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Crise et vie chère : Papy Niango interpelle Félix Tshisekedi dans une interview explosive

Les prix flambent, le député réélu de Bandundu-ville questionne le Président de la République et fait de grandes révélations autour de la destitution du ministre de l’Economie…

Papy Niango est de retour. Le député réélu de Bandundu/ville est de la lignée des rares hommes politiques de la République démocratique du Congo qui ne parlent que quand il s’agit de bouger les lignes, faire avancer les choses. La situation actuelle du pays, caractérisée par la crise, la vie chère dont le couronnement sont la flambée des prix de bien de consommation courante et la rareté des produits pétroliers, s’y prête.

A la faveur d’une interview accordée à «AfricaNews» le week-end dernier, Niango a le courage de questionner et interpeller le Président de la République, Félix Tshisekedi, plutôt que le gouvernement que dirige le Premier ministre Sama Lukonde. Il s’explique de manière pertinente: «Je préfère m’adresser directement au Président de la République, en tant que citoyen, d’abord.

A ce propos, comme élu ou pas, je suis dans le droit de lui exiger des explications sur la crise économique qui s’intensifie et sur la vie chère qui en résulte pour la bonne raison qu’il préside personnellement, depuis qu’il est aux affaires, le Conseil des ministres. Et je considère que c’est lui qui conduit la vie de la Nation dont il est le garant et intervient dans tout ce qui relève des compétences du gouvernement central…». Après ces explications, l’ancien ministre des Sports parle du tableau social, du panier de la ménagère, avant de déterminer, selon lui, la responsabilité de chaque acteur au niveau de l’Exécutif national, à commencer le Président de la République, interpellé plus que quiconque. Lisez plutôt!   

Honorable Papy Niango, vous avez déclaré récemment que le ministre de l’Economie ne devrait pas démissionner. Plus de dix jours passés, il n’a toujours pas déposé sa lettre de démission après sa déchéance. Comment réagissez-vous?

Comme je vous l’avais dit récemment, le fait que l’Assemblée nationale n’a pas voté la résolution sanctionnant le vote de la déchéance du ministre Jean-Marie Kalumba juste après la plénière du mercredi 30 mars 2022, donne la possibilité à ce membre du gouvernement Sama Lukonde de rester en fonction. Jusqu’aujourd’hui, j’estime toujours que le vote du mercredi 30 mars 2022 dernier aurait dû engager directement la responsabilité du Premier ministre et de tout son gouvernement et non du seul ministre de l’Economie nationale, de manière particulière.

C’est quoi la suite à ce dossier puisque déchu, il ne veut pas démissionner comme vous continuez de l’affirmer?

La réponse à cette question se retrouve dans la Constitution. Il revient à présent à la Justice d’éclairer ce dossier par rapport à ce qui est prévu dans le Règlement d’ordre intérieur de l’Assemblée nationale. Le Règlement est assez éloquent à ce sujet, la Constitution également. Les faits ayant émaillé cette procédure de contrôle de responsabilité ainsi que les attitudes des députés sont bien éloquents. Le ministre ne démissionne donc pas et doit, par conséquent, recouvrer sa fonction, de plein droit.

Qu’est-ce qui justifie votre position de prendre la défense du ministre de l’Economie?

Premièrement, je dois vous dire que je ne connais pas personnellement le ministre Kalumba de l’Economie. Quand j’entendais parler de lui, je faisais allusion à Maître Justin Kalumba, ancien ministre des Transports sous Matata Ponyo. Je dois avouer ici que c’est au cours de la plénière de ce mercredi-là à l’Assemblée nationale que je l’ai découvert. Je ne le défends donc pas. Cependant, je m’en tiens aux principes! Ceux caractérisant une nation qui se veut être un Etat de droit car il vous souviendra que la République démocratique du Congo, notre pays, est une démocratie constitutionnelle.

Vous défendez, donc à vrai dire, les principes de droit qui protègent le ministre de l’Economie?

