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Contrôle des finances publiques: Muteba opposé à l’idée d’une task-force 

Le président de la République, Félix Tshisekedi, fait de la lutte contre la corruption et pour l’instauration de la bonne gouvernance une de ses préoccupations. Dans plusieurs discours, il en appelle à la mise en place d’une task-force regroupant l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption -APLC-, l’Inspection générale des Finances -IGF-, la Cellule nationale des renseignements financiers -CENAREF- et la Cour des comptes. Mais l’idée est rejetée par Florimond Muteba, président du Conseil d’administration de l’Observatoire des dépenses publiques -ODEP. Pour ce grand acteur de la Société civile approché par AfricaNews, cette démarche tendant à regrouper les institutions de contrôle des finances publiques ne repose sur aucune base légale étant donné que chacune d’elle a des attributions légales particulières.

Muteba ne voit pas non plus l’opportunité de réunir au sein d’une task-force ces services dès lors que certains sont moins performants, voire inutiles, le cas de l’Agence présidentielle de lutte contre la corruption -APLC-, et que des mécanismes de collaboration entre eux existent déjà. Lorsqu’il analyse les performances et le fonctionnement de ces organes de contrôle, Muteba constate en réalité qu’il n’y a que l’IGF qui se détache du lot, en travaillant réellement sur terrain, surtout avec sa patrouille financière qui fait mouche à la DGDA, à la chaîne de la dépense publique, dans les entreprises de l’État, dans les provinces ainsi que les ETD du Katanga.

«Il faut dire qu’en plus du soutien politique du président de la République, les choses marchent relativement bien à l’Inspection générale des finances -IGF- sur base de la Loi organisant ce service ainsi que sur base de la personnalité, des convictions et de la dose patriotique de l’Inspecteur général-chef de service, Jules Alingete, qui a apporté des innovations comme la fameuse patrouille financière. Bravo pour ce qu’il a déjà fait jusqu’ici mais je regrette qu’il y ait encore quelques blocages politiques», argumente le PCA de l’ODEP, évoquant ces procès à l’issue desquels certains gestionnaires incriminés pour des faits délictueux avérés ont été lavés.

Poursuivant ses analyses, Muteba salue également le travail abattu jusque-là par la CENAREF, dirigée par un autre vertébré, le magistrat Adler Kisula. Un petit bémol en ce qui concerne les résultats de la Cour des comptes, véritablement organisée après une décennie de pression de la Société civile, avec la promulgation de la Loi organique en 2018 puis la nomination, quatre ans après, d’un premier président et d’un procureur général mais limitée dans son fonctionnement avec seulement 60 magistrats. Un nombre que Muteba juge de loin inférieur à celui de 2000 magistrats composant la Cour des comptes sud-africaine ou à celui d’un million qui siègent à la Cour des comptes chinoise. Pas assez suffisant, estime-t-il, pour faire fonctionner la Cour des comptes de la RD-Congo dans les mêmes normes que ses correspondantes en Europe ou en Afrique. Selon lui, toutes ces difficultés font que la Cour des comptes peine à décoller.

L’impardonnable faute de la Cour des comptes et la nullité de l’APLC

Muteba a beau ranger dans la catégorie des «pièges politiques» le dépassement budgétaire de 126% dont s’est rendue coupable la Cour des comptes en 2022, d’autres acteurs de la Société civile sont d’avis qu’elle est en train «de montrer ses limites une année après sa réorganisation, et impardonnable surtout après ce scandale d’indiscipline budgétaire révélé à la faveur de la reddition des comptes 2022».

