Une sortie médiatique musclée de l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito qui, mercredi 16 mai dans la matinée, a répondu avec précision, objectivité et pertinence aux questions de Christophe Boisbouvier sur la RFI. Dans cet entretien qui a duré pratiquement 8 minutes, Muzito a pris la défense de Moïse Katumbi, accusant le pouvoir de vouloir l’écarter du jeu politique. AfricaNews vous propose cette interview dans les lignes qui suivent.
Adolphe Muzito, bonjour. Croyez-vous aux élections du 23 décembre?
Je n’y crois pas. Les élections auront bien lieu, je doute fort qu’elles se tiendront à la date prévue. Il y aura un glissement.
Un glissement à cause de quoi ?
A cause du fait que l’Opposition conteste la machine à voter et rejette le fichier électoral. M. Tshisekedi l’a dit ainsi que M. Lumbi. J’ai l’impression que le pouvoir va en profiter pour faire un glissement. Je constate aussi qu’il y a une contrainte financière. Le gouvernement ne saura pas décaisser 500 millions de dollars dans les 3 prochains mois pour permettre à la CENI d’être prête en ce qui concerne la logistique et le matériel. Et puisque le pouvoir ne veut pas du soutien de la communauté internationale au nom de la souveraineté nationale, je suis assez pessimiste. Tous les ingrédients sont réunis pour que les élections n’aient pas lieu.
Au vu des manifestations des Catholiques en début de cette année. Pensez-vous que la population acceptera un nouveau glissement?
La population n’acceptera pas et n’a jamais accepté un glissement. Malheureusement, il n’y aura pas de sanction. Qui va sanctionner qui? C’est ça le drame en RD-Congo.
Vous connaissez bien Joseph Kabila dont vous avez été Premier ministre pendant 3 ans et demi. A votre avis, il cherche un dauphin ou il veut rester?
J’ai l’impression qu’il veut rester. S’il cherchait un dauphin, les contacts qu’il prend et les mobilisations qu’il fait à travers les regroupements politiques qui vont désormais constituer sa plate-forme, il ne serait pas aux avant-postes de cette démarche. Il aurait déjà désigné son dauphin qui en principe devait prendre des contacts, construire un projet, le vendre auprès de différents regroupements politiques. Mais ce n’est pas le cas, c’est toujours lui. Donc je suis convaincu qu’il veut rester maitre à bord.
Vous le sentez combatif?
Il est combatif contre ses opposants pour les défaire. Il veut l’emporter en affaiblissant ses opposants.
Quel opposant par exemple?
Voyez-vous le cas de M. Moïse Katumbi. Il est vrai que du point de vue juridique, il a perdu sa nationalité. Je pense qu’il est dans les démarches pour la reconquérir. C’est un droit mais malheureusement on ne lui facilite pas la tache. L’objectif c’est de l’écarter du jeu politique.
Vous voyez de l’acharnement contre Katumbi?
Oui. C’est l’impression que j’ai. Je ne trouve pas de raison à cela. En réalité, le Président de la République n’aurait pas besoin de s’acharner sur quelqu’un qui en réalité ne sera pas son adversaire direct car il est sensé ne pas être sur le ring prochainement. Il n’y a pas de raison à écarter Katumbi.
Vous avez été dans les instances dirigeantes du PALU pendant 20 ans. Vous avez récemment été révoqué de votre poste de secrétaire permanent du PALU et vous êtes entré en dissidence. Pourquoi? Est-ce parce que vous êtes passé à l’opposition alors que Gizenga reste dans la Majorité?
