Ce constitutionnaliste affirmant qu’il y a eu des «écarts» dans la démarche de nomination et d’entrée en fonction des juges constitutionnels, a interpellé le Président de la République en avançant: «le salut du peuple est suprême. Le Chef de l’Etat, en tant que gardien de la Constitution, dans la réponse qu’il doit donner au salut de l’Etat, est lui-même tenu de respecter la Constitution, parce que le peuple a cristallisé son salut dans un texte qui s’appelle la Constitution»
Scientifique. Telle est la tunique enfilée par le Professeur Jacques Djoli jeudi 29 octobre 2020 dans la salle paroissiale de Notre Dame de Fatima, prise d’assaut par les jeunes kabilistes qui, désormais, se déploient pour protéger la Constitution, mise à rude épreuve depuis un temps. Leur message: «Ne viole pas ma Constitution». Le débat autour de la violation a été vivifié par une série d’ordonnances signées par le Président de la République en juillet dernier et portant nomination et mise en place dans la magistrature civile et militaire.
A Fatima, Djoli est entré dans le débat en affirmant qu’il y a eu «quelques écarts dans la démarche». Ecarts pour signifier violation de la Loi fondamentale. «Le salut du peuple est suprême: le Chef de l’Etat en tant que gardien de la Constitution, dans la réponse qu’il doit donner au salut de l’Etat, est lui-même tenu de respecter la Constitution, parce que le peuple a cristallisé son salut dans un texte qui s’appelle la Constitution», a-t-il soutenu, avant d’évoquer: «chaque fois que les actes du Président sont suivis par la clameur publique, il est obligé de faire marche arrière, le droit constitutionnel étant le droit de l’opinion, le droit politique. Il y a toujours des mécanismes politiques de compromis».
A en croire Djoli, à défaut pour le Chef de l’Etat de mettre de l’eau dans son vin, il a précipité dans une crise comme souvent c’est le cas depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1960. «En 60 ans d’indépendance, notre pays vit dans une crise permanente dont la cause principale est l’irrespect de la Constitution et l’absence de culture constitutionnelle et d’adhésion au constitutionnalisme», a constaté ce constitutionnaliste, appelant à la conversion de tous aux vertus du constitutionnalisme, au respect des principes et des règles constitutionnels.
Scrutant les enjeux de la violation de la Constitution face à la crise actuelle, le Professeur Djoli a signifié: «Le constituant n’a pas prévu, n’a pas conçu, n’a pas voulu que le Président soit en conflit avec le Premier ministre, parce que lui ayant le suffrage populaire direct, le Premier ministre provenant de la majorité. Quand il y a conflit, qu’est-ce qu’il faut faire? Dans ce cas, il y a le dit et le non-dit. Le non-dit est que vous acceptez d’entrainer le pays dans la crise. Le dit c’est qu’il faut trouver un compromis».
Et de rappeler: «cette Constitution est une Constitution de compromis. On ne voulait pas avoir un organe tout-puissant comme à l’époque de Mobutu. On voulait avoir un Président arbitre qui essaye de concilier. C’est la dimension anthropologique de la Constitution que le droit ne peut pas régler. C’est là qu’il y a notre responsabilité en tant que politique, Président, Premier ministre».
Pour Ddjoli, la question fondamentale qui se pose et s’impose: «est-ce que vous voulez envoyer votre pays dans la crise ou vous voulez régler le problème en gens civilisés?» Il a surtout mentionné que le droit constitutionnel est un droit des civilisés. «Les institutions de 2006 sont celles qui doivent apprendre à fonctionner ensemble dans l’harmonie et dans la concertation. Le Président de la République travaille avec le Premier ministre dans un cadre de bicéphalisme de l’Exécutif tenu par un duo. S’il y a un duel, la porte de sortie est au Premier ministre parce que lui peut démissionner. Le Président ne peut pas démissionner. Est-ce que c’est cela la solution à la crise?», s’est-il interrogé sur un ton dubitatif, Djoli étant persuadé que «s’il faut réviser la Constitution seulement pour dire que le Premier ministre doit être révoqué, ce n’est pas ça la puissance d’un texte constitutionnel. La puissance d’un texte constitutionnel, c’est dans l’adhésion, dans le sens de l’Etat et de compromis des acteurs politiques».
Déterrant un passé similaire, l’élu MLC a rappelé qu’en 1960, le constituant avait prévu un mécanisme de résolution de crise entre le Président et le Premier ministre. «Le Président de la République nomme et révoque le Premier ministre mais cela n’a pour autant pas empêché qu’il y ait une crise entre Lumumba et Kasa-Vubu». En lisant entre les lignes de la pensée de Djoli, il s’en est ressorti que la voie idéale pour juguler la crise actuelle reste le dialogue: «si vous ne voulez pas le compromis, il faut divorcer et assumer les conséquences. Dans un Etat démocratique, les gens ne s’injurient pas comme des voleurs. Ils parlent, discutent».
Dans le camp de la Jeunesse kabiliste, l’on soutient que le pays doit être régi par la Constitution non sans dénoncer la violation de celle-ci par celui qui est censé en être le garant au travers de ses Ordonnances du 18 juillet.
«A travers les différentes Ordonnances du 18 juillet, nous signons et persistons qu’il a eu à violer la Constitution. Comme cette Constitution est le fruit de compromis politique, nous ne voulons pas faire usage de l’article 64 pour le moment. Mais vous sentez qu’à travers ce genre de manifestations, nous sommes déjà en phase de mettre en œuvre cet article qui nous donne le pouvoir d’agir de manière conforme à la Constitution à travers ce genre d’activités, de marches», a dit un jeune kabiliste.
Et de dénoncer: «politiquement, le Chef de l’Etat ne voit plus l’intérêt de la population mais celui de se pérenniser au pouvoir en contrôlant la Cour constitutionnelle et la CENI».
Laurent OMBA