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Rentrée judiciaire: Marthe Odio plaide pour que dans certaines matières l’Avis du Conseil d’Etat devienne obligatoire avant la prise des décisions ou l’adoption des textes en vue d’éviter les incohérences juridiques

Dans sa mercuriale, le Procureur général Antoine Félicien Iluta Ikombe a parlé des causes d’irrecevabilité des requêtes en matière contentieuse devant les juridictions de l’Ordre administratif…

Le Conseil d’Etat a effectué, samedi 5 novembre, sa rentrée judiciaire 2022-2023 au cours d’une audience solennelle à laquelle a assisté le Premier ministre Sama Lukonde. L’événement a été le premier de la série pour Madame le Premier Président Marthe Odio Nonde, première femme nommée aux commandes d’un ordre juridictionnel en République démocratique du Congo, notamment au sommet de l’Ordre administratif. Marthe Odio a consacré cette audience solennelle à la fonction consultative du Conseil d’Etat estimant que ses activités sont moins connues, contrairement à celle de la section du contentieux, plus ou moins appréhendées du public et de certains praticiens du droit, notamment à travers ses arrêts et ordonnances des référés dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle.

La section consultative du Conseil d’Etat succède à la section de législation de la défunte Cour suprême de justice -CSJ. Elle est régie par les dispositions des articles 82 à 84 et 123 à 133 de la Loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif. À l’opposé de la Belgique et la France, où il y a des cas où la consultation est obligatoire et ceux où elle est facultative, Madame Odio a plaidé pour que dans certaines matières l’Avis du Conseil d’Etat de la République démocratique du Congo devienne obligatoire avant la prise des décisions ou l’adoption des textes. «Ceci permettra d’éviter l’incohérence des textes dans notre arsenal juridique ainsi que des décisions contraires à nos lois», a-t-elle justifié. La compétence consultative du Conseil d’Etat est déterminée par les articles 82 à 84 de la Loi organique précitée. Les textes susceptibles de faire l’objet d’une demande d’avis.

Aux termes de l’article 82 à 84 de la Loi organique précités, la section consultative du Conseil d’Etat est compétente pour donner des avis motivés sur la régularité juridique de tout projet ou de toute proposition d’actes législatifs, règlement ou décision émanant des autorités du pouvoir central ainsi que des organismes placés sous leur tutelle. Elle est également fondée pour se prononcer sur les difficultés d’interprétation des textes juridiques et donner des avis motivés sur la légalité ou sur la constitutionnalité des dispositions des textes sur lesquelles elle est consultée et, s’il y a lieu, sur la pertinence des moyens juridiques retenus pour atteindre les objectifs que les autorités administratives centrales se sont assignés, en tenant compte des contraintes inhérentes à l’action administrative.

En plus de la production des rapports d’inspection ou d’études, la Section consultative répond en outre aux questions qui soulèvent une difficulté d’interprétation des textes juridiques devant une juridiction ou une autorité administrative centrale et attirer l’attention des pouvoirs publics sur les réformes qui paraissent souhaitables pour l’intérêt général.

A en croire Marthe Odio, «la compétence consultative du Conseil d’Etat vise non seulement les textes en chantier et les textes en vigueur, mais aussi, toute autre initiative jugée nécessaire pour des réformes qui s’imposent pour l’intérêt général». Mais à ce jour, le greffe du Conseil d’Etat n’a enrôlé aucune demande d’avis visant un texte en chantier.

En revanche, s’agissant des textes en vigueur, les statistiques renseignent que le Conseil d’Etat a émis, entre 2020 et 2022, trente-deux avis motivés aussi bien consultatifs qu’interprétatifs. Aux termes de l’article 123 de la Loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, «la section consultative est saisie par requête de l’autorité habilitée à prendre l’acte législatif ou administratif». Il s’agit des autorités administratives du pouvoir central, notamment les responsables des services publics centraux du pouvoir central: le Président de la République, les membres du gouvernement, les présidents des deux chambres du parlement, les chefs des juridictions et des parquets nationaux. Il s’agit aussi des autorités administratives gestionnaires des services publics déconcentrés d’Etat, placés sous l’autorité directe des responsables des services publics centraux du pouvoir central: DGM, ANR, DGI, DGRAD, DGDA, PNC, FARDC, IGF, etc. Il s’agit, enfin, des responsables des établissements publics du pouvoir central et des institutions d’appui à la démocratie.

Sont aussi assimilés aux autorités des organismes placés sous la tutelle des autorités administratives du pouvoir central, les responsables nationaux des ordres professionnels ou des juridictions administratives spécialisées comme l’Ordre nationale des avocats, l’Ordre national des médecins, l’Ordre national des architectes, etc. Madame le Premier Président a fait savoir que plusieurs requêtes ont été déclarées irrecevables par la section consultative du Conseil d’Etat «parce que signées, soit par des autorités administratives qui ne sont pas du pouvoir central, soit par des personnes ayant déjà perdu la qualité d’autorité administrative centrale, soit encore par des personnes privées».

