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Affaire Bujakera: RSF dénonce un «dossier politique»

Quarante-trois. C’est le nombre de jours de détention de Stanis Bujakera Tshiamala au 20 octobre. Le journaliste, directeur de publication adjoint du média «Actualite.cd» et correspondant à Kinshasa de «Jeune Afrique» et «Reuters», a été arrêté le 8 septembre alors qu’il s’apprêtait à voyager pour Lubumbashi. Placé sous mandat d’arrêt trois jours plus tard, il est désormais poursuivi pour «faux en écriture», «propagation de faux bruits» et «transmission de messages erronés et contraires à la loi» dans un procès ouvert le 13 octobre à Kinshasa.

Jeudi 19 octobre, la veille de la troisième audience, Reporters sans frontières -RSF- a donné la voix au cours d’une conférence de presse tenue à Kinshasa. Arnaud Froger et Sadibou Marong, respectivement responsable du desk Investigations au bureau de Paris et Directeur Afrique subsaharienne chez Reporters sans frontières appelent à l’«abandon de l’ensemble des charges» et à la «libération» de Bujakera face à des «accusations intolérables».

Arnaud Froger ne comprend que l’on accuse un journaliste «d’avoir été à l’initiative d’un complot ourdi à l’extérieur pour diffuser des informations qui seraient compromettantes pour le régime». «L’accusation aura bien du mal à se sortir de ces charges qui sont complètement grotesques», estime-t-il. Dès lors, RSF demande «avec envie et fermeté», la libération du journaliste. «A défaut de pouvoir mettre fin à cette procédure qui a été lancée et qui inévitablement à l’impasse, au moins un minima qu’il soit remis en liberté provisoire», plaide Arnaud Forger, non sans rappeler les 4 demandes de remise en liberté provisoire rejetées au motif d’un risque potentiel de fuite. Froger bat vite en brèche cet argument, affirmant que Bujakera n’a pas l’intention de soustraire de la justice, au contraire, poursuit-il, Bujakera est prêt à répondre à répondre des accusations portées contre lui. «Il n’existe absolument aucun risque avéré de fuite», insiste-t-il.

Egalement présent à la conférence, Tshivis Tshivuadi de Journaliste en danger -JED- pointe plutôt du doigt le pouvoir politique alors que le Président Tshisekedi avait promis de veiller à la sauvegarde des droits de Bujakera. «Aujourd’hui, un des droits de Stanis qui n’est pas respecté c’est sa présomption d’innocence. Ça fait bientôt deux mois qu’il est détenu sans jugement et sans avoir été condamné. Il a droit à sa présomption d’innocence puisque ces infractions ne sont pas encore établies. Sauf si sa condamnation a déjà été actée d’avance», dénonce l’activiste.

Recul des acquis du régime Tshisekedi

Le cas Stanis Bujakera met surtout en mal l’image du régime. Sadibou Marong fait remarquer que cette situation pourrait faire perdre au pays des points au ranking sur la liberté de la presse. Un recul par rapport aux acquis enregistrés entre 2019 et 2020. «La situation des journalistes en RD-Congo n’est pas très reluisante», constate-t-il. Le journaliste sénégalais trouve également «anachronique» de voir des journalistes en prison à l’orée d’un «processus électoral crucial pour la vie de la nation». Sadibou Marong est donc d’avis que Bujakera est un «prisonnier gênant pour le pouvoir». Comme lui, son collège Arnaud Froger est persuadé du caractère «politique» du dossier Bujakera.

«Il y a ce qu’il va se passer dans l’arène juridique et les avocats vont faire en sorte que le droit soit dit, mais on a conscience que c’est un dossier d’une nature éminemment politique», argumente le responsable du desk Investigations chez RSF qui loue le «professionnalisme», la «rigueur» et la «fiabilité» de Bujakera. «On n’est pas suivi par un demi-million de personnes sur X -anciennement Twitter- sans raison», poursuit-il. Il invite l’administration Tshisekedi à «ne pas abîmer les efforts consentis au début du mandat en matière de liberté de la presse».

«Si on arrive à la fin du mandat avec un journaliste emprisonné de manière complètement arbitraire avec une volonté assez claire de porter atteinte à ses sources, essayant de savoir avec qui il est en contact, qu’est-ce qui reste de cet héritage et des États généraux de la presse?», interroge celui qui est également ancien Directeur Afrique de RSF. A 2 mois des élections générales en RD-Congo et moins d’une année après l’adoption de la nouvelle Loi sur la presse, la situation des journalistes dans le pays ne semble donc pas évoluer.

Selon des organisations des journalistes dont JED et RSF, la Loi a été «contournée» pour qu’elle ne soit pas plus «protectrice» pour les journalistes. Froger est convaincu que le mandat de Tshisekedi se joue également sur l’affaire Stanis Bujakera, véritable cas d’école de la liberté de la presse sous le régime né de l’alternance pacifique de 2019. Me Charles Mushizi, un des avocats de Bujakera, évoque, de sa part, plusieurs irrégularités dans l’affaire de son client qui a été victime de «violation d’intimité de correspondances».

Pour les charges retenues contre lui, le journaliste risque jusqu’à 10 ans de prison. En début de semaine, une délégation de RSF a fait le déplacement de la prison de Makala où est incarcéré le journaliste Bujakera pour une visite de réconfort. La délégation a surtout remarqué la «combattivité» de Bujakera, détenu dans des «conditions difficiles» depuis six semaines. «Il aurait pu être très atteint et très touché mais il est apparu extrêmement combattif et dans son bon droit», a souligné Arnaud Froger. A RSF, Stanis Bujakera a fait part de sa conviction: «avoir agi de manière professionnelle». La même délégation est également passé au cabinet du ministre Muyaya pour mener le même plaidoyer qui a reconnu que le gouvernement a beaucoup à perdre dans cette affaire.

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