Si c’est cela votre compréhension, je suis d’accord du moment où si le cas concernant le ministre de l’Economie, Jean-Marie Kalumba, se retrouve dans la droite ligne des principes que je défends. Je suis Avocat et titulaire d’un mandat de député national. Après ma déclaration lors de la séance plénière de sa destitution, le lendemain j’ai eu des réactions venant de partout et particulièrement de certains membres du gouvernement, de mes amis libanais et d’autres qui sont à la FEC. Et, directement, j’étais curieux de comprendre le contour de ce dossier. Après avoir approché quelques collègues députés, qu’est-ce que je n’ai pas appris sur cette motion de défiance…

Concrètement qu’est-ce que vous dénoncez dans la procédure pour la destitution du ministre?

Je dénonce le complot organisé en interne, au niveau du gouvernement, déjà, contre le ministre de l’Economie. Jean-Marie Kalumba est tout simplement victime de la politique qu’il voulait imprimer au ministère de l’Economie nationale. Tenez:  le ministre de l’Economie paie le prix de sa volonté de faire respecter la Constitution, de faire promouvoir et respecter les justes prix des produits et biens sur le marché tels que proposés par la réglementation sur les prix. De ma petite expérience politique, tout rime à des dessous des cartes. La destitution du ministre de l’Economie telle que vécue lors de la plénière correspondait à une messe déjà dite, orchestrée par ruse.

A qui profite, selon vous, la destitution du ministre de l’Economie?

Sans hésiter, je crois qu’elle profite à ceux qui ont toujours voulu le voir tomber pour avoir refusé de s’inscrire dans la même logique que certains de ses prédécesseurs et des importateurs étrangers qui influent négativement sur les prix des produits surgelés dont ils détiennent malheureusement le monopole et ce, après avoir mis à genoux les nationaux par une concurrence déloyale, avec le concours de certains hommes forts politiques, voire avec des membres de l’actuel gouvernement. Ces importateurs véreux, gênés par la politique du «juste prix» qu’impose le droit congolais en la matière, se sont toujours mobilisés pour corrompre les différents responsables intervenant dans la gestion des structures de prix.

Dernièrement, ils ont essayé, sans succès, d’obtenir l’inaction du gouvernement avec l’appui des ministres connus, face à une pratique des prix illicites imposés aux consommateurs congolais, en violation de la législation en la matière. Il a été observé que la résistance du ministre de l’Economie nationale lui a valu de sérieuses menaces des «hommes forts» parmi ces importateurs de connivence avec des milieux proches du Palais de la Nation et de la Primature. Ce groupe a travaillé pour obtenir sa destitution. Et aujourd’hui, il est évident que cette menace a été mise à exécution, dans un pays où tout est possible avec l’argent. Des responsables d’Etat, au plus haut niveau, ont comploté avec la maffia pour l’éviction d’un ministre déterminé à se battre pour l’amélioration du pouvoir d’achat de ses compatriotes.

Vous confirmez la thèse selon laquelle les députés nationaux ont été corrompus pour faire tomber le ministre de l’Economie nationale?

On a assez parlé du dossier Kalumba, passons à l’essentiel: la situation sociale de la population, la vie chère, la flambée des prix des biens de première nécessité avant même la révision à la hausse des prix des produits pétroliers à la pompe. Ce qui arrive ce n’est pas un hasard. Ce n’est pas Kalumba qui est visé, à mon avis. Ces complicités internes au plus haut niveau, avec des relais étrangers, vise un soulèvement de la population contre le Président de la République.

Ce décor est en train d’être davantage planté. Observez-le bien. J’en appelle donc à une vigilance citoyenne, particulièrement celle des élus nationaux, particulièrement du Chef de l’Etat et de tous les patriotes, parce que personne à ce jour, alors que nous tendons vers les élections, ne voudrait d’une crise susceptible de fragiliser les équilibres institutionnels et compromettre l’évolution du processus électoral. Etant foncièrement républicain, je le clame, sous réserve de mes alertes à l’endroit du Président de la République sur la vie sociale explosive.   

Qu’est-ce que vous reprochez au Président de la République alors qu’il y a un gouvernement investi par l’Assemblée nationale dont vous-êtes membre?

