Suite à l’article, paru à la Une de l’édition du 5 septembre 2021 de «AfricaNews», sous le titre «Kinshasa-FMI, accord dénoncé», basé sur l’accord de 1,52 milliard de dollars conclu en juillet dernier entre le Fonds monétaire international -FMI- et la RD-Congo pour le financement du programme triennal du gouvernement, le chercheur RD-congolais Arthur Mbumba Ngimbi a mérité des encouragements surtout de la part de milieux universitaires.
Néanmoins, l’article a également suscité des vives réactions dont celle du ministre des Finances, Nicolas Kazadi, qui s’est laissé aller à des propos excessifs et arrogants. Arthur Mbumba, doctorant en Economie à l’Université de Kinshasa -UNIKIN-, revient à la charge et contredit le ministre Nicolas Kazadi. Le chercheur RD-congolais ne s’explique pas la réaction du ministre des Finances qui s’est limitée à lui reprocher «une méconnaissance des principes de l’économie et un manque de maîtrise du rôle et du fonctionnement des institutions financières», au lieu de s’attaquer à l’essentiel, c’est-à-dire la problématique développée.
«Celle-ci, -rappelons-le-, consistait à démontrer la responsabilité des institutions de Bretton Woods dans l’amplification de la pauvreté de la population congolaise et la persistance de l’insécurité à l’Est du pays», a-t-il fait remarquer. Ci-dessous, la tribune de Arthur Mbumba.
La RD-Congo n’a pas besoin des institutions de Bretton Woods pour se développer
Notre article sur l’accord de 1,52 milliard de dollars conclu en juillet dernier entre le Fonds monétaire international et la RD-Congo pour le financement du programme triennal du gouvernement, paru à la Une de l’édition du 05 septembre 2021 de «Africa News», sous le titre «Kinshasa-FMI, accord dénoncé», nous a valu les encouragements surtout des milieux universitaires. Mais il a également suscité des vives réactions notamment de la part du ministre des Finances, Nicolas Kazadi, qui s’est laissé aller à des propos excessifs et arrogants.
Pour avoir été dans le temps membre du gouvernement, nous comprenons, en raison du volume des dossiers à traiter et de l’importance des problèmes de gestion quotidienne que Monsieur le ministre n’ait peut-être pas eu le temps de lire l’article, préférant peut-être confier cette tâche à des collaborateurs qui ont réagi à sa place. D’autant plus que nous trouvons dans ses propos certaines idées contenues dans le communiqué du Fonds monétaire international, publié au lendemain de l’annonce de la conclusion de l’accord.
En effet, il nous est difficile de comprendre que sa réaction puisse se limiter à nous reprocher «une méconnaissance des principes de l’économie et un manque de maîtrise du rôle et du fonctionnement des institutions financières», au lieu de s’attaquer à l’essentiel, c’est-à-dire la problématique que nous avons développée. Celle-ci, -rappelons-le-, consistait à démontrer la responsabilité des institutions de Bretton Woods dans l’amplification de la pauvreté de la population congolaise et la persistance de l’insécurité à l’Est du pays.
Nous voulons, pour lever toute équivoque, faire une analyse minutieuse de ses critiques.
La RD-Congo est un des pays les moins endettés de l’Afrique
Nous avons déjà dit que la soutenabilité ou la viabilité d’une dette n’est pas une assurance pour son remboursement. Elle dépend plutôt du PIB et des exportations du pays emprunteur. Nous pouvons citer à ce sujet l’exemple des Etats-Unis et de la Chine, les deux pays les plus endettés mais aussi les plus riches du monde.
La dette des Etats-Unis estimée en 2020 à 22.500 milliards de dollars ne signifie rien en raison de son important PIB de 21.922 milliards de dollars qui croît au taux annuel de 5%. Il en est de même de la Chine qui a une dette de 40.000 milliards de dollars et un PIB de 16.493 milliards de dollars avec une croissance de 11% -Source: Banque mondiale.
Par contre, le faible taux d’endettement en 2010 de la RD-Congo résultant de l’allégement de 90%, soit 10,8 milliards de dollars, obtenu des créanciers internationaux, ramenant l’encours à 3 milliards de dollars dont 1,7 milliard de dollars au titre de capital et 1,3 milliard de dollars au titre d’intérêts, n’a pas empêché l’accroissement du service de sa dette.
A cause de la faiblesse du PIB, le stock de sa dette atteignait fin 2012, seulement deux ans après, 4.939,66 milliards de dollars, soit une augmentation de 65% -Source: Direction générale de la dette publique.
