Culture

1 année déjà dans l’au-delà: quelles leçons tirer de la brutale disparition de Papa Wemba?

Le monde artistique célèbre ce lundi 24 avril 2017 le premier anniversaire d’un douloureux événement survenu à Abidjan, en Côte d’Ivoire, où Jules Presley Shungu Wembadio s’est éteint peu avant le lever du soleil. Le chef coutumier du village Molokaï accompagné de son orchestre Viva la musica, y livrait un concert dans le cadre du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo -FEMUA. Au moment où tout le public debout bougeait au rythme endiablé de la musique emballante des villageois du Molokaï, Papa Wemba s’est écroulé sur la scène, provoquant l’émoi et la grande stupéfaction auprès des millions de téléspectateurs qui suivaient en direct cette éblouissante production. Transporté en urgence à l’hôpital, les médecins accourus à son chevet n’ont eu que le temps matériel pour le constat de l’irréparable: Shungu venait de tirer sa révérence en tombant l’arme à la main, comme pour paraphraser le jargon militaire.
Un an après, les autorités ivoiriennes qui reconnaissent la dimension intercontinentale de ce chanteur de charme, tiennent à lui rendre des hommages dignes de son rang. La présente édition du FEMUA qui débute mardi 25 avril 2017, sera marquée du sceau de Papa Wemba. Le site prévu pour les différentes  productions sera débaptisé au profit du nom du formateur des idoles. Dans la foulée, une invitation a été lancée à son ensemble mythique Viva         la musica, en vue de marquer d’une pierre blanche cette rencontre festive des amoureux des musiques urbaines.
Pendant ce temps à Kinshasa, en dehors des dispositions arrêtées par sa famille biologique pour l’organisation d’une messe en l’église Saint Joseph de Matonge, dans la commune de Kalamu et le dépôt des gerbes des fleurs sur la tombe de l’illustre disparu au nécropole entre terre et ciel, du côté des autorités qui ont en charge la culture et les arts, c’est le silence radio, à moins d’une improvisation légendaire de dernière minute.
La mort inopinée de Jules Presley Shungu Wembadio a bouleversé tout le continent africain. En RD-Congo, l’on a assisté en dernière minute à une véritable récupération politique des obsèques du chef coutumier du village Molokaï pour ne pas paraître ridicule après le vibrant hommage lui rendu par la société civile ivoirienne.
Des informations en rafales dans tous les canaux de communication
Ce douloureux événement a laissé couler beaucoup d’encre et de salive. Les médias écrits et audiovisuels en ont fait leurs choux gras. A l’époque, AfricaNews a posé la grande question qui demeure suspendue sur toutes les lèvres, celle de savoir si les artistes musiciens et les autorités de la RD-Congo du monde la culture, ont pu tirer les leçons qui s’imposent de cet accident pourtant évitable selon divers témoignages.
De nombreuses langues se sont déliées après la disparition de cette icône de la rumba. Que ce soit parmi ses proches parents, ses collaborateurs ou ses amis voire ses fans qui ont eu à le côtoyer au cours des derniers mois de sa vie sur terre, beaucoup d’informations ont été livrées en rafales dans tous les canaux de communication. La radio trottoir généralement branchée en a livré à foison. Qu’à cela ne tienne, ces questions récurrentes méritent réflexion.
Les artistes musiciens exercent des activités contraignantes pour l’organisme surtout lorsqu’ils sont appelés à se produire sur scène pendant plusieurs heures d’affilée. Ceci implique en amont une préparation rigoureuse tant sur le plan mental que physique.
Le ton donné par Tabu Ley et Luambo Makiadi
A l’instar des équipes sportives de football, basket-ball, hand-ball, volley-ball, tennis, natation, cyclisme, rugby, athlétisme, etc. dont les entraînements sont régulièrement programmés pour la mise en condition des compétiteurs, un échauffement de 30’ à 45 minutes est exigé des athlètes pour pouvoir soutenir une épreuve d’au moins une heure et plus. Des anciens ensembles musicaux de renom de ce pays ont eu à observer cette discipline.
Pascal Rochereau Tabu Ley et son Afrisa International ont été mis au vert à la cité historique du parti à N’Sele pendant plus d’un mois pour préparer leur show à l’Olympia de Paris. Chaque matin, musiciens, danseurs et Rocherettes, accompagnateurs étaient tous astreints à des exercices physiques appropriés doublés d’une surveillance médicale. Les images du passage de Tabu Ley à l’Olympia parlent d’elles mêmes.
François Luambo Makiadi du TP OK Jazz en a fait autant dans sa concession de Kingabwa, dans la commune de Limete, où il s’est retiré avec ses musiciens et ses «Francorettes» pour cravacher dur en vue de préparer leur participation au festival de musique organisé à Lagos, au Nigéria.
Prise en charge psychologique des musiciens de Viva la musica
Si des personnes aussi avisées comme ces deux icônes de la musique RD-congolaise accordaient un soin méticuleux à la forme de leurs collaborateurs, pourquoi n’en est-il pas autant de la génération actuelle beaucoup plus portée vers la polémique que le travail en profondeur.
La production sur scène pendant de longues heures où le physique et le mental sont mis à rude épreuve nécessite une préparation rigoureuse en amont, notamment la présence d’un préparateur physique ou d’un kinésithérapeute. Les grandes vedettes en Occident font recours à leurs services pour des raisons évidentes.
S’agissant du mental, notamment les séquelles d’un douloureux événement qui peuvent s’avérer extrêmement nocives, les musiciens et danseuses de Viva la Musica qui ont vécu en live la mort subite de Papa Wemba sur scène à Abidjan, ont-ils été pris en charge médicalement et suivis par des psychologues attitrés comme cela se passe partout ailleurs dans les pays civilisés ?