Gizenga n’est pas dans la Majorité présidentielle, moi non plus je ne suis pas dans l’opposition. Il n’y a plus d’alliance Gizenga-Kabila. Les alliances sont à redéfinir. De ce point de vue, le PALU a la responsabilité historique d’évaluer et d’identifier les partenaires à venir sur la base de politique publique avec qui nous irons et comment nous gagnons ensemble. Donc je ne suis pas en dissidence avec mon parti. Par contre, il y a une certaine divergence au niveau de la direction politique du parti. Il y en a qui pensent qu’il faut maintenir les principes qu’on resterait toujours en alliance avec Kabila, qui pour moi n’a pas de sens aujourd’hui. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut maintenir une alliance pour appliquer des politiques publiques qui ont échoué. Entre 2006 et 2011, nous avions une orientation de politique publique -des reformes- que nous avons engagée et les résultats étaient plus ou moins au rendez-vous. Au quinquennat suivant, nous n’avons pas eu la direction du gouvernement parce que notre poids politique a baissé dans l’entretemps. Nous avons eu un rôle marginal. Mais, ceux qui ont géré le gouvernement sont sortis de la ligne. Ils ont fermé la porte aux institutions financières internationales pour un pays qui a une économie domaniale qui dépend des exportations des matières. Avec des finances publiques faibles, la RD-Congo a un budget de 4 milliards de dollars. Le niveau d’exécution est autours de 70%. Ça ne peut pas être suffisant pour qu’on rejette les reformes et qu’on ne travaille pas avec les financiers internationaux qui auraient dû nous aider et nous permettre de maintenir une stabilité économique, financière et monétaire. Cette politique d’autarcie financière, de repli sur soi, je ne la partage pas. De ce point de vu, je ne me vois pas dans un nouveau gouvernement qui ferme le RD-Congo sur elle-même.
La rencontre très médiatique du 19 mars dernier entre le Président Kabila et le Patriarche Antoine Gizenga. N’est-ce pas le signe que votre parti, le PALU, reste du côté de la Majorité?
Je ne trouve pas normal que le patriarche Gizenga et le président Kabila soient qualifiés pour débattre de l’avenir. Le président de la République n’est plus un acteur direct pour les échéances à venir. Théoriquement, il n’est pas candidat. Antoine Gizenga incarne le repos du guerrier. Il est en train de passer la main, ce n’est pas à lui d’engager l’avenir du pays, mais il reste un acteur dans notre parti. C’est le conseiller, c’est lui que nous consultons avant toute décision. Je trouve qu’on a abusé de lui en l’amenant dans les bureaux de l’état pour discuter des affaires du parti.
Le sondage vous prête 10% d’intentions de vote. Ne risquez-vous pas, au cas où vous êtes candidat, d’être broyé par la machine Lumumbiste?
La machine lumumbiste n’est pas au sommet de l’appareil, elle est plutôt dans la base sur laquelle je compte beaucoup. C’est elle finalement pour un parti de masse qui tranche. J’ai besoin du soutien de mon parti, pas forcement de l’investiture. Quand vous regardez la taille des 8 principaux partis de la RD-Congo, ils n’ont pas plus de 44% de l’électorat RD-Congolais. La masse critique est dans les associations, les forces sociales et c’est là qu’il faut aller chercher la victoire.
Pour gagner ces prochaines élections, vous avez besoin de faire des alliances. Est-ce la raison pour laquelle vous vous rapprochez du MLC et de l’UNC?
Oui, je suis ouvert et mon parti doit l’être aussi à toutes les forces politiques du pays. Si vous fédérez à l’ouest avec des partis tels que le MLC à l’ouest, l’UNC à l’est et l’UDPS au centre. Vous avez la victoire.
Si le PPRD vous demande de le rejoindre et vous propose d’être son candidat, que répondrez-vous ?
A ce moment là ce n’est pas moi qui les rejoins, ce sont eux qui me rejoignent. Ça suppose que nous nous mettions d’accord sur les politiques publiques. Avec les leurs ils ont échoué, donc il faut changer de politique et je suggérerai de suivre ma ligne politique dont il faudra débattre pour nous mettre d’accord et où ils pourront apporter leur enrichissement. Je suis d’accord de travailler avec tout le monde, mais il faudrait d’abord qu’ils puissent d’abord reconnaitre leurs échecs.
Vous êtes un centriste, ni majorité ni opposition?
Je suis l’un de ceux qui pensent que la RD-Congo n’est pas à développer mais à construire, et pour construire on a besoin d’être ensemble. Et si on peut se mettre d’accord sur les priorités et les défis à relever et les politiques appropriées.
Avec RFI