Je préfère m’adresser directement au Président de la République, en tant que citoyen, d’abord. A ce propos, comme élu ou pas, je suis dans le droit de lui exiger des explications sur la crise économique qui s’intensifie et sur la vie chère qui en résulte pour la bonne raison qu’il préside personnellement, depuis qu’il est aux affaires, le Conseil des ministres. Et je considère que c’est lui qui conduit la vie de la Nation dont il est le garant et intervient dans tout ce qui relève des compétences du gouvernement central.

Jean-Marie Kalumba a été accusé de plusieurs griefs qui ne relèvent même pas seulement de ses attributions comme ministre de l’Economie mais plutôt celles de tout le collège gouvernemental notamment des ministres du commerce extérieur, des transports, du budget, des finances et autres. Pour pareilles compétences liées, seul le Premier ministre en répond et en assume la responsabilité!

A ce propos, je vous recommande une lecture attentive des règles consignées dans l’Ordonnance portant les attributions de différents ministères et l’Arrêté ministériel N°034/CAB/MINET/ECONAT/JKL/2018 portant mesures d’exécution de la Loi organique 18-020 du 9 juillet 2018 relative à la liberté des prix et à la concurrence spécialement en matière des prix.

A titre illustratif, ce n’est pas à un ministre de l’Economie d’acheter les bateaux de pêche! Ce n’est pas au ministre de l’Economie de développer l’agriculture pour inonder le marché! Ce n’est pas au ministre de l’Economie de construire les routes de desserte agricole pour acheminer les produits agricoles vers les centres de consommation… Or, c’est ce qui a constitué les incriminations contre ce ministre!

Les responsabilités paraissent collectives et on revient au débat Kalumba. Qui tenait autant à la chute du ministre de l’Economie, selon vous?

Si j’avais la latitude de vous poser les questions, je voudrais autant savoir pourquoi vous tenez trop à cette affaire. Qu’à cela ne tienne, d’après les analyses et investigations menées sur place et à l’étranger, il a été révélé qu’une fraude généralisée est pratiquée par les opérateurs économiques du secteur des produits surgelés à deux niveaux, avec une incidence considérable sur les prix.

Premièrement, ils recourent à une falsification des déclarations faites à la douane quant à la valeur CIF des produits importés. A titre d’exemple, pour les cas de poissons chinchards achetés en Namibie, il s’observe sur leurs licences d’importation, que quiconque peut vérifier, un coût de 200 dollars par tonne, valeur d’achat et transport compris. Ainsi, ils le déclarent à la douane, au lieu de 1200 dollars, sa vraie valeur. Par conséquent, la DGDA qui doit percevoir 10% de la valeur CIF ne perçoit que 20 dollars au lieu de 120 dollars. Ceci réduit, comme vous pouvez le comprendre, les recettes dues au Trésor public et d’autres structures de l’État telles que la DGDA, l’OCC, l’OGEFREM et la SCTP. Et pour combler les déficits dus à cette fraude, les importateurs surchargent des structures des prix par de nombreux éléments dits «non incorporables» au regard de la règlementation sur les prix.

Un autre exemple: ces importateurs maffieux font supporter aux consommateurs le poids de leur fraude à l’importation en pratiquant des prix illicites qui confisquent une part importante du pouvoir d’achat du modeste citoyen. Cette fraude coûte à l’État et aux consommateurs au minimum 194 millions de dollars américains par an. Et ce, pour les chinchards seulement. Si elles étaient captées par le Trésor public, ces recettes auraient pu utilement servir à soutenir le secteur productif en générant de nombreuses opportunités d’emploi pour notre jeunesse. Je me tais sur le cas des produits pharmaceutiques importés concurremment avec le Rwanda, le Congo-Brazza ou l’Angola, au prix CIF de 100 dollars, vendus dans ces pays voisins à 120 dollars contre 250 dollars République démocratique du Congo…

Monsieur le journaliste, puisque nous en parlons, je vous fais une autre révélation: il vous souviendra encore qu’il y a peu, à travers vos colonnes et ondes, nous suivions une campagne contre des opérateurs économiques mafieux afin d’obtenir le paiement de plus de 150 millions de dollars dus au Trésor public à titre d’une parafiscalité suite aux induments perçus. J’ai l’impression que Sama Lukonde et son gouvernement manquent d’approche dissuasive pour contraindre ces opérateurs économiques à payer ces frais et je crains savoir qu’ils l’ont négocié au rabais.

