Politique

Comment l’UDPS est tombée dans le piège de Kamerhe…

Le président du groupe parlementaire UDPS à l'Assemblée nationale, Samy Badibanga Ntita
Le président du groupe parlementaire UDPS à l’Assemblée nationale, Samy Badibanga Ntita
Des analystes se sont, à ce stade, posé la question de savoir pourquoi l’UDPS se rallie avec tous ces partis dont la majorité sont, du reste, d’obédience kamerhiste, alors que, d’habitude, le parti tshisekediste abhorre les alliances. Ça fait mouche
Ce que certains ont voulu saluer comme le rassemblement d’une Opposition RD-congolaise pour une fois assagie se révèle, à l’analyse, n’être qu’un marché des dupes. Mille fois roulée au cours de son histoire, l’Union pour la démocratie et le progrès social -UDPS- est, encore une fois, la principale victime de cette entourloupe. «Ils se sont laissé conduire dans une souricière, comme des enfants», soupire un observateur. Dans le rôle du gagnant de l’affaire: Vital Kamerhe, calculateur, stratège de saison, qui espère tirer les marrons du feu et hériter, à peu de frais, de l’héritage tshisekediste. Décryptage. 
 
S’ils avaient voulu ratisser large, les initiateurs de la déclaration des Forces politiques et sociales signée le mercredi 24 juin 2014 dernier à Fatima ont réussi leur pari. En un jour, c’est une soixantaine de personnalités issues des milieux politiques et de la Société civile qui a paraphé le document. Parmi les signataires, on relève les noms de Bruno Mavungu,  secrétaire général de l’UDPS,  suivi de Vital Kamerhe, le président de l’UNC. Viennent ensuite de nombreux autres, dont Kolosso Sumaili pour le RCD/K-ML d’Antipas Mbusa Nyamwisi, Jean-Claude Nvuemba Luzamba pour le MPCR, Martin Fayulu d’ECIDE, le député Bernard Biando pour l’UDEMO, Emery Okundji des FONUS, etc.
 
UDPS isolée
Des analystes se sont, à ce stade, posé la question de savoir pourquoi l’UDPS se rallie avec tous ces partis dont la majorité sont, du reste, d’obédience kamerhiste, alors que, d’habitude, le parti tshisekediste abhorre les alliances. On rappelle que, même pour soutenir sa propre candidature à la présidentielle de 2011, le leader de l’UDPS ne voulait même pas de la constitution des Forces acquises au changement -FAC- pour laquelle Jacquemin Shabani et Samy Badibanga, à l’époque respectivement Secrétaire général de l’UDPS et conseiller spécial de Tshisekedi, avaient dû le placer devant le fait accompli.
Ensuite: pourquoi ces multiples signatures pour l’UNC et ses alliés, pour la plupart d’anciens kabilistes, alors que l’UDPS n’est représentée que par une seule personne? En effet, l’UNC est représentée par 3 personnes -son président Vital Kamerhe, son secrétaire général Bertrand Ewanga, au titre de la Coalition pour un vrai dialogue, CVD, et de son président de groupe parlementaire Jean-Marie Bamporiki. Les alliés de l’UNC sont également en surnombre: les époux Kudura parafent tous les deux le document, le mari, Kudura Kasongo Mwana Lwaba, en tant que président du Front d’intégration sociale -FIS-, et l’épouse, Pascaline Kudura, en tant que représentante d’un MPP que nul ne connaît.
De nombreux autres alliés de la coalition kamerhiste de la CVD sont sur la ligne: Martin Mukonkole du FDCD, Mwenze Kongolo des Patriotes kabilistes -PK-, celui-là même qui, en tant que ministre de l’Intérieur de l’AFDL, organisa la relégation de Tshisekedi dans son village de Kabeya Kamwanga en 1997. Un autre allié de Vital Kamerhe dans le cadre d’une autre coalition, Sauvons la RDC, Martin Fayulu, est également doublement représenté: Fayulu lui-même pour le compte des FAC, et le Pr Kitoko pour son parti ECIDE. Stratégie mûrement réfléchie pour tenir en respect l’UDPS isolée dans la nouvelle plateforme? Plusieurs analystes sont enclins à le penser.
D’emblée, on réalise que plusieurs fondamentaux ne sont pas respectés. On peut, en effet, se poser la question de savoir comment l’UDPS peut lancer des fatwa contre ses propres députés pour finir par signer un document pour un combat commun avec des députés d’autres partis de l’Opposition siégeant au sein de la même Assemblée nationale prétendument dissoute par Etienne Tshisekedi? Ils sont, en effet, 11 députés à avoir signé la déclaration de Fatima, dont, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, Kovo Ingila, membre éminent de l’UDPS, mais élu sur la liste SET -Soutien à… Etienne Tshisekedi!
 
