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RDC : La copie Tshiani risque de légitimer les thèses identitaires du M23

Des combattants de l’UDPS, le parti présidentiel, ont provoqué un nouveau scandale après avoir tenu des propos racistes dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux. Interpellé et poursuivi en juin 2022 pour incitation à la haine tribale après avoir appelé à aller chercher des infiltrés rwandais, le parlementaire debout Jules Kalubi Mbuyamba dit Jules Munyere et son groupe y ont visé, cité et discriminé nommément Moïse Katumbi, Léon Kengo wa Dondo, Adam Bombole, Jean-Claude Muyambo, etc., disant qu’ils ne sont pas RD-Congolais.

Cette vidéo avec propos à teneur raciste a été mise en circulation quelques heures après l’inscription de la proposition de Loi sur la Congolité au calendrier de la session parlementaire de mars 2023. Ce projet initié par l’ancien candidat président de la République Noël Tshiani et porté par le député national Union sacrée Nsingi Pululu, vise entre autres à prohiber l’accès à la fonction présidentielle aux RD-Congolais nés d’un parent étranger. Dans des pays autrement plus démocratiques, pareille vidéo aurait suscité un tollé sans précédent dans la classe politique.

En RD-Congo de Félix Tshisekedi, rien de tel. L’on se rappelle du coup de tonnerre qu’avait provoqué, début novembre 2022, la phrase du député d’extrême droite française Grégoire de Fournas qui avait lancé un «rentrez en Afrique» à son collègue Carlos Bilongo -mukongo de père et de mère comme Nsingi Pululu, mais pleinement citoyen français avec tous les droits autant qu’Emmanuel Macron. La présidente de l’Assemblée nationale française, Mme Yaël Braun-Pivet avait dû interrompre la séance, et tous les groupes parlementaires avaient formulé des condamnations fermes du député fautif qui fut sanctionné. Pour dire qu’en République, on ne badine pas avec le racisme.

Assez curieusement, c’est sous la gouvernance de l’UDPS, parti officiellement sociale-démocrate, donc de gauche, que la manipulation politique prend une ampleur inédite en RD-Congo. Deux ministres ayant tenu des propos rageusement racistes, traitant les métis, pour l’un, de chauve-souris, et, pour l’autre, d’ennemis du pays, ont été reconduits au gouvernement.

Au risque de donner de l’exécutif RD-congolais l’image d’un gouvernement d’extrême droite mais en version pire que celui de l’Italie dirigé par Giogia Meloni. Et aucune instance habilitée de l’UDPS n’a condamné les propos de Jules Munyere et sa bande ni pris des sanctions contre eux. Aux voix qui mettent en garde, de bonne foi, contre un risque élevé d’engrenage et d’embrasement à cause de ce texte jugé clivant et rétrograde, s’ajoutent désormais celles qui déconseillent le Régime Tshisekedi de légitimer, à travers cette copie de Tshiani, le combat du M23 et les thèses de Paul Kagame, basés entre autres sur les revendications identitaires et d’autodéfense.

Tendance à créer une classe des sous RD-Congolais et renforcer les clivages

«Ouvrir un nouveau front avec cette manœuvre politicienne et initiative tendant à créer une classe des sous Congolais renforcerait les clivages, sans nul doute, attirerait en leur faveur tous les défenseurs du droit et justifierait d’éventuels soutiens à des peuples en situation de légitime défense. La Congolité est susceptible d’ébranler la fragile cohésion nationale», a fait comprendre le week-end l’analyste Kabasela di Ntshantsha Tshitenga. Intervenant en novembre 2022 sur TV5, Reagan Miviri, chercheur sur le conflits à l’Institut Ebuteli et au Groupe d’études sur le Congo -GEC- de l’Université de New York, a parlé de revendications collectives du M23 et d’un discours affirmant la défense des communautés rwandophones, et en particulier les Tutsi qui seraient discriminés.

«Il y a même une certaine surenchère puisque le mot génocide est parfois prononcé. Le M23 se positionne ici comme le bouclier de la communauté tutsi. Mais je tiens à préciser qu’au sein de cette communauté, beaucoup disent ne jamais avoir donné mandat au M23 pour être leur porte-parole», a-t-il cependant nuancé.

Piège mortel pour une cohésion nationale éminemment fragile

Une année avant Reagan Miviri, son collègue François Gaulme, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, était déjà convaincu que la démarche du duo Tshiani-Pululu vise, en réalité, à exclure le «métis» Katumbi de la prochaine présidentielle. «Il en allait déjà ainsi en 2006, lors de la première élection présidentielle au suffrage universel depuis l’indépendance de l’ancien Congo belge: L’élaboration de l’idéologie de la ‘congolité’ dans les années précédentes visait en fait à favoriser la candidature de Jean-Pierre Bemba, se proclamant l’héritier de Mobutu et de son ‘authenticité’, au détriment de son rival Joseph Kabila, que l’on disait être d’origine rwandaise», expliquait-il encore.

Puis: «Cette campagne appuyée sur la xénophobie fut finalement sans effet, Kabila étant élu au second tour avec 58% des voix face à Bemba. Mais elle rappelait, dans son élaboration comme son instrumentalisation cynique, d’autres manœuvres politiciennes autour de l’identité nationale avec le concept d’ivoirité, dont l’expérience a montré qu’elle fut un véritable vecteur de guerre civile en Côte d’Ivoire». Gaulme prévenait déjà que la «Congolité» est donc une arme d’affrontement interne encore plus terrible que l’«ivoirité» compte tenu de l’histoire, de la diversité et des dimensions géographiques de la RD-Congo. L’inscrire dans une législation augmenterait le risque de guerre civile dans le pays. Ce serait un piège mortel pour une cohésion nationale éminemment fragile.

A tout prendre, Mboso, Tshiani, Pululu et les députés Union sacrée ne peuvent évidemment pas se prévaloir de l’idée de verrouiller l’accès à certains postes à certains compatriotes pour des considérations identitaires pour justifier leur projet clivant et rétrograde, qui viole la Constitution et la Loi électorale, au risque de fonder, par ricochet, les récriminations du M23 et d’éventuels prochains frustrés devant le monde entier.

Natine K.

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