Les analyses l’attestent: la machine s’est cassée, les marchés sont en surchauffe, les choix économiques du chef du gouvernement se révèlent des options antisociales
Après près de 6 ans de croissance soutenue, la RD-Congo connait un choc brutal. La situation économique et sociale est tendue. L’explication qu’en donne le Premier ministre Matata Ponyo, aux affaires depuis mai 2012, est loin de convaincre. Analyse.
Dans une tribune parue dans la presse, le chef du gouvernement parle des avancées significatives dans les domaines économique et social et appelle à un consensus national en vue de leur consolidation. Matata affirme que la RD-Congo arrive en 5ème position parmi les pays dont le produit intérieur brut par habitant a le plus progressé au monde depuis 2010 avec une avancée de plus de 20%. Il se flatte aussi que le pays gagne dix places au classement 2015 de l’Indice de développement humain -IDH- du Programme des Nations unies pour le développement -PNUD. Il a raison certes. Mais la réalité sur terrain ne reflète pas les affirmations du Premier ministre, qui ressemblent ni plus ni moins à de l’autosatisfaction. Pourquoi un tel paradoxe?
D’abord parce que, je le pense et constate, la gestion de Matata Ponyo ne convainc pas tout le monde. Certes, elle est appréciée par quelques fanatiques ou laudateurs zélés. Mais, outre l’Opposition réputée très critique, la population s’interroge au regard de la situation peu reluisante sur les terrains économique et social.
Je note que la croissance a beau frôler les deux chiffres, elle est loin d’être inclusive et les RD-Congolais demeurent dans l’état de sous-pauvreté avec un PIB annuel par habitant de 478 dollars en 2015. Le Premier ministre attribue la décélération du rythme de la croissance à la chute des cours de cuivre et de cobalt mais n’ose pas avouer sa grosse part de responsabilité.
D’une part, j’estime que le chef du gouvernement a opéré un mauvais choix en laissant la charge de toute l’économie sur le secteur minier. Et de deux choses l’une: soit Matata a cru diversifier l’économie avec un seul Parc agroindustriel, Bukangalonzo, qui peine à décoller. A ce propos, je me suis intéressé au tweet d’Olivier Kamitatu Etsu posté dimanche: «Hallucinante agonie d’un projet de 150 Millions USD qui va très bientôt garnir le cimetière des éléphants blancs de ≠ RDC».
Soit encore Matata a pensé qu’il pouvait s’y mettre en un temps record. Faute de l’avoir fait, les minings ont fermé ou diminué leur production à cause de la baisse constante des prix des métaux précieux sur le marché international et les recettes ont logiquement et sensiblement baissé.
Les faits donnent raison à Muzito
D’autre part, le Premier ministre est en train de payer pour avoir redouté un programme formel avec le Fonds monétaire international -FMI. J’ai trouvé l’explication auprès des experts, convaincus que l’indiscipline et le refus de travailler dans la transparence ont dicté cette attitude du gouvernement. «Difficile de promouvoir les marchés de gré à gré et les dépenses extrabudgétaires et accepter d’être contrôlé par le FMI, où seules la clarté et l’orthodoxie comptent», constate un haut cadre de la Banque centrale du Congo. La suite est connue: ce refus d’être encadré par le FMI nous a fait perdre tant les opportunités d’appuis budgétaires depuis 2012 que l’aide financière destinée aux pays en programme avec le Fonds en cas de choc majeur, comme c’est le cas aujourd’hui.
Le Premier ministre n’a donc pris aucune précaution pour préserver les acquis du Régime. Une faiblesse par rapport à son prédécesseur Adolphe Muzito, réputé pour sa disponibilité à collaborer avec le FMI, encouragé à apporter ses précieux appuis au pays et la Banque mondiale -BM.
Je fais constater que la machine s’est cassée, les dégâts sont énormes: le pays, désormais en récession, est retourné à ses vieux démons en faisant tourner la planche à billet. A en croire des sources bancaires, la Banque centrale injecte des quantités de francs congolais dans les banques commerciales. Entre janvier et mars 2016, il a été constaté un dépassement de 70 milliards de francs congolais dû à cette pratique. Les statistiques montrent que les recettes réalisées pendant ces trois mois ont été d’environ 920 milliards de francs congolais contre les dépenses de l’ordre d’environ 990 milliards de francs congolais. J’apprends que le gouvernement contrebalance les effets de la planche à billet en demandant d’injecter le peu de devises que la Banque centrale a comme réserve de change. Conséquence: on est passé d’USD 1,750 milliard de réserve de change représentant 9 semaines d’importations, à USD 1,3 milliard équivalent à seulement 5 semaines d’importations. Un niveau faible et inquiétant.
En dépit de la conjoncture internationale morose, tout ceci ne serait pas arrivé si Matata avait continué sur la lancée de Muzito en maintenant le programme avec le FMI. En appui à cette thèse, je rappelle que la RD-Congo, confrontée à la crise internationale en 2009 quand les mings étaient ébranlés et certains poussés d’envoyer le personnel au chômage, s’était sortie avec le concours du Fonds.
J’ai également lu dimanche un tweet d’Olivier Engulu, sociétaire de la Majorité présidentielle, coordonnateur du Mécanisme national de suivi de l’accord-cadre d’Addis-Abeba écrit en ces termes: «Nous avons perdu 80% des revenus du cuivre, les prix s’embrasent à l’approche du dialogue. Ça me parait orchestré tout ça… Bizarre»! Tout y est presque dit. Certainement, le Premier ministre était libre de suivre sa voie, d’imprimer sa marque, mais la modestie et l’honnêteté devraient l’obliger à plus de prudence. Surtout que la surchauffe née du recours à la planche à billet frappe le social de la population de plein fouet, où je note avec stupéfaction l’existence voire la persistance d’un choc important. Avec un salaire de FC 93.000 représentant USD 100 début 2016, le fonctionnaire de l’Etat perd près d’USD 10 sur son salaire étant donné que le billet vert se négocie actuellement à FC 1.000. Le consommateur de la carte prépayée est contraint de se contenter de 80 unités à FC 1.000 au lieu de 100 unités précédemment. Il va sans dire que le panier de la ménagère aussi subit la même secousse. Un kilo des «mpiodi» se vend à FC 2800 contre FC 2500 auparavant, selon plusieurs enquêtes réalisées par la presse locale la semaine dernière.
Dans un rapport rendu public le 16 juin 2014, le FMI se félicitait encore des progrès économiques accomplis par la RD-Congo, tout en exprimant des réserves sur certains points essentiels dont la restructuration de la Banque centrale du Congo et les négociations pour un nouvel accord formel avec Kinshasa. Et les administrateurs du FMI étaient formels: aucune nouvelle discussion d’un nouvel accord formel ne serait possible avec la RD-Congo tant que «la gouvernance et la transparence dans la gestion des ressources naturelles» feront défaut.
Voici que Matata Ponyo s’est rendu à Washington à la quête d’un éventuel appui financier du FMI. Faute de réformes sérieuses et de transparence dans la gouvernance, notamment dans la fiscalité du secteur minier et l’exécution du budget de l’Etat, tout devient hypothétique. Tout ce qu’il nous reste, c’est de lui souhaiter une très bonne chance, à lui certes, mais surtout pour le bien-être de l’ensemble de la population. Car c’est elle, en fin de compte, qui a perdu son pouvoir d’achat.
Achille KADIMA MULAMBA
Editorialiste
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