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Hervé Diakese : “Il faut changer les acteurs et non la Constitution”

Juriste distingué, défenseur des droits de l’homme et porte-parole du mouvement pro-démocratie “Le Congolais Debout”, Me Hervé Diakese brille par la pertinence de ses idées, surtout sur la problématique du changement ou non de la Constitution. Dans un entretien à Ouragan.cd, il s’est livré lundi à coeur ouvert. Scientifique, l’avocat de CALC, une organisation proche de l’épiscopat congolais, rappelle que l’actuelle Constitution est le fruit d’un compromis obtenu au forceps entre unitaristes et fédéralistes. Diakese explique que la Constitution est une œuvre humaine mais “elle n’est pas responsable du manque d’éthique, de l’incurie et de la culture de corruption de notre classe politique”. A ses yeux, elle n’est pas non plus responsable de la gabegie, de la gestion politicienne, de la gestion clientéliste, pire de la gestion de l’Etat comme un butin de guerre politique au profit de ceux qui sont au pouvoir. Me Hervé Diakese rejette un présidentialisme outré qui va donner tous les pouvoirs à un président qui ne rendra compte à personne. A haute voix, il dénonce un glissement très grave vers la dictature. Autre risque, le changement voulu de la Constitution pourra conduire au dialogue et donnera des armes à la commission électorale de postposer les élections.

Me Hervé Diakese, vous êtes juriste et membre du courant opposé au changement de la Constitution. Qu’est-ce qui fonde votre crainte sur un éventuel changement de la Constitution ?

Hervé Diakese : Non, le changement de la Constitution de manière intempestive pour un texte fondamental qui, aujourd’hui, n’a que 16 ans d’âge et à la veille de la tenue des élections, ne peut qu’alerter toute personne avertie, tout démocrate et tout observateur objectif de la vie politique de notre pays, c’est une situation malsaine. La Constitution est une œuvre humaine mais elle n’est pas responsable du manque d’éthique, de l’incurie et la culture de corruption de notre classe politique. Donc, on ne peut pas rendre la Constitution responsable de la gabegie, responsable de la gestion politicienne, de la gestion clientéliste, pire de la gestion de l’Etat comme un butin de guerre politique au profit de ceux qui sont au pouvoir qui saignent à blanc les finances publiques pour des intérêts personnels et égoïstes. Ce n’est pas la faute de la Constitution, c’est la faute aux individus, donc chercher à dire que c’est la Constitution qui empêche d’atteindre le bonheur du peuple, c’est la Constitution qui est à la base de l’absence des résultats tangibles d’un régime est un mensonge. Il est normal qu’on puisse être alerte, qu’on puisse effectivement être méfiant et défiant vis-à-vis de toute initiative de modification de la Constitution surtout à la veille des élections, Alors même que cette Constitution a résisté grâce à ses verrous aux tentatives de régimes qui voulaient s’éterniser ou qui cherchent à se pérenniser de manière inconstitutionnelle. Voilà pourquoi nous devons être très sensibles à ça, parce que vouloir justifier l’incompétence ou l’incapacité des politiques, une fois au pouvoir, à transformer positivement notre vie par le fait de blocage de la Constitution, c’est chercher à rendre le thermomètre responsable de la fièvre. Ce sont les acteurs politiques qui ont failli et donc, c’est ne pas la Constitution. S’il y a quelque chose à changer, ce sont les acteurs politiques et non la Constitution.

Changer la Constitution permettrait-il au président de la République de bénéficier de deux mandats supplémentaires en dehors de son premier qui s’achève en 2023 ?

Effectivement, tout changement de la Constitution change la nature du régime et nous changeons de République, nous entrons automatiquement dans la 4ème République. Donc, nous revenons un peu dans cette expression de compteur à zéro, tous les mandats présidentiels reviennent à zéro, tout ce qui a été régi par la deuxième République tombe à l’eau et toute personne peut postuler à nouveau. Pour être plus concret, oui le président en fonction pourra postuler autant de fois que la nouvelle Constitution prévoit le nombre de mandats. Et si la nouvelle Constitution ne prévoit pas de limitation de mandats donc il peut postuler aussi longtemps qu’il le voudra ou le pourra. Voilà justement quelque chose encore de beaucoup plus suspect. Donc, on vous parle de prolongation de durée de mandats, on vous parle de la question liée à l’équation de la Constitution alors que cette Constitution n’a que 16 ans d’âge, c’est plutôt les politiques qui ne parviennent pas à s’assumer et qui travaillent plus dans la tricherie, la corruption et le débauchage. C’est donc là le vrai problème, et il faut s’y atteler avec beaucoup de sérieux. Donc oui, si jamais on change de Constitution, tous les mandats reviennent à la case de départ et le président actuel pourra considérer que le mandat qui vient de passer ne compte plus.

