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Augmentation des droits de trafic: Quand le DG Elesse accuse la FEC

Une crise envenime les relations entre la Vice-primature en charge des Transports et voies de communication,  les Lignes maritimes congolaises -LMC- ainsi que la Fédération des entreprises du Congo -FEC. Motif: le patronat met en cause l’arrêté ministériel pris par José Makila et promulgué dans le Journal officiel. Notamment l’arrêté ministériel n°028/CAB/VPM/MIN/TC/2017 du 07 août 2017 portant modification des taux définis par l’arrêté ministériel n°409/CAB/MIN/TVC/093/2012 du 28 avril 2012 applicables au trafic maritime en provenance et à destination de la République démocratique du Congo. Ledit arrêté réajuste le taux de la redevance à payer par les transporteurs maritimes aux Lignes maritimes congolaises -LMC-. En réplique, le patronat RD-congolais, via ses membres réunis au sein du Comité professionnel des agents maritimes Fédération des entreprises du Congo,  a publié un avis au public n°001/CPAM/2017 suite à l’augmentation des droits de trafic maritime en RD-Congo. La FEC déplore le fait que ses demandes de sursoir l’application de cet arrêté n’ont pas été suivies par le gouvernement. Pour la FEC, l’application de cette mesure en faveur des LMC va entrainer de façon exponentielle la hausse de prix des biens et services d’importations dès janvier 2018. C’est faux, rétorque Jean-Marie Elesse Bokokoma, directeur général a.i des Lignes maritimes congolaises dans une interview accordée à AfricaNews. Selon lui, en RD-Congo, les importateurs/transporteurs veulent échapper à la redevance sur l’activité du transporteur en menaçant le point sensible du gouvernement qui est le social de la population. Il affirme que le prix de revient de la marchandise ne change pas à cause des droits des trafics.  Il accuse la FEC de tenter d’entrer en rébellion contre la législation maritime en RD-Congo. «Les droits des trafics n’ont jamais influencé le prix de marchandises, sauf abus de certains acteurs économiques qui, opérant à la fois dans plusieurs secteurs, usent du chantage social sur la population», déclare-t-il. Elesse persiste et signe: «La position de la FEC est inacceptable et l’attitude du gouvernement doit être ferme et inchangée quant à l’application de l’arrêté mis en cause. Il n’y a pas de raison d’en sursoir l’exécution ou d’accorder une augmentation de tarif à des activités non redevables des droits des trafics». Entretien.
 
Monsieur le Directeur général, vous venez d’arriver à la tête des Lignes maritimes congolaises -LMC- sa pratiquement au seuil de l’année 2018. Comment vous sentez-vous?
Merci beaucoup. Je me sens parfaitement requinqué. Je suis en équilibre avec moi-même sur le plan spirituel, physique et moral. C’est pourquoi je remercie Dieu, le maître des temps et des circonstances, et tous ceux qui, sans exception aucune, ont œuvré à l’accomplissement de cette étape de mon destin. Je dis merci à vous tous. Bonne et heureuse année 2018.
 
Le corps médical dit que la bonne santé implique le bien-être physique, mental, moral, spirituel et social et non seulement l’absence de la maladie. Pouvons-nous déduire que votre bien-être traduise également celui de votre entreprise? Autrement dit, quel est l’état  de santé de LMC?
Les experts de l’entreprise y travaillent. Nous pouvons dire que notre entreprise va plutôt bien que mal en fonction de la conjoncture du moment. Nous en aurons une bonne photographie après les 100 jours traditionnels. Pour le moment, nous invitons toutes les forces de LMC de se serrer les coudes. Ensemble, nous irons loin en relevant les défis suivant les missions assignées à notre entreprise. Et ce, pour le bien de notre pays.
 
Mais les documents en notre possession font état d’une crise aigüe ou d’une polémique grave, selon que l’on est à bâbord ou tribord, entre le Ministère des Transports et voies de communication, les Lignes  maritimes congolaises ainsi que la FEC. Crise qui serait née à la suite de la majoration des prix à l’import et export par l’Etat RD-congolais. Qu’en est-t-il au juste?
Nous ne pouvons pas parler de crise proprement mais plutôt d’une rébellion que la FEC voudrait instaurer. Vous devez savoir que les droits des trafics n’interviennent pas dans la structure de prix sur le marché intérieur mais  dans le fret maritime payé par l’armateur et non par l’opérateur économique national. Et le fret n’est pas influencé par le marché intérieur d’un pays quelconque.  Le 7 août 2017, le vice-Premier ministre des Transports et voies de communication, José Makila Sumanda, a signé un arrêté ministériel modifiant les taux de droits définis par l’arrêté ministériel de 2012 applicables au trafic maritime en provenance et à destination de la RD-Congo. En réaction à cet arrêté ministériel, la FEC a décidé unilatéralement d’augmenter les prix des produits sur le marché. Mais, les LMC s’y opposent.
 
