anticiper de larges révisions du besoin de financement. Ici, nous utilisons que le ratio dette extérieure/PIB pour représenter la marge de manœuvre budgétaire en l’absence de longues séries temporelles sur la dette publique.
Le graphique 3 montre que la dette extérieure de la RD-Congo a fortement augmenté au cours de la période 1970-2000. La récurrence des déficits budgétaires dans un contexte économique morose a conduit, durant ces trois décennies, à une augmentation considérable du poids de la dette en RD-Congo. Depuis le début des années 2000, la dette a considérablement baissé, grâce à la communauté financière internationale qui a œuvré en vue de ramener à un niveau soutenable la charge de l’endettement extérieur des pays pauvres les plus lourdement endettés, comme la RD-Congo. Effectivement, cette question de la dette publique est moins problématique depuis les réductions et effacements de dettes obtenus à la suite de l’accession de la RD-Congo au point d’achèvement de l’Initiative en faveur des Pays pauvres très endettés -Initiative PPTE- en 2010. Ceci a sans doute renforcé la résilience de l’économie RD-congolaise, car, le taux de croissance économique s’est établi globalement à 7,7% par an sur la période 2010-2015, et par conséquent, comme on l’a dit précédemment, le PIB a augmenté plus vite que la dette extérieure. Comme le montre le graphique 3, le taux d’endettement extérieur a baissé de 258,6% du PIB en 1999 à 18,8% du PIB en 2015 et selon les estimations du FMI, il atteindra 19,8% en 2016. FMI, dans son communiqué de presse n°09/455 du 11 décembre 2009, décrivent le niveau élevé de la dette de la RD-Congo avant l’effacement comme suit: «La RD-Congo est surendettée, l’encours de sa dette extérieure s’élevant à environ 13,1 milliards de dollars EU et le service de la dette absorbant à peu près un quart du total des dépenses. À la fin 2008, la dette extérieure contractée ou garantie par l’État était estimée à 93% du PIB, 150% des exportations et 502% des recettes publiques, aide étrangère non comprise».
Contrairement au discours du Premier ministre Matata Ponyo selon lequel la stabilité du cadre macro-économique qu’a connue la RD-Congo était causée par l’efficacité des politiques monétaire et budgétaire, je pense qu’elle était plutôt due à un concours de circonstances favorables et des facteurs structurels liés à la mondialisation, dont l’effacement de notre dette à travers «Initiative PPTE». Ainsi, la préservation de la stabilité macroéconomique ou la résilience de la croissance économique de la RD-Congo entre 2012 et 2015 pourraient plutôt s’expliquer par son faible endettement qui a atténué les effets de l’effondrement des cours de ses produits de base.
Enfin, nous remarquons que l’excédent budgétaire global diminue et que celui-ci devrait atteindre, d’après les prévisions du FMI, 1,1% du PIB en 2016, contre environ 3% en 2013 -graphique 3. Le solde budgétaire, dons compris -en % du PIB- continue à s’affaiblir, mais la RD-Congo n’a pas enregistré de déficit malgré la chute des cours des produits de base, ce qui peut s’expliquer par la baisse de la dette extérieure ainsi que des charges d’emprunt. Ceci confirme mon argument précédent selon lequel depuis l’effacement de la dette extérieure, la marge de manœuvre est devenue plus importante dans la mesure où la dette extérieure ne dépasse pas le seuil au-delà duquel la relance par voie budgétaire ne semble plus renforcer la résilience de la production.
Quel enseignement en tirer? A partir de ces constats simples, l’idée selon laquelle «on a une fuite en avant dans la dette et la dépense publiques» peut être assez facilement évacuée. L’alternance du gouvernement Muzito au gouvernement Matata n’indique pas une fuite en avant dans la dette et la dépense publiques. La réduction de la dette publique ne s’est pas traduite automatiquement par l’austérité, elle a au contraire fini par représenter un signe d’une meilleure efficience dans la gestion des deniers publics. J’estime que la hausse des déficits est souhaitable à court terme même si on peut craindre les effets à long terme. Ce problème est supposé être d’autant moins important que la RD-Congo ne connaît pas de difficultés structurelles en termes de finances publiques découlant de la combinaison de programmes sociaux généreux et du vieillissement de la population, car seule une petite part des dépenses sociales est dirigée vers les plus âgés. C’est pourquoi, aujourd’hui, je milite pour une stimulation budgétaire plus importante et un non resserrement budgétaire. Nous pensons que la mise en place de budgets «soutenables» ne peut pas être empêchée par les engagements en matière sociale.
