Au registre des prises de position ambiguës dans la crise en RD-Congo, la Communauté internationale est première. Elle distribue les cartes, récuse qui elle veut et/ou le légitime quand cela lui chante. Difficile donc de savoir sur quel pied danser avec elle. Tenez. Aux premières heures qui ont suivi la nomination, l’après-midi du 7 avril 2017, de Bruno Tshibala, porte-parole du Rassemblement, au poste de Premier ministre, la Communauté internationale -l’ONU, l’Union européenne,… la Belgique- a contesté la décision du Président de la République au motif qu’elle énervait l’esprit de l’Accord de la Saint Sylvestre. Mais une semaine plus tard, le samedi 15 avril, les Nations unies, par la Mission des Nations unies pour la «stabilisation» du Congo -MONUSCO-, a légitimé le Premier ministre en offrant ses bons offices pour la formation d’un gouvernement d’union nationale qui sera dirigé par Bruno Tshibala qu’elle avait récusé. Une institution comme celle-ci ne fait jamais rien au hasard.
Ce genre de revirement, fréquent dans la Communauté internationale, inquiète des leaders religieux. Ils se rappellent que cette attitude ambiguë de la Communauté internationale n’est pas un fait nouveau. L’ancien Président de la RD-Congo, alors Zaïre, le Maréchal Mobutu en avait d’ailleurs fait les frais. «Mobutu avait été fortement soutenu par la Communauté internationale. Et même la dictature qui a été dénoncée du bout des lèvres en Occident, c’est l’Occident lui-même qui l’a aidé à l’installer. Evidemment, quand il ne pouvait plus servir leurs intérêts on lui a tourné le dos», évoque-t-on.
Il n’y a pas d’institution appelée Communauté internationale. Ce concept dont le sens premier renvoie à l’ensemble des pays du monde, désigne également les nations et organisations puissantes de la planète. On peut y placer l’ONU, l’UE, les Etats-Unis, le Canada, la France, la Grande-Bretagne, la Belgique,… Cette Communauté internationale a toujours eu un rôle prépondérant en RD-Congo bien avant l’indépendance du pays. Pour quel l’intérêt? Le bien-être des RD-Congolais? Peut-être. Mais pas toujours. On sait que la politique n’est qu’un prolongement de l’économie. Ces pays et ces organisations doivent en priorité veiller à leurs intérêts et garantir leur suprématie. Cela pris en compte, l’on pourrait mieux comprendre l’analyse d’Idryss Katenga, secrétaire général de la Communauté islamique au Congo, expert électoral et membre de la plénière de la Commission d’intégrité et médiation électorales -CIME-, sur le comportement de la Communauté internationale vis-à-vis de la RD-Congo. D’abord, une anecdote: «En 2006 avant l’organisation des élections, le ministre belge des Affaires étrangères, alors qu’il venait en visite en RD-Congo, a distribué sans aucun respect des règles élémentaires de la diplomatie une biographie du Président Joseph Kabila. Laquelle biographie reniait à ce dernier la nationalité RD-congolaise, lui donnant un père en dehors de celui que nous connaissons. Quel est intérêt de la Belgique d’agir ainsi?».
La Communauté internationale, ou si vous voulez l’Occident, a posé bon nombre d’actes de nature a semé la confusion dans les esprits. Idryss Katenga en relève quelques uns. En 2002, les RD-Congolais ont signé l’Accord de Sun City, en République sud-africaine. Ils se sont convenus de commencer le processus par les élections électorales. «Cependant, la même Communauté internationale, à travers la MONUC -aujourd’hui MONUSCO-, a rejeté ce choix et a influencé les acteurs politiques pour qu’on aille directement à la présidentielle. Ce qui a déjà violé l’Accord», signifie–t-on. Comme on le verra par la suite, la Communauté internationale pousser à se demander s’il n’a jamais voulu que les RD-Congolais opèrent la refondation de leur pays, dont les élections locales sont le premier pas, étant donné que les RD-Congolais auraient eu des dirigeants qu’ils auraient voté et donc qui seraient responsables devant eux.
Des origines de la crise en RD-Congo
On soutient que la crise politique actuelle découle de la non-organisation des élections en fin 2016. Mais Idryss Katenga, expert électoral, estime que l’absence des élections est plutôt une conséquence. La vraie cause, c’est le manque de volonté des acteurs politiques de la Majorité et de l’Opposition. Pour justifier sa position, Katenga remonte aux élections de 2011 dont presque tout le monde a décrié la qualité de l’organisation. Ce qui avait entrainé, après évaluations, la restructuration de la CENI. L’Abbé Malumalu, l’ancien président de la CEI, décédé, était revenu aux affaires. Conscient de la difficulté d’organiser d’un trait les 11 scrutins prévus dans le système électoral, il a proposé d’y aller progressivement en commençant par les locales en 2015. Tollé dans le microcosme politique. L’Opposition a exigé un calendrier global. La Communauté internationale a ajouté que ce calendrier devait être assorti d’un budget global. Ça a été fait. Pourtant, le document avait reçu le même accueil que le calendrier partiel. «Le calendrier global a été rejeté par la Communauté internationale suivie par la classe politique. Raison: il était trop touffu, il fallait l’aérer», confie Idryss Katenga qui souligne: «La Communauté internationale a, par deux fois, promis de soutenir le calendrier électoral mais elle ne l’a pas fait».