Pensez-vous que votre opposition soit juste? N’est-elle pas de nature à asphyxier les armateurs et, au finish, les consommateurs?
Loin de là, c’est la FEC qui entre en rébellion pour rien. L’arrêté ministériel a fixé le taux de prélèvement des droits des trafics maritimes applicables par l’Etat congolais à travers son Armement national, les Lignes maritimes congolaises, à l’import comme à l’export, à tous les transporteurs et/ou opérateurs de navires participant au trafic maritime généré par son commerce extérieur. Vous remarquerez que le % de l’Etat est minimal. Nous pouvons affirmer que les droits des trafics n’ont aucune incidence sur les prix des marchandises transportées par mer. Voici quelques exemples à titre illustratif. D’abord, pour les poulets en conteneurs frigorifiques de 40’ pieds, le taux est de 80 USD par conteneur. Pour le carton de poulet -poids 13- qui pèse plus ou moins 13kgs, les droits de trafic par carton seront de plus ou moins 55 FC. Et cela représente un impact de +0,128% par rapport au prix qui est de plus ou moins 45.000 FC le carton.
Ensuite, pour les hydrocarbures, le taux est de 2 USD le m3. Pour le litre de carburant qui coûte 1.720 FC, l’impact pour le droit de trafic est de 3,2 FC qui représentent un impact de 0,126%. Enfin, pour le cargo général tel que le ciment, le riz en sacs, etc., le taux est de 2 USD la tonne comme pour tous les produits en rac. Cela dit, pour un bateau de 10.000 T de ciment, la facture sera de 10.000 Tx2 USD = 20.000 USD. Mais pour un sac de ciment de 50 Kgs, les droits de trafic ne seront que de 160 FC, soit +1,185% d’impact, c’est-à-dire plus ou moins 3.200 FC par 1000 Kgs, soit 20 sacs de ciment. Et pour un sac de riz de 50 Kgs vendu à 60.000 FC, les droits seront de 160 FC. L’impact par rapport au prix du sac, 60.000 FC pratiqué sur le marché, est de +0,267%. Force est de constaté que les droits de trafic sont d’impact insignifiant dans la structure du prix des produits, si par absurde, il fallait répercuter lesdits droits sur les marchandises transportées par mer. Etant donné que c’est l’armateur qui paie ces droits et que le fret payé par l’opérateur économique ne change pas pour autant.
 
Que reprochez-vous à la FEC concrètement?
A la publication de l’arrêté du vice-Premier ministre des Transports et voies de communication, la Fédération des entreprises du Congo -FEC- a réagi également en publiant un avis au public de ses membres réunis au sein du Comité professionnel des agents maritimes de la FEC relatif à l’augmentation des droits à payer sur le transport des marchandises en provenance et à destination de la RD-Congo.  Et dans cet avis au public, ils affirment que les agents maritimes sont obligés de s’acquitter des factures de LMC, conformément à l’arrêté, et qu’une telle augmentation entraînera de façon exponentielle la hausse de prix des biens et services. Nous disons que la FEC a tout faux. Elle veut tout simplement se rebeller contre le gouvernement de la République.
 
Qu’est-ce qui prouve que la réplique de la FEC à l’arrêté du vice-Premier ministre soit considérée comme une rébellion contre les mesures gouvernementales?
C’est le fait que depuis 2003, lors de la promulgation du premier arrêté ministériel relatif aux droits de trafic, il a été démontré noir sur blanc que ces droits n’ont aucun impact sur les prix des marchandises à l’import comme à l’export. Et cela parce que ces droits de trafic visent les revenus que le transporteur tire de son activité sur le domaine maritime national et qui demeurent à l’étranger sans que la RD-Congo puisse en profiter. Les devises générées par le commerce extérieur de la RD-Congo échappent donc au circuit économique RD-congolais, laissant à l’étranger une importante masse monétaire. L’opinion publique doit savoir que les droits de trafic constituent une rétribution pour jouissance d’un droit patrimonial appartenant à la RD-Congo, notamment l’espace maritime. A défaut de cette rétribution, il y a enrichissement sans cause du bénéficiaire de la jouissance au détriment du titulaire du droit. Dans ce cas, le préjudice causé est réparé par restitution de l’indu et allocation de dommages et intérêts adéquats, sans omettre la sanction pénale pour violation des lois maritimes RD-congolaises. Nous nous référons ici à l’article 383 du Code maritime en RD-Congo. Nous pouvons aussi considérer que les droits évoqués sont un mécanisme international de constitution, par récupération, des moyens nécessaires au développement du «domaine maritime» d’un Etat. Dans cette logique, l’arrêté ministériel d’août 2017 publié au Journal officiel a pour but d’aligner la législation RD-congolaise sur celles similaires en vigueur en Afrique de l’Ouest et du Centre.
 