Source: auteur à partir des données de la Banque Centrale du Congo et du Fonds Monétaire International
Toutefois, si le gouvernement RD-congolais levait USD 1 milliard sur les marchés financiers internationaux en 2016, on peut se demander si cet emprunt financerait effectivement des investissements dans les infrastructures, étant donné que Matata ne dirigera pas le gouvernement au-delà du dernier mandat du Président Joseph Kabila qui arrivera à terme le 19 décembre 2016 et qu’aucun successeur ne sera élu d’ici là. A cette crise politique s’ajoute le problème de la gouvernance économique. Par exemple, en 2012, le FMI a suspendu son programme d’aide à la stabilisation du cadre macroéconomique à cause notamment d’un contrat de la Gécamines qui ne respectait pas les normes de transparence. A cela s’ajoutent plusieurs cas de prévarication et d’abus dans la gestion de la chose publique. Par exemple, Matungulu Mbuyamu Ilankir -2016-, dans sa tribune du 5 janvier 2015, fait l’analyse suivante «L’opération soulève d’autant plus d’appréhensions que le sombre bilan du régime en matière de corruption et d’abus dans la gestion de la chose publique est connu de tous. Ce qui suscite des doutes légitimes quant à la capacité et même la volonté du gouvernement en place de faire bon usage du fruit de cet emprunt. En effet, nous avons encore fraîchement en mémoire le détournement de dizaines de millions de dollars de salaires des fonctionnaires mis en lumière par le ministre du Budget au mois d’octobre dernier et dont les coupables restent à ce jour inconnus. Plus récemment, une mission d’enquête parlementaire a établi la dilapidation d’USD 140 millions au Fonds de promotion de l’industrie -FPI- sous forme de «crédits impayés» consentis à divers caciques du régime». On peut aussi citer l’affaire dite «du fonds d’investissement américain Och-Ziff», qui a corrompu des responsables RD-congolais entre 2007 et 2011. Ce fonds vient de payer USD 413 millions d’amende pour cela.
Tous ces facteurs diminuent la confiance des marchés et la notation de notre dette, et cela risque d’augmenter le taux d’intérêt et la charge de la dette. Il est temps que le gouvernement améliore la bonne gouvernance afin de favoriser l’accès aux marchés internationaux de capitaux, ce qui passe par l’application de règles et lois qui existent déjà.
3.2.2 Le financement par endettement public est plus approprié que les prélèvements obligatoires aujourd’hui pour la RD-Congo
Comme je l’ai dit plus haut, contrairement à plusieurs pays exportateurs de produits de base, la RD-Congo n’a pas accumulé beaucoup de réserves en temps utile pendant la vague de prospérité, ce qui aurait dû lui permettre, sans doute, de procéder progressivement à l’ajustement nécessaire en puisant dans sa réserve. En ce moment de tassement de l’activité, le gouvernement doit alors emprunter pour financer des déficits, puisque les recettes fiscales ne sont pas suffisantes pour couvrir les dépenses publiques, mais aussi pour rembourser certaines dettes déjà accumulées qui arrivent à échéance.
Une abondante littérature a montré qu’en effet, le recours à l’endettement public peut être un choix plus intéressant lorsqu’un gouvernement souhaite financer le déficit public, car ce mode de financement permet de surmonter, en partie, les différentes limites institutionnelles susceptibles d’empêcher le gouvernement d’opter pour le financement fiscal ou pour le financement monétaire dudit déficit -voir par exemple, Nersisyan et al. 2011 et Samizafy, 2013, pour un bilan récent. Parmi les trois principaux modes de financement -obligataire, fiscal et monétaire-, le gouvernement RD-congolais doit privilégier celui qui lui permet de répondre avec le plus d’efficacité aux impératifs financiers relatifs à des finances publiques «saines», autrement dit, à celui qui a un moindre impact négatif sur la santé financière de l’État. Sans respecter une telle règle de bon sens, le gouvernement peut, en effet, précipiter l’État et le pays tout entier dans d’autres difficultés plus graves, telles qu’une crise financière ou une récession économique. Notre but ici, est de montrer pourquoi le gouvernement RD-congolais doit choisir en priorité le financement obligataire avant d’opter pour le financement monétaire ou le financement fiscal.
