Politique

Un potentiel candidat président, Tshani sévère à l’endroit de Matata

Prié de dire ce qu’il met à l’actif et au passif du Premier ministre Matata Ponyo après quatre années à la tête de l’Exécutif national, Noël Tshani, haut fonctionnaire à la Banque mondiale -BM-, pressenti candidat à la présidentielle de novembre 2016, s’est montré très sévère à l’endroit de Matata Ponyo, invité à dresser son propre bilan. «On a vu qu’il a acheté des avions d’occasion. Il acheté également des wagons d’occasion. Je me demande franchement si on peut conduire une Révolution de la modernité avec des engins usagés. Tant mieux pour le pays, si l’actuel gouvernement a pu construire des écoles», regrette Tshani. Puis: «Je constate néanmoins que les Congolais continuent à vivre dans la précarité pendant que le gouvernement revendique un bilan satisfaisant. Je tiens à dire que ce qui caractérise l’équipe gouvernementale en place c’est bien le niveau de corruption. La corruption est endémique. Les ressources publiques sont détournées au profit des individus». Ce haut fonctionnaire à la BM qui effectue actuellement une tournée dans plusieurs capitales pour présenter son «Plan Marshall pour la RDC», pense que plusieurs questions restent sans réponses. Qu’a fait le gouvernement pour qu’on ait un système bancaire où il y a des actionnaires RD-congolais? Qu’a fait le gouvernement pour mettre fin à la «dollarisation» qui empêche la conduite d’une politique monétaire de façon indépendante. Qu’a fait le gouvernement pour que la Banque centrale du Congo -BCC- devienne une véritable autorité monétaire? Pendant qu’on lutte contre la dollarisation, pourquoi le gouvernement exige-t-il aux compagnies minières et pétrolières de payer les obligations fiscales en devise américaine en violation de l’article 176 de la Constitution? «Le résultat est très décevant», conclut Tshani. Il reste par ailleurs formel, précisant que: «le véritable changement au Congo-Kinshasa ne viendra pas par le remplacement de Joseph Kabila par l’un ou l’autre de ses actuels ou anciens collaborateurs mais plutôt par de nouveaux leaders ayant une nouvelle vision de développement du pays. Ces nouveaux leaders doivent n’avoir jamais trempé dans la corruption et la mauvaise gouvernance du pays ou dans la destruction des richesses naturelles». Interview.
Dans une précédente interview à Congo Indépendant en août 2015, vous ne pouviez pas répondre à la question de savoir si vous serez candidat à l’élection présidentielle de 2016. Au motif que vous étiez en train d’y réfléchir. Etes-vous toujours «au stade de la réflexion»?
Effectivement, la réflexion a beaucoup avancé. Depuis le mois d’août dernier, nous avons rédigé un projet de société que nous avons publié sous forme d’un livre intitulé «La force du changement». Nous en avons tiré un résumé publié sous le titre «Aux grand maux, les grands remèdes, un Plan Marshall pour la RDC». C’est un projet de développement qui pourrait servir de base à une campagne présidentielle éventuellement. Nous n’avons pas encore pris la décision définitive. Et ce pour la simple raison que nous sommes encore en concertation avec d’autres partenaires que nous souhaiterions avoir avec nous dans cette grande initiative pour le pays.
Pourquoi avez-vous adopté l’appellation «Plan Marshall»?
Le «Plan Marshall» original était conçu pour la reconstruction de l’Europe à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Je constate que le Congo a été détruit aussi depuis 1960 à ce jour par plusieurs guerres successives. La situation qui en résulte est catastrophique. Quelle est cette situation? Nous sommes classés dans l’Indice de développement humain du PNUD comme étant le pays le moins développé de la planète. Transparency International et d’autres organisations non gouvernementales classent le Congo dans le peloton de tête des pays les plus corrompus. Sur le terrain, il apparaît que 85% des revenus provenant de l’exploitation des minerais n’entrent pas dans les caisses de l’Etat mais atterrissent dans les poches de quelques individus. Conséquence: moins de 10% de la population a accès à l’eau et à l’électricité. Les infrastructures routières sont complètement détruites. Les écoles et les hôpitaux sont dans un état de délabrement total. Le Produit intérieur brut par habitant est de 394 USD soit le plus bas de la planète.
Revenons au «Plan Marshall». Ce plan a été conçu par un citoyen américain en l’occurrence le général Georges Marshall pour relancer l’économie européenne. Dans votre cas, c’est un projet de relance économique élaboré par un Congolais pour le Congo-Kinshasa. D’où proviendront les ressources financières pour matérialiser cette ambition?
Dans le cas qui nous concerne, je dirai que «Plan Marshall» est devenu un terme générique pour dire simplement «un plan de reconstruction d’un pays». Certains compatriotes ont suggéré qu’on adopte l’appellation «Plan Marshall de Noël Tshiani pour la RDC». En ce qui concerne le financement du «Plan», je pars de l’idée que le Congo a beaucoup de ressources mais qui ne sont pas utilisées à bon escient et n’entre pas dans le budget de l’Etat. Nous devons faire des efforts pour récupérer les 85% des ressources financières qui échappent à l’Etat.
