Crispin Kabasele Tshimanga, président national de l’Union des démocrates socialistes -UDS- et coordonnateur national du Groupe des partis indépendants -GPI-, n’est pas à présenter à l’opinion nationale. Il est ancien journaliste au quotidien «Elima» de la belle époque, ancien dirigeant sportif -ancien Secrétaire général adjoint de l’AS Dragons Bilima et Secrétaire général adjoint du Comité national olympique congolais-, ancien Représentant de l’UDPS en France, ancien Secrétaire général adjoint du Rassemblement congolais pour la démocratie -RCD/Goma- et de l’Alliance pour le renouveau du Congo -ARC. Il a siégé au Sénat pendant la période de transition 1+4 pour le compte du RCD/Goma. Détenteur du Diplôme d’études diplomatiques supérieures, l’honorable Kabasele Tshimanga est spécialiste des conflits et fin analyste des questions internationales et stratégiques. Dans une interview qu’il nous a accordée, pour la première fois, à «AfricaNews», il parle du phénomène Kamuina Nsapu affirmant qu’on a frôlé la guerre civile, des sanctions imposées aux certaines dignitaires du régime de Kinshasa qu’il qualifie d’ingérence ainsi que de l’opération d’enrôlement des électeurs en cours dans d’autres provinces sauf aux Kasaï et Kasaï Central. Entretien.
Acteur politique doublé d’observateur de la situation que traverse notre pays, quelles leçons faites-vous de nombreuses évasions enregistrées dernièrement dans les prisons RD-congolaises?
Le phénomène d’évasion des prisonniers n’est pas une spécialité RD-congolaise. Cela se passe aussi ailleurs et parfois de manière spectaculaire. Ne dramatisons pas la situation que nous connaissons dans notre pays. Par contre, ces évasions mettent à nu les déficiences de notre système pénitentiaire. Il faut revoir de fond en comble notre politique carcérale. Nous devons nous interroger sur le nombre de nouvelles prisons construites dans notre pays depuis 1960, sur le traitement réservé aux prisonniers, sur leur rééducation, sur la sécurité dans nos prisons. Les insuffisances cumulées depuis des décennies se font maintenant sentir. Bref, tout est à repenser.
Le Grand Kasaï est en proie à des violences qui ont débouché sur des massacres et des fosses communes. Des civils innocents et des éléments des FARDC sont morts. Deux experts de l’ONU ont été aussi tués. Comment réagissez-vous à la proposition de la Commission des droits de l’homme de l’ONU d’ouvrir une enquête internationale en RD Congo, à l’enquête diligentée maintenant par la justice militaire RD-congolaise dont le procès a déjà débuté concernant les présumés tueurs de deux experts onusiens?
La situation qui prévaut au Grand Kasaï, à savoir le Kasaï, le Kasaï Central et le Kasaï Oriental, est complexe. L’origine des violences est connue de tout le monde. Tout est parti d’un simple conflit coutumier mal géré par les instances locales, provinciales et nationales. Il y a eu aussi la récupération politicienne par des gens sans foi ni loi, oubliant leurs responsabilités dans le non-développement de l’espace kasaïen, qui ont tout rejeté sur le dos du pouvoir central qui n’aurait rien fait pour le développement du Grand Kasaï. A y regarder de plus près, on constate que les tireurs de ficelles tapis dans l’ombre ont assumé, par le passé, des charges d’Etat tant aux niveaux local, provincial que national sans avoir contribué au développement du Grand Kasaï. Ainsi, le chômage endémique, la carence des infrastructures de base même d’intérêt local, l’absence d’électricité, l’inexistence de l’industrialisation, etc. ont été mis sur le dos du pouvoir central pour soulever les masses locales. Dans ces conditions, le terrain était fertile pour les vendeurs d’illusions. Le fameux phénomène Kamwena Nsapu qui en est découlé, avait pour but la déstabilisation du régime et de la nouvelle province du Kasaï. Le recrutement a été basé sur le mensonge. Ces miliciens, sur leur passage, s’en prennent à tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux, saccagent les édifices publics, profanent les lieux de culte, décapitent même les chefs coutumiers qui leur sont hostiles. Au lieu de rester dans le territoire de Dibaya au Kasaï Central où ils ont pris naissance, ils se sont propagés un peu partout: Kazumba, Dimbelenge, Kabeya Kamuanga, Luilu, Kamiji, Luebo, Tshikapa, Mweka, etc. Dans le cas du territoire de Tshikapa, mon territoire natal, il y a eu aussi de complicités sur place. Les Kamwena Nsapu ont voulu embraser la nouvelle province du Kasaï sans succès. Car, la réaction des non-lubaphones a été aussi prompte. Donc, nous venons de frôler une guerre civile dans la province du Kasaï. Au sujet des massacres dans le territoire de Tshikapa, il y a trop de mensonges et de contrevérités. Cependant, je dois condamner avec la dernière énergie certains politiciens non-lubaphones de la province du Kasaï qui ont fourni des armes à leurs communautés de base pour s’en prendre aux autres communautés locales inoffensives, mettant ainsi de l’huile sur le feu. Ces «politicailleurs» d’un autre âge doivent être traduits devant la justice pour répondre de leurs actes ignobles.