Le gouvernement RD-congolais peut mettre en place une politique de hausse des prélèvements obligatoires pour financer le déficit public mais, cette politique serait aujourd’hui inappropriée et inefficace -notamment, à partir d’un certain niveau- compte-tenu d’une base d’imposition inadéquate et d’une capacité limitée de l’Etat RD-congolais à collecter les impôts. Les contraintes administratives -et parfois politiques- sur la capacité du fisc à collecter les revenus conduisent à la fixation de taux d’imposition élevés sur une base d’imposition étroite. Par exemple, le harcèlement fiscal constitue l’une des raisons de l’envolée des prix de l’internet, évoquées par les opérateurs téléphoniques ces derniers jours. La conséquence est la persistance de la fraude fiscale récurrente et de l’économie informelle, deux caractéristiques de l’économie RD-congolaise. La hausse des prélèvements obligatoires réduirait donc les recettes publiques et, de ce fait, dégraderait la liquidité et la solvabilité de l’État. Ainsi, des impôts élevés diminuent les recettes de l’État par rapport à ce que des impôts modérés auraient pu lui apporter. Autrement dit, lorsque l’impôt est poussé trop loin, il détruit la base sur laquelle il porte, ce qui engendre une perte, non seulement pour les entreprises et les ménages mais, également, pour l’État, en matière de recettes fiscales. Le gouvernement doit seulement renforcer la capacité limitée à collecter les impôts.
Par ailleurs, parce qu’une capacité administrative limitée et des contraintes politiques empêchent la collecte des impôts, la RD-Congo peut recourir au seigneuriage. Comme on l’a analysé plus profondément dans un autre article -à paraître-, une faible inflation ne maximise pas aujourd’hui les revenus de seigneuriage. De ce fait, le gouvernement peut continuer à financer le déficit public par la création monétaire jusqu’au niveau du seigneuriage optimal ou niveau d’inflation optimal. Le seigneuriage fait aujourd’hui partie des marges de manœuvre dont dispose le gouvernant RD-congolais pour relancer la production après l’ampleur du choc des prix des produits de base. Mais, si le gouvernement finance le déficit public uniquement par seigneuriage, sans aussi s’endetter, compte tenu de l’expérience malheureuse de la crise des années 1990, les agents anticiperont de manière rationnelle l’érosion de leurs encaisses par l’inflation, ce qui les inciterait à épargner donc à moins consommer pour reconstituer la valeur réelle de leurs encaisses. La baisse de la consommation réduirait l’investissement et la croissance économique.
De ce fait, en dépit des toutes ses limites de financement obligatoire et/ou de financement du seigneuriage, il nous semble que l’endettement public est aujourd’hui la meilleure source de financement. Les ressources financières que le gouvernement peut lever sur le marché de la dette souveraine sont aujourd’hui très importantes et stables. En effet, comme le rappelle l’OCDE -2003-, ce marché est, généralement, le plus actif, le plus vaste et le plus liquide parmi les marchés de capitaux. Braun et Briones -2006- montrent que le volume de transactions y est considérable et dépasse aisément celui des marchés des actions ou des marchés des obligations privées. Par ailleurs, avec l’ouverture accrue des pays aux échanges internationaux, l’accès à l’épargne étrangère est facilité et amélioré -Azzimonti et Francisco, 2011. Le monde entier constitue donc un gisement de financement pour les États.
Ainsi, nous pensons que, même si le marché domestique de la dette souveraine est sous-développé et l’épargne nationale insuffisante pour faire face aux besoins de financement de l’État RD-congolais, le gouvernement peut, en principe, donner l’agrément de spécialistes en valeur du Trésor à des non-résidents, i.e. à des créanciers étrangers -banques étrangères, banques multinationales et autres institutions financières étrangères-, qui lui apporteront les ressources financières dont il a besoin. Il faut pour cela que l’État RD-congolais ne soit pas discriminé par les créanciers domestiques ou étrangers ni faire l’objet d’un rationnement sur le marché de la dette souveraine.
