Un des chevronnés RD-congolais en Droit constitutionnel, le professeur Paul Gaspard Ngondankoy est opposé à toute initiative de changement de Constitution, défendue bec et ongles par le parti au pouvoir, l’UDPS. Ngondankoy s’est exprimé, dans ce débat qui défraie la chronique, dans un récent entretien avec Radio Okapi.
De l’avis du porte-parole de l’Association congolaise de droit constitutionnel -ACDC-, changer la Loi fondamentale relève d’une «fraude à la Constitution», étant donné que le pouvoir constituant originaire -qui est au-dessus de toutes les institutions et qui est à l’origine d’une Constitution- a exclu toute opération de changement intégral de Constitution, question de conserver son identité et éviter des «conséquences juridiques attachées à cela». Directeur de cabinet de l’ancien Premier ministre Sama Lukonde, le professeur Ngondankoy parle d’une fraude à la Constitution qui mettrait en impossibilité juridique d’exister les institutions issues des élections de décembre 2023. Il a aussi prévenu que si jamais ce changement est autorisé par le peuple souverain, consulté par voie référendaire, celui-ci va se retrouver «en dehors du cadre constitutionnel» et «dépouillé de son pouvoir». Ci-après, l’intégralité de l’interview du professeur Paul Gaspard Ngondankoy accordée à Radio Okapi.
Vous avez déclaré que vous êtes disposé à prendre part active au débat sur la problématique de changement ou de révision de la Constitution. S’agit-il d’un débat pour le changement ou la révision de la constitution?
Vous me posez là une question à deux volets différents. D’abord, s’agissant du contenu de la déclaration de l’Association congolaise de droit constitutionnel -ACDC- sur le débat autour de la révision ou du changement de la Constitution, je dirais que dans cette déclaration, les professeurs de Droit constitutionnel, membres de l’ACDC, ne se sont pas prononcés sur la révision ou sur le changement de la Constitution. Ce qui est affirmé dans cette déclaration, c’est qu’il y a 4 idées majeures. La première idée, c’est que les professeurs de droit constitutionnel réunis dans cette association ont pris note du débat que le Chef de l’État a déclenché autour de cette thématique.
Les professeurs de droit constitutionnel, membres de l’ACDC, au regard de leur expérience sur l’enseignement et la pratique du droit constitutionnel, se sont dit disposés à contribuer à ce débat pour éclairer non seulement l’opinion publique, qui est inquiète, mais aussi et surtout le Président de la République et les autres institutions qui interviennent ou qui interviendront dans ce processus, si jamais il va jusqu’au bout. Par cette déclaration, ils n’ont fait qu’annoncer leur disponibilité à contribuer à l’éclairage de ce débat, point barre.
Pourquoi doit-on changer ou réviser la Constitution?
Au stade actuel, personne ne le sait encore. Car non seulement le Président de la République n’a pas encore convoqué la commission d’experts à laquelle il a fait allusion, mais nous ne connaissons même pas les articles de la Constitution qui seront concernés. Mais je pense qu’en théorie, vos auditeurs doivent savoir ceci. Et je voudrais développer, si vous me le permettez, 4 considérations majeures. La première considération, c’est que la Constitution est l’œuvre d’un pouvoir spécial. Un pouvoir qui est au-dessus de toutes les autres institutions, de toutes les institutions qu’on appelle pouvoir constituant.
C’est-à-dire un pouvoir qui établit une nouvelle Constitution ou qui modifie une Constitution existante. Quand il s’agit d’établir une Constitution nouvelle, on l’appelle pouvoir constituant originaire. Quand il s’agit de modifier une Constitution existante, on l’appelle pouvoir constituant dérivé ou institué. Ce pouvoir constituant dérivé est par définition limité. Si on révise une partie seulement, un point seulement de l’organisation du pouvoir qui concerne la forme d’État ou qui concerne les régimes politiques, parfois en doctrine, on admet qu’il s’agit d’un changement de Constitution. Mais quantitativement parlant, ça ne concerne que certains articles de la Constitution. Dans la pratique, nous, ce que nous savons, c’est que généralement, on ne change jamais tous les articles de la Constitution.
On ne peut jamais faire tabula rasa?
On ne peut jamais faire tabula rasa, comme vous venez de le dire. Donc voilà. C’est d’ailleurs pour éviter ce genre de glissements, pour protéger son identité, que notre Constitution actuelle a exclu l’opération de révision pour ce qui concerne les matières verrouillées par l’article 220. Si on le fait, en ce moment-là, on change l’identité de la Constitution et il y a des conséquences juridiques qui sont attachées à cela.
Est-ce qu’on tombe dans un coup d’État constitutionnel ou bien un coup d’État institutionnel?
Je préfère parler de fraude à la Constitution.
Si c’est autorisé par la population qui est consultée par voie référendaire, puisque le peuple étant souverain…
Mais il s’agit de quel peuple? Parce que je viens de dire tout à l’heure que lorsque le peuple, se comportant comme pouvoir de Constitution originaire, dote le pays d’une Constitution nouvelle, il se dépouille de son pouvoir, parce qu’il est en dehors du cadre constitutionnel. Il ne pourrait intervenir qu’en cas de vide constitutionnel. Et donc aujourd’hui, le peuple qui a désigné l’article 220 pour adopter une révision de la Constitution, ce n’est pas le même peuple que celui qui adopte la Constitution.
Et donc pour avoir des conséquences, ce peuple s’est auto-limité à l’article 218 pour ne se limiter lui-même qu’à la révision de certains articles, excluant lui-même par là certains articles qui ne peuvent faire l’objet d’aucun changement, d’aucune modification. Et voilà pourquoi d’ailleurs, moi, à ce sujet, j’ai une initiative. Aujourd’hui, nous nous sentons mal à l’aise, nous, parlementaires, nous demander aujourd’hui de réviser cette Constitution, y compris en touchant les articles verrouillés. Nous nous mettons mal à l’aise parce que nous-mêmes, nous nous mettons en difficulté, voire même en impossibilité juridique d’exister.
Propos recueillis par Radio Okapi