Quand le speaker du Sénat se fait discret, il faut s’en méfier… Il suffit de demander à Etienne Tshisekedi qui a vu ce félin politique lui arracher la place à chaque fois que l’opportunité et l’occasion se présentaient à lui quand le pays sombrait dans une crise politique grave de légitimité comme c’est le cas aujourd’hui
Le silence est une qualité. Il est d’or. Mais celui que Léon Kengo wa Dondo affiche ces derniers jours fait jaser et parait stratégique aux yeux de certains analystes. Leur référence: les prescrits de l’article 75 de la Constitution: «En cas de vacance pour cause de décès, de démission ou pour toute autre cause d’empêchement définitif, les fonctions de Président de la République, à l’exception de celles mentionnées aux articles 78, 81 et 82, sont provisoirement exercées par le Président du Sénat».
Face à la réalité constitutionnelle, c’est Léon Kengo qui, au cas où il y aurait une vacance constatée ou forcée au sommet de l’Etat, devrait diriger le pays pour le conduire aux élections dans plus ou moins 6 mois. Mais entre les prescrits de la Constitution et la réalité, il y a un décalage, une réalité: Kengo a déjà eu à «glisser»… bien avant tout le monde. Pourrait-il «glisser» jusqu’à s’ouvrir la voie royale?
La République Démocratique du Congo se trouve à un moment crucial. Le deuxième mandat de Kabila prend fin le 19 décembre 2016. Pendant que les uns et les autres s’époumonent pour trouver une issue, le bénéficiaire naturel et constitutionnel des prescrits constitutionnels garde un silence de mort, attendant peut-être le moment opportun pour surgir. Autant il a su jouer contre Tshisekedi, sous la IIème République, autant il pourrait avoir levé l’option d’attendre son heure, une nouvelle heure, pour l’exploit face à Kabila, face à tous. Sinon, son mutisme interroge.
Le 19 décembre 2016 sera-t-elle une date fatidique pour la RD-Congo? Non, dit-on à la Majorité présidentielle -MP- car il y aura un soir et un matin au motif que Joseph Kabila continuera à diriger le pays si la CENI n’organisait pas les élections. On brandit fièrement l’arrêt de la Cour constitutionnelle.
Du côté de l’Opposition, le 20 décembre 2016, Kabila doit et va quitter le Palais de la nation car arrivé fin mandat. Nœud du problème et source de la crise politique actuelle qualifiée de crise de légitimité. La MP multiplie des stratégies pour se maintenir au pouvoir alors que l’Opposition crie à la mauvaise foi des sociétaires de la MP qu’elle accuse de violer la Constitution à souhait et dont une aile, celle animée par Etienne Tshisekedi, comptant s’appuyer sur la rue, parait décidée de ne pas se laisser faire.
Dans ce débat politique, le silence d’un homme inquiète, celui de Léon Kengo wa Dondo, actuel président du Sénat. Si son principal lieutenant, Michel Bongongo, a fait une sortie publique il y a peu, se prononçant en faveur du dialogue, son attitude peut-être comprise sur deux volets. D’abord sur le plan constitutionnel, puis celui politique.
Retombées de l’article 75 de la Constitution
L’article 75 de la Constitution stipule: «En cas de vacance pour cause de décès, de démission ou pour toute autre cause d’empêchement définitif, les fonctions de Président de la République, à l’exception de celles mentionnées aux articles 78, 81 et 82, sont provisoirement exercées par le Président du Sénat.» Explicitement, c’est le président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo, à en croire, selon l’interprétation de certains juristes et politiques.
Cers derniers estiment que le détail est articulé à l’article 76: «La vacance de la présidence de la République est déclarée par la Cour constitutionnelle saisie par le Gouvernement. Le Président de la République par intérim veille à l’organisation de l’élection du nouveau Président de la République dans les conditions et les délais prévus par la Constitution. En cas de vacance ou lorsque l’empêchement est déclaré définitif par la Cour constitutionnelle, l’élection du nouveau Président de la République a lieu, sur convocation de la Commission électorale nationale indépendante, soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus, après l’ouverture de la vacance ou de la déclaration du caractère définitif de l’empêchement. En cas de force majeure, ce délai peut être prolongé à cent vingt jours au plus, par la Cour constitutionnelle saisie par la Commission électorale nationale indépendante. Le Président élu commence un nouveau mandat.»
Dans la situation confuse actuelle, Kengo, en félin politique, sait qu’il peut se procurer des opportunités et des occasions pour s’emparer du pouvoir. Un fauve reste un fauve! Sous Mobutu, face à un Etienne Tshisekedi intransigeant, Kengo a été présenté comme la troisième voie. Le président de l’UDPS s’est fait damer le pion à deux reprises et ne l’oubliera jamais. Il a fallu attendre la prise de pouvoir par l’AFDL pour voir Kengo, à l’instar de tous les Mobutistes, s’exiler à l’extérieur du pays, après avoir échoué de lancer la contre offensive pour libérer Kisangani tombée sous le contrôle des «libérateurs».
Les tergiversations de la Majorité présidentielle et leurs risques
A son retour d’exil, Kengo a su également jouer sa carte. Initialement candidat président de la République, il s’est rabattu aux sénatoriales avec succès avant de se lancer dans la course au perchoir. Kengo avait un projet bien ficelé. Il ne voulait pas rester au bas de l’échelle. Léonard She Okitindu du PPRD et ses sociétaires en ont appris à leur dépens. Comment l’AMP a-t-elle échoué devant Kengo? L’ancien procureur s’était sérieusement préparé. Dans la discrétion la plus totale.
Et au perchoir, il suffit de peu… pour hériter du trône présidentiel. On y est presque. On évoque en silence les prescrits de la Constitution. Et chaque fois que le débat sur la question est engagé, le camp Kengo fait la fine bouche. Pas parce qu’il se plie forcément à l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Peut-être parce qu’il veut demeurer fidèle à sa logique, croire à son étoile et espérer profiter d’éventuels scenarios favorables.
L’homme, on se rappelle, a toujours dit à son entourage qu’il ne mourra pas sans être président de la République. Il pourrait rebondir face à la tergiversation de la Majorité présidentielle -MP- d’organiser des élections dans les délais constitutionnels ou à un probable schéma inavoué dont rêveraient certains caciques de l’Opposition. Son carnet d’adresses et ses nombreux et puissants réseaux restent intacts.
Le terrain suffisamment déblayé
Kengo, «Mon Premier», est l’homme qui a convaincu une bonne frange de l’Opposition à participer aux Concertations nationales de Kinshasa ayant abouti à la formation d’un gouvernement de large union nationale, où ses ouailles siègent dans tous les ministères par lesquels l’argent arrive! Il est le premier à avoir bénéficié des effets du glissement et pourrait s’en servir pour un éventuel sprint final.
Il a participé à la modification de la Constitution et des règlements intérieurs pour permettre aux parlementaires nommés ministres ou mandataires publics à récupérer leurs postes au cas où ils seraient limogés dans leurs nouvelles fonctions étatiques en dehors du Parlement.
En retour, d’autres leaders de l’Opposition avancent que ce qui peut l’empêcher de devenir Président de la république, c’est ce même «glissement» dont il a largement profité au Sénat depuis 2011.
Achille KADIMA MULAMBA
Octave MUKENDI
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