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RDC: Alingete, le vizir cesse d’être au-dessus de tout soupçon!

Dans l’Egypte pharaonique, qui détenait la réalité du pouvoir politique? L’interrogation est de l’égyptologue-archéologue française Guillemette Andreu-Lanoë, directrice du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre entre mai 2007 et mars 2014. Elle a paru dans le Mensuel 190 daté de juillet-août 1995. L’auteur y répond elle-même qu’aux côtés du souverain en titre, sous le Moyen Empire, il y avait son principal ministre, le vizir. Celui-ci avait entre autres la charge de veiller aux dépenses publiques. La charge multiple et sensible du vizirat imposait à son titulaire, autant que Pompéïa, la deuxième épouse de César, prise en mariage en 67 avant Jésus-Christ après la mort de sa première femme Cornélia, mais répudiée pour pressentiment des relations amoureuses avec le jeune Publius Clodius, un comportement au-dessus de tout soupçon, des vertus rigoureuses.

21ème Siècle. En République Démocratique du Congo. Il a plu au président de la République Félix Tshisekedi de nommer l’économiste et expert agréé, spécialiste en fiscalité et expert en matière de climat des affaires, Jules Alingete Key, 58 ans, aux fonctions d’Inspecteur général chef de service de l’Inspection générale des finances -IGF. Alingete est devenu la pièce maîtresse du dispositif de Félix Tshisekedi tant le chef de l’Etat et son Premier ministre reconnaissent publiquement son apport, depuis sa nomination le 1er juillet 2020, dans la patrouille financière et la traque aux auteurs de détournement de fonds publics à l’origine de l’augmentation des recettes publiques. Son travail est remis en cause par certains mandataires publics opposés à la partialité de certains de ses rapports les concernant, alors qu’il rencontre un succès auprès de l’opinion et plus particulièrement dans le camp du Président de la République.

Mais le haut fonctionnaire de l’Etat risque de vivre des jours compliqués parce qu’il se retrouve, depuis le samedi 14 août, au cœur d’une polémique en référence à la publication d’une photo où on le voit assis dans un bureau avec le Secrétaire général de l’UDPS, Augustin Kabuya Tshilumba, en face du ministre UDPS de l’Enseignement primaire, secondaire et technique, Tony Mwaba Kazadi, visé par un contrôlé de l’IGF à cause d’une tentative supposée de détournement de 16 millions de dollars destinés aux enseignants ayant presté à l’épreuve nationale de fin d’études primaires -TENAFEP.

Version de l’UDPS battue en brèche par les journalistes 

Cherchant à justifier la présence de l’IGF Alingete dans ses bureaux, les bureaux du chef du parti au pouvoir, Augustin Kabuya a prononcé ces mots: «C’était avant l’entrée en fonction de l’actuel gouvernement. Le Parti avait sollicité de l’IG la possibilité d’une formation -séminaire- en faveur des ministres UDPS». Dans certains milieux, son compère, le député provincial UDPS élu de Lemba, Peter Kazadi Kankonde, a pour justification le même texte, sans en rajouter ou retrancher une seule lettre. Dans la soirée, Kabuya se fait filmer devant quelques militants, il leur dit qu’il s’agit d’une vieille photo prise à l’occasion de la visite précitée de Jules Alingete, il insinue une démarche visant à le déconsidérer. Peter Kazadi se charge de relayer la séquence sur les réseaux sociaux. Ça sent de l’agitation.

L’argument et la sortie peinent à convaincre les esprits lucides qui s’interrogent. Responsable d’un grand service de l’Etat, Alingete ferait le déplacement des installations de l’UDPS alors que c’est cette formation politique qui aurait sollicité un concours pour la mise à niveau de ses ministres? Quelle a été la suite? La formation a eu lieu où et quand? Si non pourquoi? Comment l’UDPS n’a pas carrément aligné l’IG Alingete au séminaire organisé à l’intention des membres du gouvernement Sama Lukonde où le Professeur Mabi Mulumba, le sénateur Mokolo wa Pombo et bien d’autres brillants intellectuels ont assuré la formation?

A côté de ces questions pertinentes, la version de Kabuya et Kazadi est contredite, battue en brèche par des journalistes, notamment Stanis Bujakera de Jeune Afrique et Peter Tiani du Vrai Journal. «L’intraitable Jules Alingete déjoue une tentative de détournement de 16 M$ à l’EPST et se fait attirer la colère des partisans politiques d’un ministre UDPS. La photo qui circule en est une illustration, dénonce source IGF», écrit Bujakera dans un tweet mortel le même samedi avant d’ajouter: «L’IGF a bloqué le décaissement de cet argent». Sur le même réseau, Tiani y va de son mordant: «Invité par le SG Kabuya pour comprendre, Alingete répondant par courtoisie lâche ‘Mr le SG, dites à votre ministre qui est là que cet argent ne sortira pas, les enseignants seront payés par banque’». Ça fait mouche!

Plutôt proche des informations des journalistes quant à la rencontre, le récit de Tshierry Mosenempwo, sociétaire de l’Union sacrée, mais différent de celui de l’UDPS, fait mentir Kabuya et Kazadi. Il laisse entendre que Mwaba a trouvé devant lui un Secrétaire général sévère qui a conseillé à son ancien secrétaire national d’éviter de se retrouver dans un cas de détournement qui le conduirait tout droit devant la Justice. Selon le même récit repris par www.carmelmedia.info, Kabuya a ajouté devant l’IGF que le ministre de l’EPST devrait donner l’exemple en respectant l’avis de ce service de contrôle des finances, qui travaille sous la tutelle exclusive du chef de l’Etat, chef de l’Exécutif.

