A chaque grosse pluie, Kinshasa se transforme en un vaste champ de désolation où les habitants comptent les morts suites aux inondations et aux glissements de terrain. La dernière pluie, dans la nuit du 4 au 5 janvier 2018, a fait plus de 40 morts, des centaines de blessés et d’innombrables dégâts matériels. La nature, comme toujours, a repris ses droits là où, depuis les années 60, des politiciens roublards, des fonctionnaires véreux et corrompus du service cadastral et des populations souvent naïves, mais toujours complices ont voulu fermer les yeux devant une évidence: on ne construit pas n’importe où et n’importe comment. Après la colère, la désolation, l’indignation et les larmes, peut succéder le questionnement. Comment en est-on arrivé-là? Quelle est l’origine de ce phénomène macabre récurrent qui endeuille chaque fois la capitale de la RD-Congo?
L’histoire nous donne une piste de réflexion
«En plein milieu des années 60, la population de Kinshasa va connaître une croissance démographique très considérable suite à l’exode rural massif. La politique du logement sociale n’était plus d’actualité. Le programme de construction des logements clés en main cessa d’être considéré comme priorité. L’Office national des logements, qui succéda à l’OCA, ne construisait plus de nouveaux logements, mais se contentait seulement à réhabiliter 1105 maisons préfabriquées 36. C’est alors que la construction anarchique explosa sous l’impulsion des chefs coutumiers et des politiciens. La gestion juxtaposée du sol à la fois par les pouvoirs publics et les autorités coutumières fut à la base de l’ambiguïté foncière qui amena à l’anarchie foncière dans la ville de Kinshasa. Cette anarchie foncière débute en 1959, une année avant l’indépendance, lors de la campagne pour les élections communales où les politiciens originaires des provinces voisines du Bas-Congo -actuellement Kongo Central, NDLR- et de l’ex-Bandundu attribuèrent des lopins de terre aux migrants ruraux, membres de leurs partis politiques, sans l’autorisation de l’Etat. Les communes de Makala et Ngaba, créées au centre, sous les pieds des collines du sud, sur des sites marécageux, sont les conséquences visibles de cette anarchie sous l’impulsion des hommes politiques de l’époque. Il en est de même pour le quartier Mombele, dans la commune de Limete, au-delà de la rivière Yolo. A l’Ouest de la ville, il y a eu les quartiers Camps Luka et Delvaux. La commune de Ngaba fut créée spontanément par les politiciens Antoine Gizenga et Cléophas Kamitatu du Parti solidaire africain -PSA- au profit de leurs électeurs qu’ils avaient fait de Bandundu. Le quartier Camp Luka, quant à lui, fut créé par le politicien Paulusi, alors bourgmestre de la commune de Ngaliema, qui distribua les terres aux migrants électeurs du Parti solidaire africain venus du Bandundu. Le quartier Delvaux fut créé par le politicien Mafuta Kizola Delvaux, qui distribua des terres toujours aux migrants ruraux du Parti solidaire africain. C’est ainsi que la cité créée portera son nom 28. Toute cette population incapable de trouver des logements dans les quartiers planifiés, à cause de leurs faibles revenus, érigèrent leurs habitations de façon anarchique dans ces différents coins de la capitale. Le quartier Mombele dont le site fut jugé autrefois par l’administration coloniale de No man’s land entre les communes de Limete et Kalamu fut donné aux électeurs Batékés en 1955 par le président du parti Union des Batéké -UNIBAT-, Pierre Mombele. Le quartier ainsi créé portera son nom. Cette croissance spatiale va progressivement combler des espaces interstitiels de la plaine déclarés non aedificandi par l’administration coloniale, et la ville va commencer à se développer en une agglomération horizontale, jusqu’au pied des collines du sud et de l’Ouest, avec la naissance de plusieurs quartiers spontanés».
LELO NZUZI F., Kinshasa: Planification & aménagement, L’Harmattan, Paris, 2011, p.384