Rien de nouveau
Sur le fond, le document des Forces politiques et sociales revendique le combat pour le triomphe de la démocratie en RD-Congo. Ainsi, les parties signataires s’engagent à «lutter pour la résolution de la crise de légitimité née des élections chaotiques du 28 novembre 2011»; «contrer tout changement ou révision de la constitution avant les élections de 2016»; «obtenir la convocation d’un dialogue inclusif conformément à l’Accord-cadre d’Addis-Abeba ainsi que la Résolution 2098 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies»; «restructurer la CENI et arrêter par consensus un calendrier électoral»; «obtenir le départ de Monsieur Joseph Kabila»; «arracher la libération sans conditions de tous les détenus politiques et d’opinions».
Et c’est ici que les observateurs se posent moult questions. En effet, comment des partis qui n’ont aucune vision commune ni sur la réalité institutionnelle du pays, ni sur leur conception de la vie démocratique, et encore moins sur les valeurs qui sous-tendent leurs luttes respectives, peuvent-ils se mettre ensemble pour mener un combat commun? Démonstration: pour l’UDPS, l’Assemblée nationale a été dissoute par Etienne Tshisekedi au lendemain de son auto proclamation.
C’est donc à ce titre que ce parti ostracise ses élus qui siègent à la chambre basse du Parlement. Le seul combat qui vaille pour l’UDPS, c’est celui, surréaliste, de l’impérium. A part cela, le parti tshisekediste ne reconnaît nulle institution: ni le gouvernement, ni le Parlement, ni la CENI, ni rien. Alors que, de son côté, l’UNC et toute son armée d’alliés reconnaissent bel et bien ces institutions, et ils siègent bel bien dans toutes celles qui leur sont accessibles: l’Assemblée nationale et la CENI.
Leur combat, plus réaliste, est simplement d’empêcher toute révision alléguée de la Constitution afin d’éviter la possibilité pour le président Joseph Kabila de se présenter à un troisième mandat, et de crédibiliser le processus électoral en cours. Depuis longtemps, ils militent également pour l’organisation d’un dialogue politique qui pourrait, sait-on jamais, leur ouvrir les portes des maroquins ministériels. Le dimanche 21 juin dernier sur RFI, lors de l’émission Le débat africain, ces deux visions de la réalité ont été clairement présentées: Kamerhe, visiblement dans son élément, exigeait la non-révision de la Constitution, tandis que Bruno Mavungu, guère brillant, s’en tenait toujours à la réclamation de l’impérium, au point que le présentateur, Alain Foka, lui a posé la question: «vous en êtes toujours là?».
Mavungu n’a pas fait le poids devant Kamerhe. En effet, si le chef de l’UNC a débattu pendant les deux parties de l’émission, Mavungu, lui, a été remplacé pendant la deuxième partie par Martin Fayulu. Autres questions: comment l’UDPS en vient-elle, elle aussi, à vouloir «contrer tout changement ou révision de la Constitution avant les élections de 2016» sans commencer par reconnaître Kabila comme président de la République pour son deuxième et dernier mandat? Comment l’UDPS peut-elle prétendre vouloir retirer les délégués des Forces Politiques et Sociales de l’opposition -dont un député UDPS, Jean Pierre Kalamba- siégeant dans une CENI  qu’elle ne reconnaît pas? Toutes ces questions demeurent sans réponse.
 