Qu’entendez-vous par «nous»?
Par «nous», je veux dire l’équipe gouvernementale qui sera en place. Permettez-moi de souligner que je suis partisan de l’idée que pour combattre la corruption avec succès, il faut n’avoir jamais été corrompu soi-même. C’est pourquoi, les Congolais doivent être prudents dans le choix de leurs futurs dirigeants. Je peux dire devant tout le monde que je n’ai jamais été corrompu dans ma vie.
Peut-on combattre la corruption tout seul sans une Justice indépendante et efficace?
La réponse est: Non! Il faut mettre en place un Etat de droit. La réforme du secteur judiciaire est une des priorités du plan que je propose. Nous allons mettre en place un système de gouvernance beaucoup plus sobre par rapport à celui que nous avons aujourd’hui.
Que répondez-vous à ceux qui pourraient vous rétorquer que tout ce que vous venez de dire c’est «du déjà entendu»?
Il y a une différence entre les acteurs politiques auxquels vous faites allusion et moi. Je suis un spécialiste de développement. J’ai travaillé à la Banque mondiale pendant 25 ans. J’ai eu à m’occuper du développement de plusieurs pays africains. J’ai élaboré des programmes de développement qui ont donné des résultats probants. Je vous invite à aller visiter les pays comme le Cap Vert, le Sénégal, le Mali et le Botswana pour ne citer qui ces nations. Je sais de quoi je parle.
Concrètement, qu’avez-vous fait dans ces pays?
Je peux donner des exemples précis. Je me suis occupé du secteur financier du Mali. A l’époque, le système bancaire de ce pays était totalement en faillite. Aujourd’hui, les banques locales fournissent des services de qualité. C’est le cas notamment de la «BDM» -Banque du développement du Mali- qui est classée 8ème au sein de l’Union monétaire ouest africaine. Lorsque j’ai pris le dossier Cap Vert, le PIB par habitant était de 170 USD. Vingt ans plus tard, le PIB/h s’élève à 4.500 USD. J’ai une expérience que je voudrais mettre au service de la RD-Congo. Au-delà de ces aspects, je suis mieux formé que la plupart des politiciens auxquels vous faites allusion. Je suis titulaire d’un doctorat en Science économique. Je traîne derrière moi un total de 35 ans d’expérience dans des banques commerciales notamment à New York et à la Banque mondiale. J’ai quand même un niveau d’intégrité qui est irréprochable. J’estime que je pourrais apporter un «plus» en RD-Congo.
Seul, vous ne pourrez réaliser aucun miracle…
Effectivement, comme disait le «Président fondateur». C’est avec l’appui de la population qu’on pourra relever les défis. J’estime que je suis en mesure de mobiliser des ressources humaines et financières importantes pour la mise en œuvre de ce plan. A travers mes tournées tant au Congo que dans les communautés congolaises à l’étranger, j’ai pu identifier des ressources humaines de qualité. Si nous travaillons ensemble avec ces ressources humaines congolaises, nous serons en mesure de faire un travail de qualité au bénéfice du grand nombre.
Peut-on réaliser une telle ambition sans avoir une «machine partisane»?
Je suis membre d’aucun parti politique. Je pense que c’est plutôt un avantage. Dans notre pays, il y a 600 partis politiques différents. Des partis sans assise nationale ni vision de développement. Je me propose de rassembler un maximum de ces groupements derrière une vision commune de développement. Des pourparlers sont en cours avec des leaders. J’espère que nous parviendrons à constituer une plateforme beaucoup plus importante.
Une année après, le «dialogue politique» initié par «Joseph Kabila» peine à démarrer. Selon vous, ce forum vaut-il encore la peine?
Je crois aux vertus du dialogue. Lorsqu’un pays se trouve dans une situation comme la nôtre, il est important que les citoyens dudit pays se parlent continuellement pour trouver des solutions aux problèmes qui se posent avec acuité. Sur le plan politique, le pays est «bloqué» depuis 2011. Deux personnes se disputent la victoire à l’élection présidentielle du 28 novembre 2011. Il y a d’un côté M. Etienne Tshisekedi qui est le «président élu». Il exige son imperium. C’est tout à fait légitime. Nous avons de l’autre côté, M. Joseph Kabila qui est à la tête de l’Etat et contrôle la force publique…
On doit souligner que «Joseph Kabila» est fin mandat le 19 décembre prochain…
Effectivement! J’estime que pour aller vers une nouvelle élection, il faut baliser le terrain. Il importe de régler ce contentieux électoral de «manière civilisée». Je souhaite qu’on aille au dialogue à condition qu’on respecte la Constitution car ce dialogue n’a pas mandat pour modifier la loi fondamentale. Hormis cette réserve, nous pouvons discuter sur les autres questions.
