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Manœuvres pour priver Katumbi des ressources financières avant les élections: l’invitation du Conseiller spécial au juge Batubenga étale le Pouvoir et constitue une preuve de l’instrumentalisation de la Justice

Ni président du Conseil supérieur de la magistrature, ni ministre de la Justice…, le carton attribué à Jean-Claude Bukasa constitue un coup contre l’indépendance de la Justice et un mauvais signal pour la consolidation de l’Etat de droit…

Le décor d’une épreuve de force entre le Pouvoir et Moïse Katumbi est en train d’être planté. L’ancien gouverneur annoncé dans la course à la prochaine présidentielle face à Félix Tshisekedi a assuré mardi que son jet privé n’a pas reçu d’autorisation de survol de la République démocratique du Congo, accusant l’ANR, alors qu’il devait se rendre au Qatar pour y suivre les derniers matches de la Coupe du monde de football. Son entourage a commencé à se plaindre du changement progressif des habitudes au sein de l’appareil de l’Etat, où la séparation des pouvoirs semble être mise à rude épreuve, contrairement aux idéaux républicains à l’origine de la collaboration scellée via l’Union sacrée.

Les scandales n’en finissent plus de se compter dans le dossier judiciaire entre l’homme d’affaires Pascal Beveraggi et l’opposant Moïse Katumbi donnant le signe d’une tendance à la reproduction du scénario mis en place contre le Boss du TP Mazembe sous le régime Kabila. Après les dénonciations de la Société civile pendant tout le mois de novembre visant l’intrusion de Maître Peter Kazadi, un cadre de l’UDPS, dans le procès opposant les sociétés Octavia et NB Mining de Pascal Beveraggi à Astalia Limited de Moïse Katumbi, caractérisée par la mort par AVC de l’épouse de l’huissier Zabalega Asani consécutive à la séquestration de ce dernier dans le cabinet de Maître Orphée Tshimbadi, recommandé par Peter Kazadi, à en croire le Cadre provincial de concertation de la Société civile du Haut-Katanga, l’affaire est en train de prendre, jour après jour, une tournure inquiétante avec des rebondissements qui en disent long.

Le 12 décembre, le juge Laurent Batubenga Ilunga, président du Tribunal de commerce de Lubumbashi, a rendu sa lettre de démission au président de la République, Félix Tshisekedi, affirmant en avoir marre des pressions exercées sur lui par Peter Kazadi «en vue de pratiquer des saisies-attributions sans titre exécutoire au profit des sociétés Octavia et NB Mining» appartenant à Pascal Beverragi. Du haut de ses 26 ans d’expérience dans la magistrature, le juge Batubenga a avoué craindre désormais pour sa sécurité et celle de sa famille. «En effet, Maître Peter Kazadi, prétendant ne pas agir pour son compte personnel mais dans l’intérêt du Pouvoir, voudrait que je m’implique en tant que chef de juridiction pour aider à priver, selon ses termes, un adversaire politique des ressources financières qui lui donneraient les moyens de combattre le régime lors des prochaines échéances électorales. Il affirme avoir reçu la mission de piloter la mise en place des magistrats et que je risque de perdre mon poste lors de la prochaine mise en place si je ne m’exécute pas», a-t-il expliqué dans sa lettre de démission.

Loin de se laisser ébranler par la menace, Batubenga a dit à s’en tenir à son serment. «Les saisies- attributions pratiquées par les sociétés Octavia Limited et NB Mining Africa SA ne pouvant prospérer faute de titre exécutoire, il n’était pas possible d’accéder aux sollicitations de Maître Peter Kazadi qui obéissaient à une motivation politique et non légale», a-t-il poursuivi, affirmant avoir refusé de prendre une décision aidant à priver un adversaire politique des ressources financières, rappelant au Chef de l’État sa lutte en faveur de l’instauration d’un véritable Etat de droit. Peter Kazadi a beau nier les faits et rejeté ces accusations dans une déclaration à «Jeune Afrique», Jean-Claude Katende, président de l’Association congolaise pour la défense des droits de l’homme -ASADHO-, s’est étranglé d’indignation.

Prenant au sérieux les informations sur la démission du juge Batubenga, il s’est exprimé via Twitter pour rappeler au président Félix Tshisekedi une de ses récentes promesses sur l’administration de la Justice en République démocratique du Congo. «Le président Tshisekedi avait promis de sanctionner toute personne de son entourage qui userait de trafic d’influence pour instrumentaliser la justice. On attend sa réaction face à la dénonciation du juge du Tribunal de commerce de Lubumbashi», a écrit Katende.

Dangereuse immixtion

Les révélations faites par le juge Batubenga ont également fait réagir l’Association congolaise pour l’accès à la justice -ACAJ-, l’ONG dirigée par Georges Kapiamba. «L’ACAJ est profondément troublée par les circonstances qui auraient conduit à la démission du juge Batubenga Ilunga Laurent, du Tribunal de commerce de Lubumbashi. Les faits allégués dans sa lettre de démission sont d’une gravité extrême. Tout en respectant l’honneur et la dignité des personnes citées, l’ACAJ va mener une enquête indépendante aux fins de tirer au clair cette affaire dont les effets sont de nature à parasiter gravement la marche laborieuse vers un État de droit en RD-Congo», a promis Georges Kapiamba le 13 décembre.

Dans sa livraison parue le même jour à Kinshasa, le très sérieux quotidien «Forum des As» a évoqué une invitation attribuée au Conseiller spécial en matière de sécurité, Jean-Claude Bukasa, lancée au juge Batubenga, prié de se présenter à cette même date dans les installations du service du Conseiller spécial situées à la Cité de l’Union africaine.

De l’avis d’un bon nombre d’observateurs, l’existence de cette invitation a l’avantage de crédibiliser les affirmations du juge Batubenga et de fournir une preuve de l’intrusion dans un dossier judiciaire d’un service relevant du pouvoir Exécutif, notamment le Service du Conseiller spécial en matière de sécurité. «Ni président du Conseil supérieur de la magistrature, ni ministre de la Justice et, encore moins conseiller du président de la République en charge des affaires touchant à la justice, si elle est authentique, l’invitation signée de la main du Spécial Jean-Claude Bukasa constitue un coup contre l’indépendance de la Justice et un mauvais signal pour la consolidation de l’Etat de droit», s’est lamenté un membre du Cadre provincial de concertation de la Société civile du Haut-Katanga, regrettant une dangereuse immixtion. Pour rappel, le litige entre Pascal Beveraggi et Moïse Katumbi avait déjà été par la Cour d’appel de Paris au profit du second.

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