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Le cobalt de la mort


 
Le Vice-Premier ministre Evariste Boshab s’est rendu samedi sur le site de la SODIMICO envahi par près de 40.000 personnes dans moins de trois semaines, attirés par l’eldorado de Kasumbalesa, où 16 creuseurs ont déjà péri à la suite d’une série d’éboulements  
 
Horreur absolue. Sept personnes sont mortes le 2 août portant à 16 le nombre des creuseurs artisanaux décédés à la suite d’une série d’éboulements dans une carrière minière riche en cobalt située dans la concession de Mabaya, à un jet de salive du poste-frontièrede Kasumbalesa, dans le Haut-Katanga. Mais rien ne semble pouvoir arrêter la voracité d’environ 40.000 personnes, qui ont envahi en l’espace de trois semaines ce site minier appartenant à la SODIMICO pour exploiter frauduleusement des minerais et les revendre sur place à des négociants étrangers alors que des hommes en uniforme armés y sont également signalés.
Cette ruée sur le cobalt est inédite tant par son ampleur, ses finalités et ses enjeux sécuritaires. Il ne s’agit plus seulement pour les creuseurs artisanaux d’assurer la survie de leurs familles par cette exploitation anarchique.
Mais il s’agit aussi pour des étrangers, qui ont clandestinement rejoint ce site, de se faire beaucoup d’argent au détriment de l’Etat et de la SODIMIKA -une joint-venture née du partenariat signé en juillet 2010 entre la propriétaire SODIMICO et la SOMIKA- dont les travaux de recherches géologiques marquent le pas. Mais il s’agit surtout pour le gouvernement d’y faire régner l’autorité de l’Etat. Mission assignée au Vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur et Sécurité, Evariste Boshab, qui s’y est rendu samedi 5 septembre, en compagnie du gouverneur Moise KatumbiChapwe et du commissaire général de la PNC, Charles Bisengimana.
 
Située à plus ou moins 20 km de la frontière avec la Zambie, dans une zone exposée à la menace des insurgés Bakata Katanga, la carrière de Mabaya, une propriété de la SODIMICO, est prise d’assaut depuis trois semaines par des dizaines de milliers de personnes, parmi lesquelles des creuseurs artisanaux, des vendeurs des biens de diverses natures, des transporteurs mais aussi des hommes en uniforme armés. Leur nombre ne cesse d’augmenter et vient de dépasser le seuil de 40.000. Le site a un décor insolite.
A son entrée, est érigé un poste de contrôle où opèrent presque toutes les unités de l’Armée et de la Police ainsi que les services de sécurité. Inutile de préciser que ce poste illégal fait des perceptions illégales et forfaitaires pour l’accès des personnes au site et l’évacuation des produits miniers. Sur environ 6 kilomètres de route poussiéreuse en mauvais état, des hommes et des femmes s’affairent à dresser à l’aide des troncs d’arbres coupés sur place, qui un restaurant ou une boutique, qui une cabine téléphonique ou une agence de transfert d’argent, qui encore une douche commune ou un hôtel en plein air…
Des baffles installés dans des bistrots ou des débits de boisson distillent la musique à vous rompre les tympans. Théoriquement interdit de vente sur le territoire national, l’alcool en sachet et petit flacon dit «Supu na tolo» coule à flot.  Le tableau serait incomplet si on ne mentionnait pas cette voiture d’occasion sans plaque en revente. Trois détails sautent aux yeux: aucun campement n’est organisé.
Pas de point d’eau. Pas non plus d’installations hygiéniques. Mais de part et d’autre de la voie, des femmes, parfois enceintes, sinon allaitant ou jeunes et en tenues suggestives sont visibles. Incontestablement, le commerce du sexe est aussi au rendez-vous. Le risque de grandes épidémies est évident face à l’absence d’installations sanitaires et de points d’eau ainsi qu’à la promiscuité dans laquelle vivent les creuseurs mêlés aux femmes et aux enfants mineurs.   
 
Ici et là, des pancartes signalent la présence des coopératives et semblant début d’organisation. Sans nul doute, l’intérêt pour le cobalt de Mabaya se développe chaque jour et attire des étrangers. Chinois, Libanais, Tanzaniens et Zambiens tiennent des comptoirs d’achat informels, où ils négocient les minerais à vil prix. Ils n’ont que faire des normes en matière d’exploitation minière artisanale.
«Ces étrangers nous volent nos minerais. Ils nous obligent à creuser des puits pour eux mais ne se soucient pas de nous donner des équipements de protection individuelle. La quête de l’argent nous expose à des scènes et conditions horribles», se lamente Dolin Kayembe, un creuseur artisanal venu de Ngandajika deux semaines après la découverte du gisement, affirmant avoir été alerté par un cousin. Comme lui, la plupart des jeunes qui ont déserté les mines diamantifères taries de  Mbuji-Mayi ont abandonné le métier de motard à Lubumbashi pour tenter une nouvelle aventure à Mabaya, au grand bonheur des négociants étrangers trouvés sur place, assis devant des sacs des minerais entassés, prêts à être évacués.
 
Kayembe a dit vrai. L’exploitation minière à Mabaya est d’une horreur absolue. Hôtes de la carrière Mabaya samedi, le Vice-Premier ministre Evariste Boshab, le gouverneur Moise KatumbiChapwe et le commissaire général de Police nationale Charles Bisengimana ont pu voir de leurs yeux comment l’espacement entre les puits est réduit. Cette situation a déjà occasionné 16 morts victimes de la série d’éboulements déplorés depuis fin août 2015. Pendant leur visite, un cas de blessure grave du fait d’une dispute autour d’un puits a été signalé et ses auteurs déférés devant les instances compétentes.
 
Les creuseurs sont unanimes: la présence des hommes en uniforme armés ne les épargne pas d’éventuelles crises violentes. Ils ont demandé et obtenu de Boshab le retrait sans délai des hommes en armes et des étrangers. Mais ils ignorent qu’à son retour à Lubumbashi, le patron de la sécurité nationale a donné des assignations tant aux autorités provinciales qu’aux membres de la commission en charge du dossier pour leur propre déguerpissement sans casse du site qu’ils occupent en violation des droits de la SODIMICO et ses partenaires. Questions de faire régner l’autorité de l’Etat et de maitriser ce flux incontrôlable, les services de sécurité ont reçu l’ordre de créer sans attendre un cordon sécuritaire entre la concession de la SODIMICO et les creuseurs artisanaux.
 
AKM
 

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