Conditionnalités difficiles à réaliser
Dans notre article précité, nous avons déploré l’opacité entretenue sur les conditionnalités de l’accord. Compte tenu de l’expérience du passé, nous devons mesurer au plus juste les graves conséquences pouvant résulter du partenariat avec les institutions de Bretton Woods, en raison des devoirs qu’il impose et des dangers qu’il comporte.
Certes on nous a dit que le premier décaissement en appui à la balance des paiements aura été sans conditions. Mais on ne veut rien révéler sur les autres tirages qui suivront et qui ne seront certainement pas gracieux. Ils comportent des conditions, notamment le respect du plancher sur les devises, exigeant d’avoir un niveau minimal des réserves de change, correspondant à trois mois d’importations ainsi que le respect du plafond des crédits nets.
Nous avons à ce sujet des doutes en ce qui concerne la réalisation de la première condition, en raison du manque de discipline budgétaire de la part des autorités congolaises qui ont l’habitude de ne pas respecter les règles de bonne gestion. Régulièrement des rapports sur la reddition des comptes établis par la Cour des Comptes font état des dépassements des crédits par les institutions politiques sans que cela ne change quelque chose -Source: Journal Officiel.
D’ailleurs le ministre des Finances lui-même a eu à déplorer dernièrement au cours d’un des points de presse ces dépassements au niveau de la Présidence de la République.
Il ressort du compte-rendu de la dernière réunion du Conseil des ministres du 17 septembre 2021 que les réserves de change ont atteint 3,3 milliards de dollars. Bien que ces chiffres soient contestés par l’Observatoire de la dépense publique -ODEP-, nous ne pouvons qu’encourager cet effort louable du gouvernement qui doit continuer. Car ce montant est dérisoire, compte tenu de l’énorme potentiel de la RD-Congo et par rapport à des pays comme l’Algérie qui détient 100 milliards de dollars des réserves de change, bien que réduites actuellement à 60 milliards de dollars, à la suite de la chute des cours du pétrole.
Par ailleurs, il faut souhaiter que par rapport à la norme de référence en matière d’importations, on arrive à atteindre et même à dépasser le niveau actuel de certains pays comme le Rwanda -3,8 mois-, l’Angola -5,8 mois-, l’Afrique du Sud -5,9 mois-, le Nigeria -7,5 mois-, le Botswana -11,8 mois. Source: Banque mondiale.
Une croissance appauvrissante
Selon le ministre des Finances, «le programme triennal du gouvernement vise entre autres objectifs de placer la RD-Congo sur une croissance durable et inclusive».
Cette chanson ne date pas d’aujourd’hui. Elle a déjà été répétée plusieurs fois à satiété par le passé. La croissance économique et le développement sont deux objectifs complémentaires. On ne peut se contenter d’accroître la production sans tenir compte de la distribution équitable du fruit de la croissance. La théorie économique enseigne que la croissance aboutit généralement à l’amélioration des conditions de vie de la majorité de la population.
Il y a eu chez nous des années où le pays a connu une forte croissance. Malheureusement, en dépit des taux élevés tant vantés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international pour justifier le bien-fondé de leurs actions, la croissance a toujours été mal distribuée. Elle n’est ni solidaire ni inclusive. Il y a là le paradoxe de la croissance: on a «une croissance sans développement, une croissance appauvrissante». Elle ne profite qu’à une infime minorité soit 13% des Congolais qui s’accaparent de plus de 50% de la richesse nationale, générée pourtant par les efforts de tous -Source: Banque mondiale. Il s’agit particulièrement des gens évoluant autour de l’Etat et du pouvoir: responsables et cadres des institutions politiques, des forces armées, de la sécurité, des entreprises publiques…
Des écarts criants des revenus
Au Congo, la pauvreté est un héritage de la deuxième République. Depuis des nombreuses années, elle progresse plus qu’elle ne recule. Elle ne vient pas seulement du chômage devenu endémique avec 64% de la population active, en 2020, du faible niveau du PIB par habitant, soit 552 dollars en 2016 mais aussi du fort accroissement des inégalités -Source: Banque centrale du Congo et Fonds monétaire international.