Mais le ministre de l’Economie est aussi accusé d’avoir arnaqué la population avec cette affaire des chinchards de la Namibie. On l’accuse même d’avoir détourné les six millions de dollars destinés à l’achat du quota des chinchards dans les eaux namibiennes.

Vous y tenez trop! Si je ne me trompe pas, ce dossier a été adopté à la réunion de la conjoncture économique dirigée par le Premier ministre ces conclusions ont fait l’objet d’une forte médiatisation à la télévision nationale.

Aussi, lors d’une réunion du Conseil des ministres dirigé par le Chef de l’Etat, cette question a été évoquée. J’ai même appris qu’une mission gouvernementale a été dépêchée en Namibie pour matérialiser ce projet suivi par une commission interinstitutionnelle à laquelle prenaient part des importants collaborateurs et conseillers du Président de la République. S’il s’avère que pareil projet doit échouer, soyons sérieux, cela relève de la responsabilité du Premier ministre, chef du gouvernement, ou de la personnalité qui dirige le Conseil des ministres, le Président de la République notamment, plutôt que du seul ministre de l’Economie qui n’a fait que proposer une solution conjoncturelle. Il y a des choses qui n’ont pas été dites sur la place publique, peut-être au nom de la solidarité gouvernementale.

Mais, notons qu’on ne nous a pas tout dit! Le projet a été soumis au gouvernement depuis le mois de mai. Mais l’argent pour l’obtention du quota de pêche n’a été débloqué que difficilement fin novembre alors que le gouvernement était bien au courant que son quota de pêche devrait expirer le 31 décembre. Pire, le décaissement des fonds pour les opérations de pêche n’a pas suivi. Pourquoi devons-nous demeurer silencieux sur les attitudes du ministre des finances sur ce décaissement tardif ou sur ses attitudes à vouloir faire échec à ce projet comme il le fait subir au Président de la République à propos de ces promesses non tenues des véhicules au profit des léopards basketball?

Qui doit-on aujourd’hui accuser de la hausse des prix des produits de première nécessité sur le marché quand on sait que le ministre de l’Economie nationale est l’autorité de régulation des prix sur le plan national?

D’emblée, il faut incriminer Sama Lukonde, le Premier ministre. Même s’il faut se souvenir que la République Démocratique du Congo a une économie fortement extravertie, faute d’une politique nationale de production. Il a été observé, au niveau international, depuis la reprise économique après le confinement, une augmentation substantielle des coûts du fret maritime.

À titre d’illustration, le coût de transport d’un conteneur sur l’itinéraire Shanghai-Europe était inférieur à 1.000 dollars en juin 2020, avant de s’élever à environ 4.000 dollars en décembre 2020, puis finalement à 7.395 dollars à fin juillet 2021. Ce qui équivaut à une hausse de plus de 700% dans l’intervalle d’une année. Le fret maritime étant une composante majeure des coûts commerciaux des importateurs, une hausse de ce dernier se répercute sur les prix à la consommation finale.

Il faudrait aussi noter que des tensions commerciales manifestes entre les États-Unis et la Chine ainsi que le conflit en Ukraine ont accentué la pression sur les prix internationaux de certains produits essentiels à travers le monde. Il ne s’agit donc pas d’une situation propre à la République démocratique du Congo. Quel pays du continent africain n’est pas affecté par la hausse des prix des produits de première nécessité? Or, des comportements du Premier ministre, Chef du gouvernement, il se note une indifférence et négligence, pour dire mieux une fainéantise malgré, et c’est purement cosmétique, la mise en place d’une structure pour surveiller la situation en Ukraine et ses conséquences sur le commerce international ainsi que ses impacts sur notre économie nationale. Il est temps que le Président de la République se lève et s’assume face aux inquiétudes et souffrances de la population. Ainsi, j’insiste que si quelqu’un devrait répondre de cette situation, c’est Sama Lukonde.

Propos recueillis par Achille KADIMA MULAMBA

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