Le régime présidentiel ne serait-il pas mieux pour donner au président de la République les pleins pouvoirs de mener son action et éviter ainsi le chantage des élus qui monnaient parfois leurs votes pour faire passer les lois ?

Nous avons connu des régimes présidentiels dans ce pays. Il faut suivre l’évolution de la situation constitutionnelle de notre pays pour savoir pourquoi nous avons abouti au système qui est le nôtre aujourd’hui. A l’indépendance, nous avions un régime parlementaire avec un président élu au second degré, donc élu par les chambres parlementaires et un Premier ministre avec les pleins pouvoirs. Au finish, on a eu les conflits de pouvoir entre le président de la République, Joseph Kasa-Vubu et le Premier ministre, Patrice Emery Lumumba. Donc, le régime parlementaire a connu des difficultés à s’adapter, comme vous le dites là, il faut un président de la République avec un pouvoir fort, la Constitution de Luluabourg qui aurait dû être mise en place en 1964, prévoyait notamment ce système dans un cadre fédéraliste mais le coup d’État de 1965 avec le général Mobutu à l’époque a pondu un régime présidentiel avec un pouvoir fort. La conséquence a été que le pouvoir fort entre les mains d’un président de la République a abouti très rapidement à la dictature. Il a créé le parti-État, il a créé tout ce qu’on a connu et quand les parlementaires ont essayé de commencer à contrôler l’exécutif, ils n’ont pas pu et les 13 parlementaires sont les exemples vivants de ce qu’un régime qui accorde pleins pouvoirs et tous les pouvoirs à un président vis-à-vis de qui tout le monde rend compte et lui n’a aucune instance auprès de qui rendre compte aboutit à la dictature et à l’étouffement de toutes les libertés publiques. Voilà, il s’en est suivi aussi un autre régime qui venait abattre ce régime là, c’est le régime de l’AFDL de Mzee avec un président de la République au pouvoir très fort, qui a élaboré sa propre Constitution. Et imaginez que ce régime a même organisé une succession familiale à la tête de l’Etat, on a eu Laurent-Désiré Kabila à qui a succédé Joseph Kabila, parce que le pouvoir était dans l’exécutif, le pouvoir était entre les mains du président qui avait les pleins pouvoirs et les autres institutions n’ont pas su exister pour le contrebalancer. Donc, il a fallu aller à Sun City où on a d’abord créé un gouvernement de transition avec un compromis où le pouvoir du président de la République a été partagé à 4 vice-présidents, ce qu’on appelait l’espace présidentiel, le temps de soumettre une Constitution au référendum et cette nouvelle Constitution était le compromis entre ceux qui voulaient un pouvoir présidentiel fort et ceux qui voulaient aussi un contrôle de l’exécutif. C’est ainsi que vous avez un président élu au suffrage universel direct avec des prérogatives propres et un Premier ministre nommé par le président de la République issu de la majorité parlementaire qui peut être démis de ses fonctions par l’Assemblée nationale. Donc, il y a là un équilibre des pouvoirs, le président de la République reste au-dessus de la mêlée, il mène la politique, le gouvernement le fait sous son impulsion mais le gouvernement rend compte au peuple à travers ses représentants à l’Assemblée nationale. Il n’y a pas là une question liée au fait qu’un régime particulier crée des institutions vertueuses et un autre crée des institutions corrompues, le presidentialisme fort a démontré qu’on avait aussi des acteurs politiques corrompus. Le vrai problème, ce n’est pas la Constitution, notre Constitution est le fruit de l’aboutissement d’un large compromis après la guerre, c’est elle qui a permis d’assurer un certain équilibre de l’unité nationale qui est d’ailleurs très fragile, mais le vrai problème est que ceux qui doivent le mettre en pratique, chaque fois qu’ils se sentent bloqués par ses exigences au lieu de s’incliner, trichent, galvaudent, corrompent et débauchent. Donc, ils veulent en réalité contourner les garde-fous prévus par la Constitution. Le problème n’est plus dans la Constitution mais dans la corruption de l’homme politique congolais.