Que répondez-vous à ceux qui accusent le pouvoir de «mauvaise foi» pour avoir multiplié des entraves pour empêcher la tenue des consultations politiques dans les délais constitutionnels afin de permettre au Président en exercice de rester au pouvoir au-delà de l’expiration de son mandat?
Ces gens ont parfaitement raison. J’observe moi-même que depuis un certain temps, le processus électoral n’avance pas. La responsabilité incombe naturellement à ceux qui sont au pouvoir. Depuis 2012, un montant de 200 millions USD était alloué chaque année pour les élections. A ce jour, on devrait trouver au moins un milliard USD dans les caisses de la CENI.
Selon le porte-parole du secrétariat général de la «Majorité présidentielle», André Atundu Liongo, l’argent économisé depuis 2012 a été affecté à la guerre contre le M23…
M. Atundu ne doit pas parler comme ça. Cela montre qu’il ne sait pas comment fonctionne le budget de l’Etat. S’il faut allouer de nouvelles ressources, il y a une procédure prévue pour ce faire. En pareil cas, le gouvernement doit retourner devant l’Assemblée nationale.
Dans un communiqué daté du 28 avril 2016, le porte-parole du département d’Etat a déclaré cette semaine que les Etats-Unis souhaitent que les élections puissent avoir lieu au Congo-Kinshasa dans les «délais requis». Il a ajouté que l’Amérique est «préoccupée» par la situation des droits et libertés. Une allusion claire à la répression de la manifestation organisée le 24 avril à Lubumbashi. Votre réaction?
Je suis parfaitement d’accord avec le département d’Etat. Je regrette qu’il y ait eu des arrestations au mépris des règles d’un Etat de droit fonctionnel. La Communauté internationale doit insister pour que les élections se tiennent dans les délais afin qu’on aboutisse à une «passation pacifique et civilisée» du pouvoir le 19 décembre 2016.
Croyez-vous franchement qu’une «passation civilisée» du pouvoir est possible?
Elle est possible! C’est une question de volonté politique.
Le Premier ministre Augustin Matata Ponyo vient d’accomplir quatre années à la tête de l’Exécutif national. Que peut-on mettre à son actif et à son passif?
Le résultat est très décevant. Je souhaiterais que l’intéressé nous dise lui-même ce qu’il met à son actif. On a vu qu’il a acheté des avions d’occasion. Il acheté également des wagons d’occasion. Je me demande franchement si on peut conduire une «Révolution de la modernité» avec des engins usagés. Tant mieux pour le pays, si l’actuel gouvernement a pu construire des écoles. Je constate néanmoins que les Congolais continuent à vivre dans la précarité pendant que le gouvernement revendique un bilan satisfaisant. Je tiens à dire que ce qui caractérise l’équipe gouvernementale en place c’est bien le niveau de corruption. La corruption est endémique. Les ressources publiques sont détournées au profit des individus. Vous avez appris autant que moi qu’il y a des Congolais qui possèdent des comptes off shore au Panama. Il serait bon que le peuple congolais sache l’origine de l’argent placé dans ces paradis fiscaux. Je constate que le système bancaire congolais se trouve entre les mains de quelques familles étrangères. Plusieurs questions restent sans réponses. Qu’a fait le gouvernement pour qu’on ait un système bancaire où il y a des actionnaires congolais? Qu’a fait le gouvernement pour mettre fin à la «dollarisation» qui empêche la conduite d’une politique monétaire de façon indépendante. Qu’a fait le gouvernement pour que la Banque centrale du Congo devienne une véritable autorité monétaire? Pendant qu’on lutte contre la dollarisation, pourquoi le gouvernement exige-t-il aux compagnies minières et pétrolières de payer les obligations fiscales en devise américaine en violation de l’article 176 de la Constitution?
Vingt-six ans après le discours du Président Mobutu annonçant le retour au pluralisme politique, quelle est votre analyse du chemin parcouru? A-t-on avancé ou reculé?
Vingt-six ans après, je peux dire que le Congo se trouve dans une situation «plus délicate» qu’avant. Je ne vois aucune avancée. Bien au contraire. Je note du recul en matière des droits et libertés. Le multipartisme est certes là. Mais c’est un multipartisme qui ne sert à rien. Comme je l’ai dit précédemment, une démocratie ne peut pas fonctionner avec 600 partis politiques sans assise sociale ni vision. La grande majorité de ces formations politiques est créée par des personnes qui ont eu à assumer des fonctions publiques…
A propos des 600 partis politiques, ne pensez-vous pas que les élections seraient l’occasion de réaliser une «sélection naturelle»?
C’est vrai qu’il importe de passer par les élections pour avoir cette sélection naturelle.
Dans son discours du 24 avril, Mobutu avait limité le nombre des partis à trois. Il fut chahuté…
J’estime aujourd’hui que ce fut une erreur de chahuter une telle proposition. Le Congo a besoin de deux ou trois partis politiques. Pas plus que ça! On devrait structurer la vie politique autour de deux ou trois grands partis. Les autres partis devraient se regrouper par similarité programmatique…
Propos recueillis par Baudouin AMBA WETSHI
Tiré de Congo indépendant

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