Balayer l’image d’éternels assistés qui colle à la peau des musiciens
Au-delà des efforts physiques, la couverture médicale est vivement recommandée. La question peut sembler superflue. Combien sont ceux des musiciens de la RD-Congo qui bénéficient d’un suivi médical ou d’un check up régulier? Ce serait peut-être trop leur demander quand on sait que la plupart des artistes musiciens ne disposent même pas d’un contrat de travail dûment signé pour pouvoir réclamer la protection des dispositions pertinentes du code du travail. Or, tout employeur sait pertinemment bien qu’il a le devoir d’assurer une couverture médicale à ses travailleurs ainsi qu’aux membres de leurs familles nucléaires.
Voilà qui prouve la nécessité de la signature d’une convention médicale avec des centres de santé outillés pour apporter les soins nécessaires aux artistes musiciens. Les équipes de toutes les disciplines sportives même au niveau scolaire, sont désormais contraintes à la présence obligatoire des médecins lors des différentes rencontres livrées. Ces prestations sont du reste couvertes par les assurances payées à la SONAS tant par les clubs que les parents.
Il est temps que les musiciens de la RD-Congo quittent cette image d’éternels assistés qui leur colle tant à la peau. Quel est l’âge mental de la plupart d’entre eux? Et pourtant, les ensembles musicaux sont de petites et moyennes entreprises qui font des recettes pourvoyeuses de richesses qui peuvent fonctionner dans le strict respect des lois du travail et des dispositions pertinentes des accords et traités internationaux ratifiés par la RD-Congo.
Conseils avisés en matière juridique, financière, artistique, médicale
Poussons plus loin la réflexion. La plupart des ensembles musicaux de la RD-Congo ne disposent pas de cellule juridique. Les contrats signés par les responsables de ces groupes se passent le plus souvent à l’abri des oreilles et yeux indiscrets. C’est lorsque l’orchestre est exposé à des poursuites judiciaires que l’on se souvient de l’existence d’un utopique conseiller juridique qui n’est du reste jamais associé aux tractations en amont.
Si les autorités RD-congolaises veulent aider nos artistes musiciens à prendre de l’envergure, il est tout à fait indiqué que leur soit imposé le respect des procédures relatives au fonctionnement de toute petite ou moyenne entreprise. Ainsi, avec des conseils avisés en matière artistique, financière, juridique, médicale, etc. nos orchestres peuvent quitter les sentiers battus et se mettre à l’abri des jérémiades où ils doivent chaque fois quémander l’intervention des autorités du pays pour leur venir en aide à la moindre maladie ou décès.
Au nom de quel principe? s’interrogent les RD-Congolais évoluant dans d’autres secteurs d’activités qui ont un impact réel sur la vie de la nation mais qui sont totalement négligés. C’est le cas notamment d’éminents professeurs d’université enterrés dans le dénuement total, des médecins, des magistrats, de hauts fonctionnaires, des journalistes, etc.
Survie hypothétique des ensembles musicaux après la mort de leurs géniteurs
Autre souci, et non pas des moindres, c’est la survie de l’orchestre après la mort du géniteur. Ceci constitue une grande épine dans la plante des pieds des leaders des ensembles musicaux qui ne prennent pas, de leur vivant, les dispositions utiles pour assurer la pérennité de leur entreprise. Membres de famille et anciens collaborateurs sont souvent à couteaux tirés et finissent par la séparation brutale qui conduit inévitablement à la dissolution de l’orchestre.
Les exemples foisonnent. Joseph Kabasele Tshamala dit «Grand Kallé» s’en est allé avec son African Jazz. Nico Kasanda a disparu avec son African Fiesta Sukisa. Johnny Bokelo s’est éteint entrainant dans sillage Conga Succès. Franco Luambo Makiadi a bel et bien emporté son Ok Jazz dans sa tombe. Il a suffi que Joseph Kabasele Yampanya Pépé Kallé passe de vie à trépas pour que l’inusable Empire Bakuba vole en éclats.
Pascal Tabu Ley a suivi le même chemin. Son Afrisa international n’est plus qu’un souvenir enfoui dans les décombres. Bialu Madilu System qui a été le véritable gardien du temple du rythme de l’Ok Jazz, a aussi tiré sa révérence avec tous les effets collatéraux sur la survie hypothétique de son groupe d’accompagnement. King Kester Emeneya nous a quitté il n’y a pas si longtemps. Où en est-on avec le Victoria Eleison ? La liste serait longue.
Appel à un examen sans complaisance de la vie précaire des orchestres RD-Congolais
Certes, quelques personnes de bonne volonté aux côtés de certains fils biologiques des illustres disparus s’activent pour ressusciter les œuvres de ces monuments. Hélas, le plus souvent, leurs efforts se terminent en eau de boudin. D’autres mécènes montent des ensembles d’accompagnement qui balancent la musique sans frontières de tous les orchestres du pays. A travers eux remontent à la surface les bons souvenirs des icônes de la musique RD-congolaise moderne…
Les RD-Congolais si friands de la bonne musique et du succès de leurs ambassadeurs sur tous les continents où la musique RD-congolaise garde encore le haut du pavé, sont invités à observer un temps d’arrêt pour examiner à la loupe l’existence précaire des ensembles qui leur procurent tant de joie et de consolation pour les amener à des dimensions compatibles avec leur aura sur le plan international. Le débat est lancé.
Tino MABADA

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