Et la Communauté internationale…
Concernant la Communauté Internationale, ce panier à crabes dont chaque membre ne vise que ses propres intérêts, je pense que la RD-Congo est capable de mener cette enquête sans ingérence étrangère au nom de la souveraineté nationale. Ceux des RD-Congolais ayant pris partie pour l’étranger en soutenant la proposition d’une enquête internationale, sont des traîtres, des vendus. Pour moi, quels que soient nos problèmes internes, nous ne devons pas brader notre souveraineté nationale. Qu’on laisse la justice RD-congolaise faire son travail. Soutenir le contraire, c’est affirmer urbi et orbi que les RD-Congolais demeurent toujours de petits enfants que certaines puissances doivent materner éternellement. Sur cette question, je me dois de rappeler la phrase prononcée en décembre 1996 à La Plaine Saint Denis, en France, par le feu Président Etienne Tshisekedi wa Mulumba de l’UDPS s’adressant aux RD-Congolais de la diaspora réunis pour la circonstance: «Si, à 36 ans, un enfant n’a pas grandi, il ne grandira jamais». Je ne m’explique pas que, 57 ans après notre indépendance, les RD-Congolais acceptent d’être traités comme des gamins. C’est humiliant pour la nation RD-congolaise.
Entre la RD-Congo et l’Occident, c’est la brouille. Plusieurs dignitaires du régime RD-congolais ont été sanctionnés et interdits de voyage en Occident tandis que leurs avoirs ont été gelés. Quel est l’impact de toutes ces sanctions?
Ce n’est pas une brouille, c’est l’ingérence que tous les RD-Congolais doivent condamner sans réserve. D’ailleurs, la respectable Charte de l’ONU interdit l’ingérence d’un Etat dans les affaires d’un autre Etat au nom de la paix mondiale et de la sécurité internationale. Malheureusement, nous assistons au désordre mondial organisé et entretenu par ceux-là qui devraient prêcher par le bon exemple. Les guerres en Libye, en Syrie, en Afghanistan, la déstabilisation rampante du Venezuela, l’imposition des coups d’Etat en Afrique, l’instauration des partis uniques sur le continent africain, le pillage des ressources naturelles africaines, etc. sont l’œuvre de mêmes donneurs de leçons qui se battent pour maintenir leur hégémonie sur l’ensemble de la planète. Ils ont même inventé des instruments de domination qu’ils appellent démocratie, droits de l’homme. Cela étant, ces sanctions n’auront pas, à mon avis, d’impact réel sur l’Etat RD-congolais qui vit sous perfusion de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international depuis 1963. Mais, certains RD-Congolais aliénés qui préfèrent l’étranger à la RD-Congo, ces «mundele ndombe» d’une époque révolue, pourront en faire les frais. Ils ne sont pas nombreux les RD-Congolais qui ont planqué leur magot à l’étranger ou y ont acheté des villas. A vrai dire, les Occidentaux ont plus besoin de la RD-Congo pour faire tourner leurs usines, maintenir leurs emplois et le niveau de vie actuel de leurs populations. A ce jour, tout patriote devra s’interroger sur les investissements occidentaux dans notre pays. Ils sont insignifiants. Prenons un exemple qui démontre leur ségrégation. Quand la Grèce est tombée en faillite, les Occidentaux ont versé des centaines et de centaines de milliards de dollars américains pour soutenir son économie. Mais, combien donnent-ils aux pays africains qui se retrouvent dans la même situation que la Grèce? Des miettes. Par contre, sans froid aux yeux, les Occidentaux s’attaquent à la Chine, à la Russie et à l’Inde quand ces pays volent au secours des africains.