Quels sont, selon vous, les articles révisables de la Constitution qui peuvent consolider la démocratie aujourd’hui ?

Parmi les articles révisables, il faut revenir d’abord aux deux tours de l’élection présidentielle pour une raison très simple. Le rôle du chef de l’Etat dans notre Constitution est suffisamment important parce qu’il a une légitimité certaine, il a quand-même le pouvoir d’arbitrer et d’assurer le bon fonctionnement des institutions, il est le garant de l’unité nationale, il est le garant du bon fonctionnement des institutions et le garant de la Constitution. Ainsi, avoir un président élu à un seul tour avec 13,10 pourcents de voix, ça ne consolide pas la légitimité de l’institution président de la République, raison pour laquelle il faut vraiment revenir aux deux tours pour permettre à ce que le président dégage autour de lui une majorité suffisamment représentative sur toute l’étendue du pays afin d’incarner vraiment la légitimité populaire nécessaire pour lui permettre de parler véritablement au nom du peuple congolais et le représenter. Donc c’est vraiment cet article qui est suffisamment important, qui était d’ailleurs dans la première version de la Constitution et qui a été modifié de manière opportuniste pour des questions électoralistes par le régime Kabila avant les élections de 2011.

Et si le projet de changement de la Constitution serait inscrit à l’ordre de jour à l’Assemblée nationale, quelles marges de manœuvres auriez-vous pour le bloquer ?

Je pense qu’il faut écouter la voix du peuple congolais qui cherche un avenir meilleur, qui veut des dirigeants responsables et qui veut jouir des richesses de son pays et pas des scandales à répétition. Ce serait une erreur grave de faire de la diversion par une inscription à l’ordre du jour d’une modification de la Constitution dans le contexte actuel. Cette Constitution est le fruit d’un accord de paix, est le fruit d’un large consensus national, a été adopté par un référendum où à 84 pourcents, le peuple congolais s’est prononcé vraiment pour elle, aujourd’hui dans le contexte qui est le nôtre ce serait non seulement irresponsable mais dangereux pour l’unité nationale, pour la paix sociale et même pour notre démocratie que d’inscrire cette question. Je pense que les personnes avisées vont pouvoir agir de manière plus sage quand le moment viendra.

Supprimer le Sénat est-il la solution à la compression des coûteuses dépenses institutionnelles ?

La suppression du Sénat ou des Assemblées provinciales, tout ce qu’on raconte n’est pas en soi un gage. Nous ferons des économies dans le budget de l’Etat parce qu’il faut d’abord vérifier ce que chaque institution consomme réellement. Les Assemblées provinciales ont des problèmes. Déjà pour des questions de budget, de retenue à la source, il faut faire la part des choses entre la corruption des acteurs politiques qui n’est pas liée à la pertinence de l’existence des institutions elles-mêmes mais plutôt à l’éthique de ces politiciens qui occupent ces institutions dont d’ailleurs la plupart, sont issus de la tricherie. En réalité, ils sont venus monnayer leurs fonctions. C’est un système de prébendes qui n’a rien à voir avec le fonctionnement des institutions. Vous pouvez supprimer le Sénat ou les Assemblées provinciales ou quel siège encore comme avancent les acteurs thuriféraires du changement de la Constitution mais la vraie question si on parle de l’affaire de coût, nous devons vérifier ce que consomme chaque institution, peut-être alors on va réellement se rendre compte quelles sont les institutions budgetivores. Supposons que si on vérifie que la présidence de la République a accumulé beaucoup plus de fonds de l’Etat et que le rendement a été moindre, faut-il pour autant supprimer la présidence de la République ? Donc, c’est un faux problème, un faux débat, si la question est dans la rationalisation de recettes de l’Etat, c’est plutôt dans la lutte contre la gabegie, l’impunité, la megestion et dans la dissipation des ressources de l’Etat et non dans la suppression des institutions. Quand le moment sera venu s’il faut effectivement envisager ces questions là, il faut se poser une évaluation claire et nette de chaque institution et son utilité, peut-être que c’est le nombre qu’il faut réduire, peut-être alors c’est aussi le contrôle des finances.

Avec Ouragan.cd

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