Politique

Le Kasaï Oriental sous coupe réglée

Le gouverneur aux méthodes de gestion douteuses, Alphonse Ngoyi Kasanji
Le gouverneur aux méthodes de gestion douteuses, Alphonse Ngoyi Kasanji
A en croire ses administrés, le gouv’ Ngoy Kasanji est un homme à tout faire. Il n’a pas la mainmise seulement sur les pierres précieuses de sa province. L’homme a également dans sa poche la gestion des finances provinciales et le patrimoniale. Personne ne sait rien de la direction provinciale des recettes -DPR-, l’équivalent de la DGRK de Kimbuta, en dehors du fait que ces services encaissent journellement… FC 20 millions FC, soit  FC 520 millions par mois
Mbuji-Mayi, chef-lieu de la fière province du Kasaï Oriental, est, dans l’imaginaire et le langage courant, la capitale mondiale du diamant. Siège de la mémorable Forminière, ancêtre colonial de l’actuelle Minière de Bakwanga -MIBA-, qui eut ses lettres de noblesse en son temps, sous le Maréchal Mobutu. Parce qu’à l’époque, de la toute puissante minière dépendaient la satisfaction des nombreux caprices du dictateur et la solution des problèmes logistiques et infrastructurelles de Mbuji-Mayi. Ici, le Président administrateur délégué de la MIBA pesait bien plus que le gouverneur de province, représentant du pouvoir MPrien.
On se souvient particulièrement d’un certain Jonas Mukamba Kadiata Nzemba, tout puissant patron de la MIBA dans les années 90. Il fut nommé à ce poste par son ami le Maréchal-Président. Pas pour ses beaux yeux. Il s’agissait pour le madré léopard de Kawele de contrer l’influence, néfaste pour la dictature de l’époque, d’un certain Etienne Tshisekedi wa Mulumba dans la contrée. C’est tout dire de l’importance de cette entreprise diamantifère dont on disait que du temps du Congo-Belge, elle répondait directement de la famille royale belge, avant de passer dans l’escarcelle de Mobutu et de son régime.
Aujourd’hui, la MIBA se bat tant bien que mal pour ne pas devenir l’ombre d’elle-même. Parce que la crise économique, des années de gestion calamiteuse, les guerres et les rébellions qui se sont succédées en RD-Congo avec une régularité d’horloger suisse sont passées par là. Mbuji-Mayi doit voir ailleurs, se chercher de nouvelles ressources pour survivre. Pas facile. Pas étonnant que les jeunes de cet espace sont de plus en plus nombreux à quitter la région pour aller «voir ailleurs», au Katanga, à Kinshasa voire à l’étranger…
Les ressources du sous-sol, pourtant, ne font pourtant pas encore défaut. Ici, les «creuseurs», nom donné aux exploitants artisanaux de diamants, tiennent toujours la tête. Dernier trimestre 1999, un diamant de plus de 265 carats est extrait des mines de la province, sans que nul ne puisse attester, vraiment, si la pierre rarissime provenait d’une concession de la MIBA, ou d’ailleurs.
Un groupe de jeunes négociants se cotise pour l’acquérir et la vendre, certains hypothéquant leurs propriétés immobilières. A leur tête, un certain Alphonse Ngoy Kasanji, dit Ngokas, un ancien enseignant converti dans le négoce de pierres précieuses. Des démêlés avec le pouvoir en place à l’époque, celui de Mzee Kabila en place depuis quelques deux ans, rendent l’affaire du diamant Ngokas célèbre. Le groupe de négociants de Mbuji-Mayi s’estimant menacés de dépossession se constitue prisonnier et est effectivement détenu dans les locaux des services de sécurité à Kinshasa. Cela suffit pour que l’affaire soit politisée à souhait et transformée en guéguerre avec le ministère des Mines du pouvoir en place.
Tout finit par se régler correctement, cependant, grâce à une intervention personnelle du Président Laurent-Désiré Kabila qui ordonne que le diamant soit remis à Ngokas à la condition que les droits dus au Trésor soient acquittés après sa vente. Le diamant Ngokas est donc réalisé au dernier trimestre 2000 à Tel-Aviv -Israël- pour la rondelette somme d’USD 5,5 millions. Mais on apprend en même temps la disparition soudaine du présumé propriétaire, Alphonse Ngoy Kasanji. Pas pour longtemps cependant, l’homme réapparait comme par enchantement quelques semaines plus tard, pour faire face à une cascade de plaintes de ses associés qui, d’une manière ou d’une autre, croyaient avoir pris une part active à la lutte pour la récupération du joyau tribal.
Ici aussi, les affaires se règlent sans trop de tapages, en dehors du fait que quelques mois plus tard, on retrouve l’ancien opposant au pouvoir kabiliste qu’il avait soupçonné de vouloir lui extorquer son diamant dans les rangs du PPRD, le parti présidentiel. L’homme jouit d’une renommée incontestable dans son Tshilenge natal et à Mbuji-Mayi. Il claironne «urbi et orbi» sa détermination à redonner des couleurs à un PPRD en mauvaise posture dans l’espace luba viscéralement acquis au vieil opposant du Maréchal Mobutu, Etienne Tshisekedi. Ceux qui osent, ici, affronter le vieux sphinx sont rares, il faut l’avouer. Alphonse Ngoy Kasanji peut ainsi se retrouver sans trop de peine propulsé Gouverneur de province pour le compte de l’AMP kabiliste. Ce dernier espère de la sorte inverser la tendance.