Ces derniers évoquent cette sorte de complicité constatée en juillet dernier entre certains responsables de la Cour des comptes et des animateurs d’une agence d’exécution des travaux du Programme de développement des 145 territoires dans la région du Kasaï, où ils avaient déjà tenté de couvrir un gouverneur aujourd’hui déchu, précisément Kabeya Matshi Abidi du Kasai Oriental. Ces observateurs et Muteba redeviennent d’accord sur la situation de l’APLC, une agence que le meneur de l’ODEP qualifie d’inutile étant donné qu’un autre organe de contrôle, notamment l’IGF, est déjà rattaché à la Présidence de la République. Muteba a raison d’étriller cette APLC qui, après 3 ans d’existence, n’a jamais traité un dossier de corruption et donné un moindre résultat probant. Par contre, cette agence est plusieurs fois citée pour sa participation dans des scandales de corruption.

D’aucuns ne sont pas prêts à oublier le dossier de corruption de 30.000 dollars dans lequel était trempé l’ancien coordonnateur Ghislain Kikangala, filmé même au guichet d’une banque dans une pratique de corruption. Tout récemment, son successeur, Thierry Mbulamoko, a été épinglé dans une affaire de 35 millions de dollars où il a illégalement engagé la RD-Congo. Malgré son interpellation par le Parquet général près la Cour de cassation à la demande de la ministre d’Etat en charge de la Justice, l’affaire est en train d’être étouffée à cause des pesanteurs politiques. Sur terrain et dans l’opinion, l’ALPC a perdu toute sa crédibilité et traine un bilan négatif, sans performances concrètes depuis sa création.

Prié d’attribuer des notes à ces services, Muteba avoue que pareille cotation est «délicate» parce qu’il ne veut «décourager personne alors qu’il faut encourager tous ces services à être performants». Il reconnaît cependant que «l’IGF est déjà bien partie, et fait du bon travail», suivie de la CENAREF, «également en bonne route et qui pourra faire un bon travail aussi». La Cour des comptes est dans une période vraiment de redémarrage, et de restauration alors que l’APLC est nulle cogne-t-il, précisant que l’IGF a vraiment réussi à sortir du lot de par son rendement et l’efficacité de ses actions, plus particulièrement la patrouille financière.

Task-force: un recul

La tendance dégagée est que la task-force voulue par le Président Tshisekedi risque donc d’alourdir la machine de contrôle plutôt que de la rendre efficace. «L’idée de task-force doit être écartée parce qu’il y a la loi. La Cour des comptes ne peut pas être mélangée avec l’Inspection générale des finances. Ils peuvent collaborer, ils savent très bien qu’ils doivent collaborer d’ailleurs. Il y a des dossiers qui partent de l’IGF pour aller vers la Cour des comptes pour être finalisés, ils peuvent même déboucher sur des dossiers en justice. Cette collaboration est établie par la loi, mais task-force cela veut dire quoi?», plaide Muteba.

Puis: «Le problème de contrôle au sein de l’État congolais est vaste. Il ne concerne pas seulement trois institutions, encore moins l’APLC. Les mettre ensemble pour faire une task-force comme on dit n’a aucun sens. C’est pour le mettre sous la tutelle du président de la République qui pourra en faire ce qu’il veut. Non, la démocratie ce n’est pas ça. C’est comme si on prenait le Sénat et l’Assemblée nationale on les met ensemble. C’est le parlement c’est vrai mais chacun a son rôle. Vous allez les mettre en ligne dans une task-force? Ça n’a pas de sens, chacun a son rôle». Puis encore: «Qu’on donne à chacune de ces institutions de contrôle, les moyens de faire le contrôle. Pas de task-force, c’est un recul au niveau de la démocratie par rapport au contrôle. La fonction contrôle est une fonction qui n’a pas à aller se mêler la présidence de la République. Le président de la République est le garant de la nation, il n’est pas le contrôleur des finances publiques. Il n’a pas à se mêler de ça».

Certains analystes pensent même que pareille Task force risque de se reposer sur l’IGF. «Ce dernier service doit cependant faire attention parce que son action risque d’être tirée vers le bas par ces organes amorphes, budgétivores et qui font des bruits sans résultats», suggère, pour sa part, un responsable d’un mouvement citoyen.

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