Contrairement à la hausse des impôts que les agents auront à supporter en une seule fois, la dette publique est pour sa part à rembourser sur plusieurs périodes, ce qui signifie que la charge fiscale future y afférente est fonction décroissante de la maturité de ladite dette. Autrement dit, plus le délai de remboursement de la dette publique est long, moins le gouvernement aura à augmenter les impôts pour financer ce remboursement. Ainsi, la hausse future des impôts induite par un financement par emprunt préalable du déficit public génèrerait un fardeau moins pesant que celui du financement fiscal. L’effet financier négatif de la dette publique sur la santé financière de l’État s’avère donc inférieur à celui du financement fiscal. Par ailleurs, l’hypothèse de l’équivalence ricardienne a une pertinence plus ou moins forte selon les pays et les périodes, et ce mécanisme nourrit toujours beaucoup de débats entre économistes. Cependant, il a le mérite de rappeler que les individus sont capables d’anticiper, qu’ils adaptent leurs comportements aux changements de politique économique, et que ces comportements peuvent contrecarrer les effets attendus de certaines politiques économiques. D’autre part, pour la RD-Congo, en revanche, mes résultats empiriques sont contraires à l’équivalence ricardienne. L’une des principales raisons de ce résultat est que, même si les RD-Congolais peuvent effectuer, de façon systématique, des anticipations de leurs engagements d’impôts futurs, les contraintes de liquidités -qui jouent un rôle pervers en RD-Congo- peuvent les empêcher d’agir sur ces anticipations en ajustant leur comportement de consommation -épargne comme l’aurait prédit la proposition d’équivalence ricardienne.
Un autre avantage de l’endettement public sur le financement fiscal est qu’en effet, contrairement aux prélèvements obligatoires, la dette publique est un mode de financement exogène -i.e. elle vient normalement de l’épargne excédentaire dormante que les détenteurs souhaitent faire fructifier volontairement, Schwengler, 2012-, ce qui signifie que les ressources financières qu’elle apporte ne souffrent pas de l’arbitrage des agents économiques entre les services publics qu’ils reçoivent de l’État et les prélèvements obligatoires qu’ils versent à celui-ci. Ces ressources sont alors entièrement recouvrées par l’État. Par ailleurs, en tant que mode de financement exogène, la dette publique n’exerce pas de ponction directe et immédiate sur le pouvoir d’achat des ménages ou sur la capacité de financement des entreprises. Ces agents économiques ne sont donc pas contraints de modifier leurs comportements de manière significative. Les ménages n’ont pas à réduire leur consommation tout comme les entreprises n’ont pas à faire baisser leurs investissements. S’ils le font, ce sera certainement de manière très faible. Par conséquent, la base fiscale ne sera pas entamée car l’effet distorsif est inexistant ou marginal, ce qui permet à l’État de collecter normalement -conformément aux prévisions- les impôts et les cotisations sociales.
Il nous semble donc nécessaire que l’Etat RD-congolais s’endette pour que le gouvernement ne puisse pas procéder à des ajustements budgétaires massifs et indésirables dans d’autres postes essentiels des dépenses publiques -c’est l’autre avantage de la dette. En effet, en période de faible croissance, les rentrées fiscales s’amenuisent et les dépenses publiques, telles que le salaire des personnels publics et l’indemnisation des retraites par exemple, augmentent, ce qui peut creuser un déficit public. Dans l’optique de combler ce déficit, la possibilité d’augmenter les impôts et/ou de diminuer les dépenses peut faire courir le risque d’amplifier et de prolonger le ralentissement de l’activité économique jusqu’à la récession. La dette peut donc apparaître comme un moyen de soutenir un certain nombre de dépenses publiques tout en permettant de ne pas être trop contraint par la diminution des recettes fiscales.