L’ancien acheteur de pierres précieuses de Mbuji-Mayi, ex-président de la Fédération des diamantaires avant de diriger le Kasaï Oriental, déçoit de plus en plus ses administrés. Ils l’accusent de gérer l’entité provinciale qui lui a échu comme un comptoir d’achat de diamants. L’affaire est tout simplement mafieuse, puisque dans la contrée, aucune pierre de diamant blanc de plus d’un carat ne peut être vendue ailleurs que dans les comptoirs Ngokas du tout puissant Gouv’.
Un élu provincial de Lubefu, l’honorable Kalema, en a fait les frais, en payant de sa vie une pierre précieuse de 2,5 carats, sa propriété, que le gouverneur-négociant avait fait acheminer de force vers un de ses comptoirs pour imposer un prix à sa convenance. L’Honorable Kalema filait le train aux hommes de main de Ngoy Kasanji, à bord d’une moto de fortune dans l’espoir de récupérer son bien, lorsqu’il chuta accidentellement et rendit l’âme des blessures provoquées par l’accident. Pas touches au secteur du diamant, ici.
Il n’y a pas que sur le diamant que Ngoy Kasanji a une totale la mainmise sur toute l’étendue de «sa» province. La gestion des finances provinciales est, elle aussi, patrimoniale. Comme Kinshasa, le Kasaï Oriental s’est doté de sa direction provinciale des recettes -DPR-, l’équivalent de la DGRK de Kimbuta Yango, donc. A la grande différence que des finances de la province diamantifère, personne, absolument personne, ne sait rien.
En dehors du fait que ces services encaissent journellement la bagatelle de FC 20 millions, et donc quelque FC 520 millions par mois. Aucune banque locale n’a trace d’un dépôt quelconque de ces sommes, alors que les ministres de Ngokas, paupérisés jusqu’à la moelle, parcourent des kilomètres au trot pour se rendre à leurs offices. Leurs derniers moyens motorisés, ils les avaient reçus il y a plus de huit ans vers 2006, du gouvernement central.
D’autres dotations en charroi destinées à divers services de la province ont été proprement détournées de leurs affectations initiales par le boulimique Ngoy Kasanjiqui s’est permis, entre autres, d’affecter une jeep Nissan pimpante neuve à ses services domestiques dans la capitale Kinshasa. Doté d’un gyrophare et d’une sirène, ce véhicule permet à Ngokas de frimer lors de ses escales à Kinshasa et à son épouse, députée nationale -made by Ngoy Mulunda- qui peut de la sorte éviter les désagréments des embouteillages kinois lorsqu’elle se rend au Palais du peuple ou au marché.
S’agissant d’élections, elles constituent l’un des miracles, sinon le seul vraiment réussi par l’ancien négociant en joyaux. Car, à Mbuji-Mayi, Alphonse Ngoyi Kasanji est théoriquement le porte-étendard de la Majorité Présidentielle de Joseph Kabila Kabange. Dans la pratique, c’est on ne peut moins évident. Aux dernières élections organisées en RD Congo, ce natif de Tshilenge s’en est tiré avec… 36.000 voix, ce qui a fait de lui le  «député le mieux élu» de la très tshisekediste circonscription de Mbuji-Mayi.
Son mentor présumé, Joseph Kabila Kabange, n’a curieusement pas eu sa «chance» car il ne s’en est tiré qu’avec 5.992 voix, soit 1,37 % des suffrages exprimés dans la ville pour l’élection présidentielle qui eut lieu le même jour. C’est plutôt Etienne Tshisekedi, le challenger de Joseph Kabila, qui obtint 269.154 voix, et partage donc la «préférence» des électeurs de Mbuji-Mayi avec l’inénarrable Ngokas.
On ne se serait pas rendu compte de la convergence objective de ces chiffres électoraux si, dans la pratique, la gestion du Kasaï Oriental par ANK ne confortait pas ces dispensations. Il suffit de dépoussiérer tant soit peu les dossiers pour découvrir le pot aux roses. Depuis que le diamantaire est aux commandes de la province, tous les projets sociaux prennent la même direction : celle des circonscriptions de son district natal de Tshilenge -future province du Kasaï Oriental- qui, pourtant, avaient fait un sort peu enviable à la MP, sa famille politique.
Alors que les districts -et futures provinces- du Sankuru et Kabinda, réputées pour leur fidélité à la MP, demeurent les enfants pauvres du Kasaï Oriental auxquels rien ou presque n’a été donné. Ngoy Kasanji n’a pas inventé la roue. Son jeu politique est fin, mais vieux comme le monde et la RD Congo: il consiste à se servir des leviers du pouvoir étatique pour préparer la chute du même pouvoir.
Tino MABADA

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