La preuve en est qu’actuellement l’Huissier qui est le dernier grade de la Fonction publique touche à peine 140.250 FC, soit 70 dollars et le Secrétaire général, 194.792 FC, soit 97 dollars -Source: Ministères des Finances. Alors que selon certaines indiscrétions, le salaire mensuel d’un député national serait de 20.000 dollars, y compris les invisibles dont seuls les bénéficiaires connaissent la provenance. En termes de comparaison, cela signifie qu’il faut 256 mois, soit 21 ans de salaire à un Huissier pour égaler celui d’un mois d’un député.
Pourtant sous la première République, à cause du refus du Président Kasa-Vubu aux demandes incessantes d’augmentation des émoluments des députés, ce rapport était à peine de 1 à 3 -Source: Annales parlementaires. Les dirigeants congolais connus pour leur égoïsme ne sont pas les seuls responsables de cette situation. Il y a aussi les Institutions de Bretton Woods. On sait que celles-ci se sont toujours opposées à l’augmentation de maigres salaires des agents de l’Etat, favorisant ainsi des écarts criants des revenus au sein des différentes classes sociales. Tout comme elles favorisent la pauvreté rurale en empêchant les soutiens étatiques à l’agriculture.
En effet, sous les pressions de celles-ci, peu soucieuses du développement mais privilégiant les seuls secteurs générateurs des devises pour payer la dette et au nom du principe «moins d’Etat et plus de marché», les autorités congolaises ont réduit depuis plusieurs années les crédits destinés à l’agriculture dont le taux ne dépasse jamais 2% par an tandis que celui des décaissements est en moyenne de 1% -Source: Banque centrale du Congo et ministère du Budget.
Ce taux est insignifiant par rapport au minimum de 10% recommandé par le Protocole d’accord de Maputo à tous les pays africains pour atteindre 6% de croissance agricole. On constate d’ailleurs qu’aucune agriculture au monde n’a prospéré sans un certain degré de protection et des aides publiques.
C’est grâce à cette politique que l’Union européenne jadis déficitaire est devenue aujourd’hui excédentaire pour de nombreuses productions telles que le blé, la viande et les produits laitiers. On ne peut donc pas suivre la politique des institutions de Bretton Woods pour que soient refusés aux agriculteurs congolais qui ont des revenus faibles, des soutiens étatiques dont bénéficient leurs collègues étrangers plus riches qu’eux.
Si on veut donc développer ce pays, la priorité ne doit pas être accordée aux mines comme le veulent la Banque mondiale et le Fonds monétaire international mais plutôt à l’agriculture, pour plusieurs raisons notamment le fait que c’est un secteur à forte intensité du travail, c’est-à-dire qui peut engager plusieurs travailleurs. De plus, il occupe 70% de la population active et constitue de ce fait le meilleur vecteur de la lutte contre la pauvreté dans un pays largement rural comme le Congo.
C’est sans doute conscient de ces fortes inégalités qu’au cours d’une de ses récentes réunions, le gouvernement a demandé aux membres de toutes les institutions politiques de réduire leur train de vie. Mais la question lancinante qui mérite d’être posée au ministre des Finances qui nous reproche de ne pas maîtriser les informations, est celle de savoir pourquoi ne publie-t-il pas au Journal officiel la grille des salaires de tous ceux qui sont payés à charge du Trésor public, comme c’était le cas sous la première République et comme cela se fait dans tous les pays du monde.
Des réformes inutiles et coûteuses
Le ministre Kazadi parle des réformes qui accompagnent généralement la coopération avec les institutions de Bretton Woods. Elles portent comme d’habitude sur les entreprises publiques, les banques et le secteur minier. Je me souviens à ce sujet de la réforme de 2009 des entreprises publiques avec le Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques -COPIREP.
On voudra m’excuser de parler à ce sujet de l’expérience que j’ai personnellement vécue. J’étais à l’époque Administrateur Directeur financier de la SOSIDER. La réforme n’a, en réalité, consisté qu’à transformer les entreprises publiques en sociétés commerciales ainsi qu’à changer leurs dénominations comme l’ONATRA devenu SCTP. Notre Comité de gestion s’était opposé à la privatisation, appuyé par les deux ministres de tutelle, celui du Portefeuille et de l’Industrie. Malheureusement, nous n’avons pas été compris et, aujourd’hui, les travailleurs comptent plus de 100 mois d’arriérés des salaires.
Pour témoigner de l’échec de cette réforme qui aurait coûté 40 millions de dollars s’ajoutant à la dette extérieure, nous pouvons multiplier des anecdotes du même genre pour toutes les autres entreprises publiques.
Par Arthur MBUMBA NGIMBI
Chef de Travaux et Doctorant en Economie à l’Université de Kinshasa