Monsieur le Directeur général, les craintes de la FEC ne seraient-elles pas essentiellement liées à la multiplicité des acteurs qui interviennent dans le trafic maritime en RD-Congo? 
Pas du tout. Dans le secteur maritime, le transporteur maritime doit être distingué de l’importateur ou de l’exportateur des marchandises. Il est abusif pour un importateur ou exportateur d’incorporer les droits de trafic dans les prix de la marchandise. S’il est importateur-transporteur, il doit distinguer son activité de transporteur de celle d’importateur. Dans la pratique, l’exercice de ces deux activités au sein d’une même entreprise implique que cette dernière subisse sa propre turpitude. Elle ne peut en aucun cas s’appuyer sur le statut de transporteur pour justifier une majoration du prix des marchandises importées ou exportées.
 
Vous dénoncez ce comportement ambigu du transporteur-importateur et pourtant, c’est ce que la RD-Congo vit au quotidien dans le secteur maritime…
Evidemment, en RD-Congo, les importateurs/transporteurs veulent échapper à la redevance sur l’activité du transporteur en menaçant le point sensible du gouvernement qui est le social de la population. Cependant, le prix de revient de la marchandise ne change pas à cause des droits de trafic. S’il fallait faire des estimations en étalant les droits de trafic sur la marchandise concernée, il sera démontré que l’impact, à l’unité vendue sur le marché national, est insignifiant par rapport aux autres charges composant le prix de revient, dont le fret maritime n’est qu’un élément. Nous demandons ici aux membres de la FEC de consulter le rapport général des travaux de concertation du secteur public/secteur privé sur la structure de prix des denrées importées de première nécessité du 21 septembre 2013 -FEC/ANEP/Gouvernement- pour sen rendre compte.
 
Si les choses étaient telles que vous le dites, pourquoi la FEC serait-elle tentée de revoir les prix de marchandises à la hausse?
Nous disons que, comme les droits de trafic visent les recettes du transporteur, celui-ci incorpore cette redevance dans ses frais d’exportation, à l’instar d’autres frais liés à ladite exploitation. Cela en fonction du caractère de la ligne exploitée et des ports d’escale fréquentés. En général, aucun transporteur n’augmente le prix du transport de la marchandise frétée à cause des droits du trafic, mais en fonction de l’environnement, puisque cette charge s’applique uniquement sur ses bénéfices en devises hors du territoire RD-congolais.
 
Les pratiques que vous évoquez ici, sont-elles seulement propres à la RD-Congo ou bien sont-elles également applicables sous d’autres cieux? 
Sachez que dans d’autres pays africains, les mêmes transporteurs maritimes en cause payent les droits de trafic sans problème. Comme il est recommandé dans les différentes assises internationales, le transporteur maritime doit participer au développement du secteur maritime des pays où il escale, spécialement lorsqu’il s’agit d’un pays en développement. Sous d’autres cieux, les droits de trafic sont nommés «redevance armatoriale» ou «shipping royalty» ou encore «commission de développement du secteur maritime». Nous devons affirmer ici que c’est l’idée force de la Charte africaine des transporteurs maritimes de 2010 que les mêmes transporteurs tenteraient de violer en RD-Congo.
 
Un terrain d’entente sera-t-il trouvé entre le Gouvernement, les LMC ainsi que la FEC au sujet de l’arrêté ministériel mis en cause par cette dernière?
Nous disons que la FEC a adressé une lettre sans fondement le 19 décembre 2017 au Ministère de l’Economie qui vise l’augmentation du prix des prestations des auxiliaires maritimes -agent maritime, transitaire, déclarant en douane et autres- sous prétexte d’une augmentation des droits des trafics alors que les redevables sont les transporteurs et non les auxiliaires maritimes ni les clients. La position de la FEC est inacceptable et l’attitude du gouvernement doit être ferme et inchangée quant à l’application de l’arrêté mis en cause. Il n’y a pas de raison d’en sursoir l’exécution ou d’accorder une augmentation de tarif à des activités non redevables des droits de trafic. LA FEC tente d’entrer en rébellion contre la législation maritime en RD-Congo. Les droits de trafic n’ont jamais influencé le prix de marchandises, sauf abus de certains acteurs économiques qui, opérant à la fois dans plusieurs secteurs, usent du chantage social sur la population.

Propos recueillis par Octave MUKENDI

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