Côté rapport d’Inspection, Marthe Odio a indiqué que faute d’installation des juridictions administratives inférieures à travers le pays, en l’occurrence les Cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs, aucune inspection n’a été effectuée à ce jour. Pour sa part, le Procureur général près le Conseil d’Etat, Antoine Félicien Iluta Ikombe, a parlé dans sa mercuriale des causes d’irrecevabilité des requêtes en matière contentieuse devant les juridictions de l’ordre administratif, ainsi que des décisions rendues subséquemment par le conseil d’état. «J’ai résolu de consacrer ma mercuriale de cette rentrée judiciaire à l’étude de l’irrecevabilité devant les juridictions de l’ordre administratif», a-t-il signifié.

Le PG est parti de l’idée que, lorsqu’un justiciable saisit une juridiction de l’ordre administratif, il attend légitimement d’elle une décision qui tranche le litige au fond. Mais la sentence d’irrecevabilité apparaît à ses yeux comme le résultat d’une conjuration, un refus de la justice étatique d’entendre sa cause et de se prononcer au fond sur l’irrégularité présumée d’un acte pris par un autre organe de l’état qu’est l’administration publique. Le PG Iluta a rappelé les conditions communes de recevabilité des requêtes devant les juridictions de l’Ordre administratif, précisément l’intérêt, la qualité et la capacité pour agir en justice. L’intérêt est la condition de recevabilité de l’action consistant dans l’avantage que procurerait au demandeur la reconnaissance par le juge du bien-fondé de sa prétention.

Le requérant doit exciper d’un intérêt personnel, légitime et matériel ou moral. L’intérêt doit également être direct, actuel et certain. Seul le Ministère public est autorisé par la loi à agir dans l’intérêt général et ce, pour la protection des droits et libertés fondamentaux des personnes. L’intérêt pour les personnes morales est apprécié suivant leur objet social tel que défini dans leurs statuts. La qualité pour agir est un titre légal conférant à un individu le pouvoir de solliciter du juge l’examen de sa prétention. La qualité des personnes physiques habilitées à engager une action devant les juridictions administratives pour le compte des personnes morales résulte de leurs statuts ou des actes de société subséquents.

La capacité est l’aptitude à acquérir et à exercer un droit. La capacité d’ester en justice est ouverte à toute personne physique ou morale, même étrangère. Pour pouvoir agir soi-même en justice, il faut être majeur et capable, les mineurs et les incapables ne pouvant agir que par l’intermédiaire d’une tierce personne les représentant. Les personnes morales n’ont la capacité d’agir en justice que si elles ont la personnalité juridique. La requête quant à elle doit indiquer l’identité et l’adresse des parties, tandis que le réquisitoire du Ministère public doit contenir l’identité et l’adresse de l’officier instrumentant.

La requête ou le réquisitoire contiennent également l’exposé des faits et des moyens ainsi que les conclusions, dans le but de faire connaître explicitement ce qui est demandé au juge et qui est qualifié de l’objet du litige. Elle est accompagnée des copies signées par le requérant ou par le Ministère public selon le cas en nombre égal à celui des autres parties en la cause, augmenté de deux. Elle doit être introduite dans le délai prescrit par la loi organique.

Contentieux d’annulation, de pleine juridiction, de référé

Les requêtes en matière du contentieux d’annulation et de plein contentieux ne sont recevables que lorsqu’elles sont dirigées contre un acte administratif unilatéral, décisoire et faisant grief. Il s’agit donc d’un acte émanant de l’Administration qui crée unilatéralement des obligations et éventuellement des droits, selon le cas, au profit ou à charge des tiers sans leur consentement et qui cause grief. La seule différence entre la requête en matière de contentieux d’annulation et de pleine juridiction, est que le recours au ministère de l’Avocat est obligatoire dans ce dernier cas. La requête en annulation doit être introduite par le requérant lui-même, par avocat porteur d’une procuration spéciale, ou par un mandataire habilité à le représenter lorsqu’il s’agit d’une personne morale.

Outre le recours en annulation et le recours de pleine juridiction, la loi prévoit certaines matières spéciales qui sont soumises à des procédures particulières. Il s’agit notamment des procédures de référés généraux qui sont récurrents devants le juge administratif. Le Procureur général a complété qu’à ces procédures organisées devant les juridictions administratives inférieures, s’ajoute des procédures spécifiques devant le Conseil d’Etat. Il s’agit des procédures de réparation en matière d’indemnité pour dommage exceptionnel et de pourvoi en cassation.

Vivement la vulgarisation de la Loi et la procédure

Alors que toutes les requêtes non conformes à la procédure font l’objet de rejet, le Procureur général près le Conseil d’Etat a choisi de se faire l’interprète de tous ces justiciables malheureux dont les requêtes et le recours se sont soldés par des décisions d’irrecevabilité, alors qu’ils restent convaincus du fondement de leurs réclamations. Selon lui, il n’y a aucun mal à relever que les lois de la République démocratique du Congo sont inspirées des législations étrangères, sans considération de la différence de niveau d’assimilation de ces textes par nos populations. Il a recommandé un travail d’adaptation. Il est aussi d’avis qu’une fois les lois édictées, il y a lieu aussi de penser à les vulgariser par une plus large diffusion, et à leur traduction dans les langues nationales… Le PG a aussi la conviction qu’il faut préciser certaines notions qui restent floues et causes d’irrecevabilité, entre autres la notion d’intérêt personnel et de qualité. Il reste convaincu qu’il est absolument impérieux que la maîtrise de ces conditions de recevabilité soit acquise dans le chef de tous les administrés et l’Administration en matière contentieuse.

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