Le dernier avantage de la dette c’est qu’elle permet surtout de soutenir plusieurs dépenses publiques qui peuvent s’avérer fondamentales, favoriser la croissance potentielle à long terme, comme par exemple les dépenses d’investissement public dans les infrastructures des transports et communications qui intensifient les échanges, entraînent des économies d’échelles et abaissent les coûts de production. Le gouvernement RD-congolais a réalisé certains investissements dans ce domaine des transports: la création d’une compagnie aérienne publique, Congo Airways et d’une compagnie publique de bus TRANSCO à Kinshasa; le renforcement des entreprises publiques ferroviaires ONATRA -remise en activité de grands bateaux: l’ITB Kokolo et le M/S Gungu- et SNCC -achat en cours des trains de la ligne Kinshasa-Matadi. On peut enfin citer la construction du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo, qui à mon avis n’est pas un modèle agricole approprié pour la RD-Congo. Ces infrastructures de transport et de communications vont accélérer le processus de développement en cours en rendant par exemple moins coûteux mais relativement efficaces les investissements dans l’agriculture -rurale, familiale… Cela représente déjà un progrès, mais reste très insignifiant par rapport au besoin national. L’emprunt public peut à la fois permettre le développement de ces entreprises publiques qui vivent encore avec des subventions de l’Etat et de financer les autres projets d'infrastructures socialement productives:
1. le système juridique et le système d’éducation qui sont suffisamment favorables pour que les entrepreneurs puissent exercer leurs talents, profiteront de la diffusion des connaissances et convergeront ainsi vers les nouvelles technologies;
2. la santé qui permet d’allonger l’espérance de vie, baisser la mortalité infantile et les dépenses qui permettent à des personnes en bonne santé d’être plus productives, plus aptes à s’adapter aux nouvelles technologies et, de manière plus générale, aux mutations;
3. les politiques de l’emploi et de la lutte contre la pauvreté;
4. les recherches publiques fondamentales et celle des universités qui augmentent le stock des connaissances dont dispose la société et sont susceptibles d’ouvrir des voies nouvelles à la recherche des entreprises, ce qui en retour influe sur la productivité;
5. etc.
Par conséquent, l’emprunt public pourrait permettre à l’Etat RD-congolais de rationaliser ses moyens pour pouvoir payer les coûts des réformes sur le long terme déjà engagées. En d’autres termes, grâce à l’emprunt, l’Etat RD-congolais peut gérer le coût de transition des réformes. Les réformes à court terme peuvent aider à financer les réformes sur le long terme. Cet argument sous-entend que tous les investissements publics nécessaires contribuent à améliorer le bien-être et la productivité de l’ensemble de l’activité économique. C’est donc l’investissement dans la croissance qui est la première fonction de l’Etat: investissement du côté de l’offre dans l’approche d’une troisième voie, «Etat autrement». Les dépenses publiques ont un effet à long terme du côté de l’offre. Elles contribuent à améliorer la qualité et la productivité de la main-d’œuvre, notamment grâce aux dépenses d’éducation et de santé, qui doivent être des postes importants de la dépense publique. Il y a donc une amélioration du côté de l’offre.
Le rôle de la politique budgétaire, en plus de permettre la production de services publics efficaces et l’allocation des ressources disponibles, consiste également à stabiliser l’activité économique et à assurer la redistribution des revenus entre les agents nationaux -voir Musgrave, 1959. La deuxième fonction de l’Etat est de garantir contre les risques macroéconomiques. Il doit mener des politiques contra-cycliques, ce qui est un type particulier de politique économique qui consiste à stimuler l’économie lorsque celle-ci tend à ralentir, et à la freiner lorsqu’elle s’emballe. C’est la politique contra-cyclique qui fait que les dépenses publiques vont avoir un effet à court terme du côté de la demande. La dépense publique joue un rôle, bien sûr, parce que c’est elle qui contribue à remplir les carnets de commande des entreprises, soit directement par les commandes de la dépense publique, soit indirectement par les dépenses des agents de l’État et des administrations publiques: des enseignants, des policiers, des militaires et de tous les agents administratifs des différents services de l’État. Toutes ces personnes sont des consommateurs, et, bien sûr, si l’on fait maintenant plus de dépenses du côté des dépenses de personnel -le Premier ministre Matata propose le contraire, i.e. de geler les salaires-, il y aura davantage de dépenses de consommation, et ces dernières contribuent à stimuler l’activité économique. Cela incite donc les entreprises à embaucher davantage et distribuer elles-mêmes davantage de revenus. Et s’il y a davantage de revenus distribués dans l’économie, cela stimule l’activité économique, et la productivité totale des facteurs.
