C’est reparti, depuis quelques jours, au sujet du remplacement à la tête de la Commission électorale nationale indépendante -CENI. Une polémique remplace une autre dans la classe politique en RD-Congo et par ricochet dans l’opinion. L’homme désigné par les confessions religieuses, Corneille Nangaa, semble loin de faire l’unanimité. Pour des raisons qui le dispute âprement à l’absurde, en réalité. Dans la mesure où on peut se demander si à des fonctions de cette nature-là, une quelconque unanimité serait possible.
La nouvelle polémique, sans doute aussi stérile que celles qui l’ont précédée, est née de la désignation, le 21 octobre 2015, de Corneille Nangaa Yobelua, un ancien secrétaire exécutif adjoint de la CENI, pour remplacer l’Abbé Apollinaire Malumalu en qualité de président de l’administration électorale RD-congolaise. L’œuvre -de proposer- est signée, comme le prévoient les lois en vigueur en RD-Congo, par les confessions religieuses.
Réunies à cet effet au Centre catholique interdiocésain de la Gombe, non loin du ministère des Affaires étrangères, l’Eglise du Christ au Congo, la Comité Islamique au Congo, l’Eglise Kimbanguiste, l’Eglise de Réveil au Congo, l’Armée du Salut, l’Eglise Orthodoxe et les Eglises Indépendantes, ont jeté leur dévolu sur un cadre technique œuvrant au sein de la CENI depuis plusieurs années. Selon les justifications émises ci et là par les représentants de ces confessions religieuses, le choix porté sur le secrétaire exécutif adjoint de la CENI était justifié par des impératifs de technicité et de probité morale.
Seule l’Eglise Catholique, représentée par le porte-parole de la Conférence épiscopale nationale congolaise -CENCO-, l’Abbé Santedi, s’est non seulement abstenu de composer avec les autres confessions religieuses dans le choix de Corneille Nangaa, mais elle semble se lancer depuis le 21 octobre, dans une campagne de dénonciation du choix opéré par les sept autres confessions religieuses.
Même si du point de vue strictement démocratique, la loi de la majorité aurait dû contraindre les Catho à se plier sans autre forme de procès. Tel n’est pas le cas, manifestement parce que même si elle d’essence occidentale, l’Eglise Catholique ne fonctionne pas selon les valeurs de démocratie et d’humanisme vantées en Occident. L’élection à des fonctions de responsabilité, à l’instar de l’élection papale, n’est pas le fait du plus grand nombre. Loin s’en faut.
Pourtant, en Afrique en général et en RD-Congo en particulier, le contraste est patent: lorsqu’il s’est agi de démocratiser les institutions politiques après les années des dictateurs éclairés, c’est au clergé made in Rome que l’on recourut. Les conférences nationales qui ont consacré le passage des dictatures aux démocraties ont, pour la plupart, été dirigées par des prêtres, évêques ou abbés, d’obédience catholique. Probablement parce que dans les déperditions éthiques et morales qui ont caractérisé la fin de l’ère des timoniers de la République, les Catholiques avaient su faire preuve de modération et de sagesse publiques. A quelques exceptions près.
Après le Bénin et le Congo Brazzaville, entre autres, les rênes de la Conférence nationale souveraine de la République du Zaïre de Mobutu Sese Seko furent confiées à un prélat catholique, Mgr Laurent Monsengwo Pasinya. Pour le meilleur et pour le pire. Si les représentants des forces politiques en présence s’exprimèrent abondamment et pertinemment sur les maux et les remèdes à appliquer au pays de Lumumba pour le sortir irrémédiablement des avatars de la pensée unique, les assises de Kinshasa durèrent plus de 5 ans sans aboutir réellement. Le Maréchal Mobutu demeura au pouvoir jusqu’à son déboulonnement par une rébellion armée, celle de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo, conduite par un certain Laurent-Désiré Kabila. A l’évidence, l’Eglise Catholique n’avait pas pu ne pas se compromettre, à la longue, avec les puissances politiques et financières qui régentent les affaires mondiales.
Plus de 10 ans après l’épopée des conférences nationales plus ou moins souveraines, après la transition politique dite du 1+4, les acteurs politiques de la RD-Congo ont porté leur choix sur un jeune prêtre catholique pour conduire un des processus électoraux les plus problématiques en Afrique. Apollinaire Malumalu, un prêtre du diocèse de Beni-Butembo, a mené tant bien que mal le premier processus électoral démocratique, transparent, etc.
Non sans s’attirer la vindicte d’importantes franges de la classe politique en RD-Congo. La proclamation des résultats électoraux en 2006 fut émaillée de violences sans nom, dont les affrontements armés entre les troupes armées du candidat malheureux, Jean-Pierre Bemba et les FARDC en pleine ville de Kinshasa. Sans compter les exactions enregistrées ci et là en province. Si l’Abbé Malumalu a eu le mérite de mener à terme un processus assurément problématique, il n’en reste pas moins vrai que la solution religieuse n’a pas réussi à taire les antagonismes et atavismes politiques de tous temps en RD-Congo.
Pas plus, du reste, que la désignation à la tête de la CENI, quelque 5 ans plus tard, d’un autre religieux à la tête de l’administration électorale. Pasteur de l’Eglise méthodiste unie, Ngoy Mulunda Nyanga a littéralement foutu le bordel dans l’affaire. Joseph Kabila, heureux vainqueur de la joute présidentielle organisée sous la férule de cet homme de Dieu, a dû reconnaître que l’organisation des scrutins de 2011 fut, on ne peut plus, chaotique. De la saga électorale en RD-Congo, on devrait donc sensément conclure que l’habit ne fait pas le moine. Au propre comme au figuré. Les questions électorales, à la fois extrêmement techniques et politiques, ne sont pas l’apanage des hommes de Dieu. Loin s’en faut.
Et que donc, le vieux complexe du calotin saint homme politique devait être expédié à la poubelle, à défaut d’être revu à la loupe.
Jacques ONYENZE
Analyste indépendant