Marché des dupes
Tout compte fait, il apparaît que le vrai gagnant de ce qui ressemble, à s’y méprendre, à un marché des dupes, est Vital Kamerhe. Félin, et sachant que l’UDPS boycottera assurément les élections de 2016, il nourrit l’ambition de se présenter comme la seule alternative pour l’Opposition face au pouvoir en place. Et de rafler ainsi les bastions de l’UDPS. Depuis plusieurs mois, il essaie plusieurs stratégies, et créé coalition après coalition – CVD, Sauvons la RD-Congo…
Mais à chaque fois, il doit se rendre à l’évidence: il lui manque l’ancrage nécessaire pour mobiliser dans la capitale. Il lui fallait donc s’allier avec le maître incontesté des lieux: l’UDPS.  Pour flatter l’égo du parti tshisekediste, Kamerhe et les siens concèdent à inclure dans la déclaration deux exigences qu’ils savent pertinemment irréalisables: «lutter pour la résolution de la crise de légitimité née des élections chaotiques du 28 novembre 2011» et «obtenir le départ de Monsieur Joseph Kabila», mais sans dire comment. Réaliste, Kamerhe sait très bien comment le monde fonctionne, et il s’en fout du prétendu combat pour l’impérium.
Il sait qu’en Egypte, un président, le Frère musulman Mohamed Morsi, démocratiquement élu et reconnu par tous, a été illégalement destitué par l’Armée. Que des manifestants ont protesté par centaines des milliers, autant qu’ils ont été massacrés par milliers. Mais cela n’a pas empêché ce pays d’organiser une nouvelle présidentielle boycottée par l’Opposition démocratique, mais qui a été reconnue par la Communauté internationale, Etats-Unis en tête. La semaine dernière, à Malabo, c’était au tour de l’Union africaine de dérouler le tapis rouge au maréchal Al Sisi, dont la légitimité est ainsi définitivement reconnue.  La vie continue, et cela, Kamerhe le sait très bien. Il a donc son regard tourné vers l’avenir, quand l’UDPS regarde vers un passé insaisissable.
 
Conditions d’une renaissance
En militant au sein d’une même plateforme que l’UDPS, le chef de l’UNC gagne sur tous les tableaux. D’abord, il espère se légitimer aux yeux de tous les partisans de l’UDPS, y compris des franges les plus radicales, et nul ne saurait plus jamais douter de sa qualité d’Opposant. Ensuite, il compte se présenter comme la seule voie de recours pour l’Opposition face au pouvoir en 2016, étant donné que l’UDPS boycottera assurément les scrutins tant qu’elle courra après son impérium. A l’UDPS, on a vite oublié qu’en 2011, Kamerhe s’était opposé jusqu’au bout à soutenir Tshisekedi comme candidat unique de l’opposition.
Au point de poser un lapin à Etienne Tshisekedi qui avait fait le déplacement des Etats-Unis après pourtant un rendez-vous ferme. En fin de compte, nombre d’analystes se posent la question de savoir si, franchement, Bruno Mavungu -contesté au sein du parti par les proches de Valentin Mubake, et traduit en justice par l’ancien SG Shabani- a réellement reçu mandat pour engager l’UDPS dans une pareille entourloupe. Si oui, alors quelle mouche aurait piqué la direction de ce parti pour entraîner leur formation sur un sentier où il est perdant à tous les coups, et où il ne réussira qu’une chose: dérouler le tapis rouge  à Kamerhe qui verrait ainsi s’ouvrir un boulevard pour son ambition d’être le principal leader de l’Opposition.
Selon les observateurs avertis, l’UDPS risque de disparaître à la longue si jamais l’UNC prenait sa place en 2016. Selon un tabloïd kinois friand du sujet, pour conjurer ce sort, ce parti devrait procéder sans tarder, à une révision réaliste de son action politique. Comme conditions de sa renaissance, l’UDPS doit, d’abord, faire le deuil des élections de 2011, et reprendre sa place de premier parti de l’Opposition, au lieu de continuer à se croire illusoirement au pouvoir. Pendant 5 ans, de 1992 à 1997, Etienne Tshisekedi s’était enfermé dans le même genre de logique lorsqu’il réclamait le retour à la légitimité issue de la Conférence nationale souveraine.
Elle n’est jamais venue, jusqu’au jour où l’AFDL est venue balayer tout le système. Ensuite, ce parti devra sonner le rassemblement, en réintégrant ses députés et d’autres exclus, en recrutant de nouveaux cadres experts dans différents domaines de la vie nationale ainsi que des notables représentatifs de l’opinion, surtout dans les provinces où le parti n’a plus pignon sur rue, et en reconnaissant les institutions qu’il est appelé à combattre démocratiquement. Enfin, il doit devoir organiser la transition et préparer la personne à même de porter l’étendard tshisekediste lors des enjeux à venir.
 
KISUNGU KAS 

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