IV. Conclusion : résumé des recommandations
Dans cet article, nous avons entrepris ce qui, à notre connaissance, est la première étude systématique d’une hypothèse classique concernant la marge de manœuvre budgétaire dont dispose le gouvernement RD-congolais pour relancer l’économie après le choc provoqué par l’effondrement des cours des produits de base.
Nous avons montré que la décision du gouvernement Matata de réduire le budget de l’Etat 2016 en cours d’exécution, est, d’une part, fondée sur les déficits opérationnels et courants qui sont de mauvaises mesures d’analyse de la situation budgétaire, et d’autre part, qu’elle n’est pas en phase avec l’évolution du cycle de baisses des cours des produits de base. Cet ajustement budgétaire va non seulement échouer, mais il va également augmenter le ralentissement économique. Le fait de contraindre le solde budgétaire à revenir à l’équilibre, diminuera les dépenses et/ou augmentera les prélèvements obligatoires. Dans cette période de tassement de la croissance économique, réduire les dépenses publiques ou les augmenter affaiblit de plus en plus le pouvoir d’achat des ménages et réduit la capacité de financement des entreprises, ce qui par la suite diminuerait la consommation espérée et l’investissement et donc les rentrées fiscales. Avec le financement du déficit au moyen de l’augmentation de l’impôt, il y a donc une déperdition, en termes de recettes publiques. Le résultat effectivement atteint en bout de course, en termes de réduction du déficit, est inférieur à l’effort engagé. La réduction de notre déficit de quelques points de PIB entraînera également la réduction de notre croissance de quelques points. C’est ce «multiplicateur» que nous avons mis en évidence. Nous avons également constaté que les cours du pétrole brut ont chuté et que l’indice des prix des métaux commence à augmenter depuis le début de cette année. Le choix d’un ajustement du budget de l’Etat doit être en phase avec l’évolution du cycle de baisse des cours des produits de base afin d’éviter une lecture erronée de l’orientation de la politique budgétaire.
Je propose cinq mesures. La première est simple à mettre en œuvre: il faut que, dès aujourd’hui, le gouvernement prenne ses décisions budgétaires en termes de déficit public structurel, c’est-à-dire hors effets de la conjoncture et non plus en déficit courant ou opérationnel. Telle est donc la façon correcte d’analyser les finances publiques. Cela est vital, car, on voit les dangers de la course-poursuite entre une croissance qui se dérobe avec l’ampleur du choc des prix des produits de base, et les mesures d’austérité additionnelles du gouvernement Matata pour respecter l’équilibre budgétaire, objectif plus difficile à atteindre du fait des chocs induits par une baisse des prix à l’exportation -pour faire la part des effets asymétriques de l’évolution des prix à l’exportation et à l’importation.
La deuxième mesure qu’il convient de mettre en œuvre est la suivante: le gouvernement RD-congolais doit mettre fin à ses politiques de réduction des dépenses publiques et de financement du déficit par l’augmentation de l’impôt, menées déjà durant l’effondrement des cours des produits de base. Il faut faire de la rigueur en période de croissance, et laisser filer les déficits en période de crise. Il n’est pas responsable de mener un programme d’austérité quitte à sacrifier la croissance. Le gouvernement doit augmenter et maintenir les dépenses productives afin de mettre en œuvre des projets d’investissement public destinés à remédier au déficit d’infrastructures, même si les recettes fiscales tirées du secteur extractif sont encore faibles par rapport à la période du pic du supercycle. Un certain déficit public est souhaitable en situation de croissance ralentie, de chômage, de contrainte extérieure. Il s’agit d’un côté de soutenir la demande car la demande émanant des entreprises se réduit fortement; de l’autre, de gérer l’offre: le déficit public -plutôt que la hausse des charges des entreprises- peut favoriser la compétitivité et l’investissement donc augmenter la production possible à déficit extérieur donné. Au lieu d’augmenter les impôts, le gouvernement RD-congolais doit seulement se contenter de renforcer la capacité du fisc à collecter les revenus en élargissant la base d’imposition qui est encore trop étroite: par exemple la réforme encours de l’impôt sur le revenu va dans le bon sens.