Sur sa page Facebook dimanche, l’IGF confirme les informations de la patrouille lancée par elle contre deux ministres de l’Union Sacrée, la coalition du Président Tshisekedi, citant nommément la ministre de la Formation professionnelle, Antoinette Kipulu, pour présomption de détournement de 1.200.000 dollars, et Tony Mwaba de l’EPST, pour tentative de détournement de 16 millions de dollars destinés à la collation des enseignants ayant encadré les épreuves de TENAFEP. Sur Twitter, le ministre Tony Mwaba écrit la réaction suivante: «Depuis 3 jours, j’apprends sur les réseaux sociaux, qu’il y aurait tentative de détournement des fonds de Tenafep à l’EPST, lesquels ne sont même pas disponibles! Juste pour tenter de me salir! Si cette information émane de l’IGF, j’attends de lui la confirmation par écrit -lettre ou communiqué officiel- comme dans ses habitudes. Je vais en tirer toutes les conséquences de droit. Mon honneur n’a pas de prix!». Entre l’IG Alingete et le ministre de l’EPST, le couac est réel!     

Thèse d’une visite arrangée et accordée ou thèse d’un piège tendu, la faute est patente!

D’autres sources indépendantes font part d’une crise qui a nécessité cette rencontre à trois, dans un bureau privé du SG de l’UDPS, au cours de laquelle Alingete aurait reçu les supplications de revenir sur sa décision parce que 20% de ces fonds seraient destinés au chef de l’exécutif du parti. Ces sources parlent d’un piège tendu à l’IG. Elles détaillent que la photo aurait été prise à son insu, quitte à le salir en cas de refus de coopérer. À en croire ces dernières, la menace a été exécutée dans la soirée et parmi les personnes au départ de la fuite de l’image du chantage, un ancien proche de Martin Fayulu, ancien tenancier d’un pub logé dans une parcelle de l’opposant à Bandalungwa, divorcé d’avec le candidat malheureux à la présidentielle au profit de la juteuse UDPS où il joue le rôle de lampiste.   

Thèse d’une visite arrangée et librement accordée ou d’un piège, de s’être retrouvé dans un cadre privé pour parler d’un dossier en cours de traitement par ses équipes, avec le ministre visé et son chef hiérarchique au parti, l’IG Alingete, le vizir, cesse d’être au-dessus de tout soupçon. En réalité, ce n’est pas indiqué pour une autorité publique de sa trempe de se voir en catimini avec des politiques partisans. Devenu du pain béni pour ses détracteurs, le cliché du buzz est passé au peigne fin et inspire des analystes. «Certaines fonctions interdisent certaines fréquentations et imposent une ligne de conduite stricte. Chaque acte peut tôt ou tard rattraper son auteur. Tout dépend de votre position le jour où quelqu’un voudra vous nuire. Des personnes mal intentionnées peuvent développer toutes sortes d’hypothèses. Soit, comme le laisse supposer le tweet du journaliste Tiani, le SG de l’UDPS a appelé l’IG Alingete pour lui demander de taire les résultats des investigations faites à l’EPST et de ne pas faire passer le paiement par la banque, soit qu’il l’a appelé pour lui glisser la liste des futures personnes cibles de l’IGF», analyse un observateur.

Image d’une justice à double vitesse 

Si c’est la première hypothèse, la plus plausible à voir l’attitude de Tony Mwaba qui semble préoccupé, donnant l’impression de se justifier, ce n’est pas bon d’emmener l’IGF à faire une justice à double vitesse étant donné que l’IG Alingete est un OPJ. Ceci décrédibiliserait et l’UDPS et l’IGF qui s’éloigneraient de l’idéal de l’Etat de droit prôné par le président de la République.

Si c’est la deuxième hypothèse, on ne pourrait interpréter la présence de Tony Mwaba que comme un stratège du parti -on ne peut pas se retrouver à ce niveau par hasard. Et même là, on pourrait aussi parler d’une justice aux ordres, sachant que le Secrétaire général Kabuya ne pourrait pas accepter de livrer ses propres lieutenants auprès de l’IGF. Mais on pourrait aussi y voir l’instrumentalisation de l’IGF et le ciblage des personnes devant répondre de leurs actes devant le contrôleur financier.

Au demeurant, cette gênante affaire pose un sérieux problème d’éthique et de personnalité. L’Inspecteur général des finances, dans l’une de ses tenues de commissaire qu’il se fait confectionner pour faire tendance auprès d’un couturier de renom habitant l’un des chics quartiers de la capitale, en face d’un ministre soupçonné par lui de tentative de détournement des deniers publics, dans un bureau privé, loin de ses bureaux à lui, en dehors du cadre officiel, pour un compromis à défaut d’une compromission, il cesse d’être crédible. Avec lui toutes ses équipes, leurs enquêtes et leurs rapports. Avec lui quiconque tenterait de le couvrir. Parce que le monde regarde la République Démocratique du Congo et ses institutions, pour son honneur et l’image du pays, l’Inspecteur général chef de service de l’IGF devrait mettre un pas de côté.

Ya KAKESA

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