Dernièrement, il y a eu une rencontre entre le régime en place et le Rassemblement aile Limete au sujet de la mise en œuvre de l’Accord de la Saint Sylvestre. Que propose le Groupe des partis indépendants -GPI?
La position du Groupe des partis indépendants est claire. Le GPI œuvre pour la paix dans notre pays et soutient tout ce qui va dans ce sens. Mais, en ce qui concerne la mise en œuvre de l’Accord de la Saint Sylvestre, le problème se pose à deux niveaux. Un, le Rassemblement doit, sans ingérence extérieure, régler ses propres problèmes en tant que fait privé. Deux, après que les choses se soient clarifiées au sein du Rassemblement, on pourra en ce moment-là parler de la suite. La situation du Rassemblement ne concerne pas le GPI. Il s’interdit donc de faire une quelconque proposition.
Les opérations d’enrôlement des électeurs sont en cours dans certaines provinces sauf au Kasaï et au Kasaï Central. Qu’est-ce que cela vous inspire?
Avant de parler de ces deux provinces, il faut signaler que les opérations d’enrôlement sont chaotiques dans la ville de Kinshasa. Tout le monde en parle. On se rend compte que, cette fois-ci, la CENI a fait une mauvaise affaire avec son nouveau fournisseur. La population se plaint comme les agents de la CENI eux aussi. A cette allure, les élections poseront de sérieux problèmes le moment venu. S’agissant des provinces du Kasaï et du Kasaï Central, la CENI doit tout mettre en œuvre pour que les opérations d’enrôlement s’y déroulent. Même s’il faut retarder la tenue des élections, elle devra le faire. Les populations de ces deux provinces sont des RD-Congolais qui doivent jouir de leurs droits. Elles ne sont pas responsables de l’insécurité qu’elles subissent. D’ailleurs, notre Constitution interdit toutes formes de discrimination entre RD-Congolais.
Au regard de la situation actuelle que connaît le pays, pensez-vous que les élections pourront se tenir fin décembre 2017?
Les acteurs politiques RD-congolais doivent avoir le courage de dire la vérité au peuple. Au regard de la situation actuelle, les élections ne pourront pas avoir lieu cette année. Les observateurs étrangers sérieux comme l’OIF ont même alerté notre peuple sur le report des élections. En ce qui me concerne, les élections doivent être mieux préparées pour être mieux organisées, apaisées et transparentes. Il y a beaucoup de problèmes à résoudre quand on se réfère aux élections de 2006 et de 2011. Le mode électoral doit être repensé, la représentation de la base dans les instances délibérantes doit être juste. Car, beaucoup de tribus et d’ethnies comme de nombreux secteurs ou territoires du pays n’ont pas d’élus ni au niveau provincial ni au niveau national. Cela doit être corrigé par la CENI. Certaines circonscriptions sont trop vastes à parcourir. Il faut également étudier des voies et moyens pour éradiquer la fraude électorale qui a pris des proportions inquiétantes avec la complicité de nombreux agents de la CENI. Comme on le voit, les bonnes élections exigent du temps, de la patience et des moyens. Rien ne sert de bâcler les choses. Ceux qui crient que les élections doivent avoir lieu fin décembre 2017, sont des irresponsables, des inconscients et des assoiffés du pouvoir qui ne voient que leurs intérêts égoïstes et non les intérêts du peuple.
Propos recueillis par Octave MUKENDI
8 minutes de lecture