La troisième mesure découle des mesures précédentes. Le gouvernement RD-congolais doit choisir en priorité le financement obligataire avant d’opter pour le financement monétaire ou le financement fiscal. La RD-Congo peut aujourd’hui emprunter parce qu’il y aura des investissements qui engendreront des retours d’investissement plus importants. Par ailleurs, un accroissement des dépenses publiques courantes en termes réels aujourd’hui va amoindrir des pertes de production, parce que le ratio dette/PIB est largement inférieur aux seuils au-delà desquels l’efficacité de la politique budgétaire en tant que moyen d’action anticyclique, s’amenuise. Il n’y a de risque d’une fuite de l’endettement. Techniquement, le déficit public couvert par l’emprunt est un mode de redistribution des charges fiscales entre les générations; il correspond à un choix tout à la fois juste et efficace lorsqu’il s’agit de développement économique; d’autant que ses effets ne diffèrent pas d’un accroissement équivalent des impôts lorsque les individus anticipent correctement la finalité future à laquelle ce déficit donnera lieu. En faisant croître les activités économiques et en diminuant le chômage, le capital humain de la RD-Congo s’accroîtrait. Baisser les dépenses publiques courantes et augmenter l’impôt, ce que le gouvernement Matata est en train de faire, en ayant un taux de chômage très élevé, c’est détruire le capital humain du pays -d’autant plus que le capital humain RD-congolais est de qualité médiocre. C’est en investissant que le gouvernement renforce le pays. La RD-Congo doit laisser son déficit budgétaire se creuser durant plusieurs années en continuant à mettre en œuvre des projets d’investissement public destinés à remédier à son déficit d’infrastructures, les recettes fiscales tirées du secteur extractif ne diminuent plus. En évaluant les politiques publiques, le gouvernement devra notamment s’efforcer de mieux hiérarchiser les nombreux projets d’investissement dans les infrastructures qu’il envisageait d’entreprendre. Afin de limiter les effets négatifs sur leurs perspectives de croissance à moyen terme, il sera nécessaire de privilégier les projets les plus rentables à condition que leur financement soit assuré.
La quatrième mesure est la conséquence de la troisième. Même si l’accès aux marchés internationaux est compromis, la RD-Congo peut le retrouver grâce aux différents systèmes de garantie mis en place au sein du système financier international. L’Etat RD-congolais peut par exemple bénéficier de la garantie d’un autre État partenaire plus solide financièrement et économiquement, par exemple les Etats-Unis, la Chine, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou encore la Belgique. Par ailleurs, il peut, comme souvent, être placé sous les auspices d’institutions financières internationales telles que le FMI et la Banque mondiale ou encore la BAD. L’Etat RD-congolais peut donc accéder à l’épargne étrangère par l’intermédiaire des institutions financières internationales. Le gouvernement doit tout faire pour rétablir la confiance de nos prêteurs. Il lui faut par exemple faciliter la reprise avec le programme du FMI d’aide à la stabilisation du cadre macroéconomique, suspendu depuis 2012 suite à un contrat de la Gécamines qui ne respectait pas les normes de la bonne gouvernance.
Enfin, en donnant le signal d’une amélioration de la qualité de nos institutions -état de droit, qualité de la bureaucratie, qualité de régulation, lutte contre la corruption dans le gouvernement, baisse du risque d’expropriation, de dénonciation des contrats par le gouvernement, efficacité gouvernementale…- notre pays peut profiter d’un cycle vertueux car la bonne gouvernance augmente la confiance des marchés et améliore la notation de notre dette, réduisant ainsi le taux d’intérêt et la charge de celle-ci. Si nous laissons la qualité de nos institutions politiques -démocratie- et économiques -gouvernance- se dégrader, notre pays perdra la confiance de ses prêteurs, «l’intolérance vis-à-vis de la dette» peut créer rapidement un cercle vicieux de hausse du taux d’intérêt et du ratio de la dette, qui conduira à une restriction de l’accès aux marchés du capital et à l’apparition du spectre de la récession. Il risque enfin de compte, de ne plus disposer de ce genre de marges de manœuvre, sera contraint à adopter des mesures budgétaires d’urgence et n’aura guère la possibilité d’opter pour des politiques budgétaires anticycliques.
Albert Tcheta-Bampa
PhD in Economics
University Paris 1-Panthéon-Sorbonne
Centre d’Économie de la Sorbonne -CES
45 minutes de lecture