Politique

Sur les traces de Djelo Empenge, le ministre de l’ESU Steve Mbikayi signe un arrêté frauduleux

La quiétude qu’affiche le secteur de l’enseignement supérieur et universitaire n’est qu’une façade qui cache bien des turbulences auxquelles sont confrontés les comités de gestion des différents instituts supérieurs et universités publics. La pomme de chagrin, se plaignent nombre d’autorités académiques, vient du mode de gestion instauré par Steve Mbikayi Mabuluki depuis qu’il est aux commandes de l’ESU. «Nous fonctionnons depuis quelques mois comme si ce secteur était pris en charge par un privé qui le gère désormais comme ses propres écoles au mépris total des règles de gestion», se plaint une autorité académique sous le sceau de l’anonymat.
En fait de privatisation de la gestion des instituts et universités, Steve Mbikayi, qui s’est joint, comme Directeur de cabinet, les services du Professeur Labana dont on connaît le passé de gestion à l’Université de Kinshasa, rappelle, à plusieurs égards, les travers d’un ancien ministre de l’ESURS à l’époque du MPR- Parti Etat, le Prof Victor Djelo Empenge Osako, 1980-1983.
Cette gestion tant décriée était caractérisée alors par des libertés que se permettait le cabinet en centralisant tout au point d’ignorer les comités de gestion qui sont pourtant des partenaires. Résultat: désarticulation totale du secteur de l’Enseignement supérieur, universitaire et recherche scientifique. C’est depuis lors, entre autres, que la gestion du secteur par des enseignants, même parmi les plus célèbres, est sujette à caution. Mais Steve Mbikayi, lui, n’en est pas un. Il est plutôt promoteur d’écoles privées.
Des sources proches des instituts supérieurs et universités publics évoquent unanimement le viol systématique des règles de collaboration entre le ministère et les comités de gestion ainsi qu’un certain nombre d’arrêtés dont, notamment, l’arrêté départemental n°ESU/CABCE/034 du 31 janvier 1983 portant règlement d’administration relatif au détachement, à la disponibilité, à la suspension et au transfert du personnel de l’enseignement supérieur et universitaire.
Violation de la base de collaboration avec les instituts supérieurs et universités
Sur ce cas précis, Steve Mbikayi a pris, en date du 11 avril 2017 l’arrêté ministériel n°039/MINESU/CAB.MIN/SMM/RNT/LMM/2017 du 3 avril 2017 portant transfert de quelques membres du personnel académique et scientifique de l’Enseignement supérieur et universitaire de la République démocratique du Congo. Au total 38 professeurs, chefs de travaux et assistants sont bénéficiaires de cet arrêté qui, selon des sources proches du ministère de tutelle, n’est qu’un jet sur une liste d’autres déjà prises ou à venir.
Mais en attendant, déjà sur le principe de base en matière d’emploi et de travail, cet arrêté a été pris sous le mandat du gouvernement Badibanga alors démissionnaire. Or, en ce genre de situations, il est interdit aux membres du gouvernement démissionnaire et expédiant les affaires courantes d’ordonner ou d’autoriser, sauf urgence et extrême nécessité, tout mouvement du personnel de quelque nature que ce soit.
Dans le fond, cet arrêté viole la base de la collaboration nécessaire entre les institutions d’enseignement concernées -de provenance et d’affectation- et le ministère de tutelle. En effet, celui-ci n’agit qu’en fonction des avis favorables des institutions d’origine et d’affectation. Or, les autorités académiques contactées jurent, la main sur le cœur, n’avoir presque jamais été saisies pour ces avis préalables.
Transfert des enseignants sans prise en compte de leurs compétences scientifiques
Ceci est d’autant plus vrai que dans la plupart de ces transferts, la décision du ministre Mbikayi Mabuluki viole gravement les normes en matière des profils des enseignants transférés par rapport aux filières de leurs nouvelles institutions d’affectation. Par exemple, qu’est-ce qu’un spécialiste du développement rural peut aller enseigner dans une institution de formation en comptabilité? Qu’est-ce qu’un enseignant en informatique de bureau peut aller dispenser comme matières dans une faculté de droit?
Les autorités académiques qui accueillent ce genre de cas sont alors en peine de leur trouver des charges horaires correspondant à leurs compétences scientifiques. Elles sont d’autant plus embarrassées en recevant des assistants qui, conformément à la réglementation, ne sont pas concernés par ce genre de transferts.
Le cas le plus célèbre est cette décision unilatérale du ministre de l’ESU d’octroyer des cartes biométriques aux étudiants sous prétexte de les identifier. Cette décision aussi, indiquent des autorités académiques, a été prise unilatéralement sans qu’elles ne soient consultées. Elle a été prise et mise en application à deux mois de la fin de l’année académique en cours, alors que les étudiants détiennent déjà des cartes biométriques délivrées par leurs institutions d’enseignement. Faudra-t-il donc que chaque étudiant paie deux fois pour la même identification?
Des cartes biométriques d’une validité de 10 ans
Plus grave encore, pourquoi octroyer à un étudiant une carte biométrique d’une validité de 10 ans? Les études sont-elles devenues une carrière professionnelle ou songerait-on à les étendre indéfiniment par quels mécanismes?
En réalité par toutes ces initiatives, Steve Mbikayi se passe superbement des rapports et des propositions à lui soumis ou qui peuvent lui être soumis par les comités de gestion avant toute décision comme l’impose la réglementation. Au contraire, c’est désormais le ministre qui abuse de son impérium et mène la démarche contraire en s’imposant sur ces autorités académiques.
L’une de celles-ci se dit traumatisée par «les appels téléphoniques du ministre et même des descentes régulières des membres de son cabinet dans les instituts et universités pour faire le suivi de ses propres mesures sous peine de sanctions». Et de poursuivre: «le ministre exploite, parfois maladroitement, à son propre profit matériel et politicien des rapports et des propositions que nous lui faisons». Exit alors le principe de continuité du service public de l’Etat.
Confection d’un bilan à des fins politiques
«Même des mesures approuvées par ses prédécesseurs et déjà en cours d’application sont stoppées sans aucune forme de procès», soutient une autre autorité académique, un brin de moquerie dans son ton. Pour lui, «le ministre cherche à s’approprier certaines initiatives à mettre à son propre compte pour se confectionner un bilan à des fins politiques». Mais, poursuit-il, «si tel est le cas, alors c’est un palmarès d’incongruités en gestion qu’il est en train de se confectionner».
Et c’est ici que sort le fin mot de l’autoritarisme et du népotisme que Steve Mbikayi semble vouloir installer dans ce secteur aussi sensible que l’enseignement. «C’est connu de tous que le ministre procède actuellement à des recrutements et au renforcement de son parti politique. Et notre secteur est bien propice pour ce genre d’activités avec son personnel enseignant et administratif, et même les étudiants. Il distribue, lui-même ou par personnes interposées, des promesses de nomination, de promotion ou d’affectation dans des formations dites juteuses lors des mises en place que ses hommes évoquent de plus en plus ces derniers temps».
Les autorités académiques entreprennent, actuellement, de saisir les hautes autorités du pays pour mettre fin à ces antivaleurs que leur impose l’autorité de tutelle. Déjà, apprend-t-on, elles envisagent de s’organiser en une sorte de caucus pour plaider leur cause. Dossier à suivre.
YA KAKESA

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