Une Communauté internationale légitimatrice et contestataire
Autre élément qui étaye la tendance de la Communauté internationale à semer la contradiction dans les esprits, Katenga le tire de la question du fichier électoral. C’est la Communauté internationale qui en parle la première au moment où Malumalu voulait organiser les neuf scrutins locaux avec le fichier de 2011. Venue pour un audit du fichier, l’Organisation internationale de la Francophonie -OIF- a reconnu que la RD-Congo ne pouvait plus aller aux élections avec le fichier existant. On a parlé du fichier infecté, corrompu et inapproprié. Bizarrement, «la Communauté internationale tout d’un coup dit qu’on peut aller aux élections avec le même fichier.
C’est une contradiction», affirme Katenga. En 2016, la même Communauté internationale a soutenu l’initiative du dialogue prise par le Président Kabila. Les pourparlers ont été organisés sous la facilitation internationale conformément à la Résolution 2098 des Nations unies et à l’Accord-cadre d’Addis-Abeba. Saïd Djinnit est venu en mission exploratoire au nom de l’ONU. Il a été contesté par l’Opposition. Edem Kodjo a pris le relai pour le compte de l’Union africaine. Il reçoit presque le même accueil à l’Opposition. Celle-ci a exigé et obtenu la présence d’un panel d’accompagnement de la Communauté internationale. Malgré cela, le Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement restera en marge de ce dialogue. Et cela avait suffi pour que la Communauté internationale rejette l’Accord sorti de la Cité de l’UA, dont elle a été elle-même l’artisan.
Puis est venu le dialogue de la CENCO. Son but: asseoir l’inclusivité manqué qui faisait défaut au précédent dialogue. Mais il y a deux hics pour Katenga. Primo: comment construire l’inclusivité avec 30 personnes alors qu’on l’a raté avec 300? Secundo: contrairement à la Cité de l’UA où les institutions du pays étaient représentées, à la CENCO, c’est des partis privés avec une confession religieuse -l’Eglise catholique- parmi tant d’autres. Idryss Katenga, SG de la COMICO, est convaincu que cette démarche, du reste soutenue par la Communauté internationale, risque d’engendrer d’autres conflits. «Je suis musulman. Les musulmans en RD-Congo sont autour de dix millions. Nous demandons à tous les compatriotes qui ont participé au dialogue de la CENCO de savoir qu’ils sont en train de commettre une injustice grave qui ne sera pas éternellement acceptée. Nous avons tous des droits dans ce pays, ce pays nous appartient à tous», tonne-t-il, martelant que la RD-Congo est un pays laïc. Puis: «Je sais que l’argument sera facile: c’est soit le pouvoir qui instrumentalise certaines personnes, soit le fanatisme, soit l’intégrisme parce que maintenant tout est assimilé à ça. Depuis le démantèlement de l’Union soviétique, l’ennemi est connu».
Là, Katenga fait savoir que l’attitude des acteurs politiques encourage le comportement de la Communauté internationale. Qu’il s’agisse de ceux de l’Opposition ou de la Majorité présidentielle, explique-t-il, dès qu’ils ont l’appui et le quitus de la Communauté internationale, ils ignorent directement ce que disent les autres. «Nous avons l’impression que la légitimité vient de l’Occident. Il suffit qu’il y ait une voix de l’Occident et on s’accroche. On délaisse tous les textes», dit-il. Et d’interroger les consciences: «avant décembre 2016, tout le monde parlait du respect de la Constitution. Qui en parle aujourd’hui? Nous sommes en plein partage du pouvoir. L’objectif du dialogue était d’aller aux élections. Qui en parle encore aujourd’hui? A la CENCO, contrairement à ce qui a été dit à la Cité de l’UA et contre l’avis de tous les experts, nationaux et internationaux, on a projeté les élections pour décembre 2017. L’Arrangement particulier n’a pas été signé. De décembre à aujourd’hui, nous sommes en avril, nous avons perdu combien de mois? Peut-on sincèrement dire qu’on peut organiser les élections en décembre? A quoi ça nous a servi de jeter l’Accord du 18 octobre 2016 à la poubelle si ce n’est que de positionner des individus?».
Ce qui revient de droit à d’autres pays, ne l’est pas forcément en RD-Congo!
Un croyant doit dire la vérité même si elle est contre lui, dit-on en Islam. Idryss Katenga, le sait. Il a le courage de défendre ce qu’il pense juste. Dans sa réflexion, il attire l’attention et met un point d’honneur sur la liberté des RD-Congolais de présider réellement à leur destinée. Il prend pour exemple les réactions de la Communauté internationale au sujet du référendum. Sans forcément faire l’apologie de cette démarche, le SG de la COMICO s’arrête sur les faits. «S’agissant du Congo-Brazza, nous avons suivi le Président Hollande lorsqu’il y avait des dissonances sur la révision de certaines dispositions constitutionnelles. Hollande a dit que le Président Sassou Ngwesso a le droit de consulter son peuple. Mais lorsqu’il s’agit de la RD-Congo, on n’a pas ce droit. C’est quoi le problème? L’individu Kabila, le pays ou le principe?
Kagame a modifié sa Constitution au Rwanda à la demande de son peuple. Il y a un problème! J’aimerai bien croire que le projet de la balkanisation dont accuse la Communauté internationale soit une chimère, mais quand on regarde son comportement, on se dit qu’il y a un problème», déplore-t-il. Katenga estime que, bien que la RD-Congo doive s’ouvrir au monde, elle n’a pas à subir le diktat, même des grandes puissances. «Quand je regarde la Communauté internationale, j’ai l’impression qu’elle ne veut pas que les décideurs décident, que les RD-Congolais décident de quoi ce soit eux-mêmes», fait-il remarquer. Il se dégage de l’analyse de Katenga qu’à chaque moment que la RD-Congo prend des options décisives pour son avenir, la Communauté internationale crée de situation qui pousse les RD-Congolais à regarder ailleurs, laissant de côté ce qui est important.
Hugo Robert MABIALA
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