À la suite de la déclaration du ministre des Finances, Nicolas Kazadi, sur la surfacturation de 30 à 40 fois du prix normal des véhicules dont la CENI dit avoir besoin, il est important de rappeler à cette institution de ne pas saigner les ressources de l’Etat…
Les journalistes réunis au sein du Groupe Afrique-Investigations se sont intéressés sur ce qui semble se profiler comme une manœuvre de la CENI à penser imposer de nouveau des cartes d’électeur au pays entier alors que le Chef de l’Etat avait promis, lors de son discours du 6 décembre 2020, la délivrance de la carte d’identité aux Congolais. Cette carte d’identité devra être délivrée par l’ONIP sous la guidance, de par ses attributions, du ministère de l’Intérieur, Sécurité, et Décentralisation.
Depuis 1984, la République Démocratique du Congo n’a plus délivré la carte d’identité à ses habitants. Les Congolais sont en Afrique et, peut-être, au monde, la seule population à ne pas détenir la carte d’identité depuis plus 37 ans. À la veille des élections de 2006, la classe politique s’était accordée pour que la carte d’électeur délivrée par la Commission électorale nationale indépendante -CENI- tienne lieu de carte d’identité provisoire. Entre 2006 et 2018, le pays a connu trois cycles électoraux mais rien n’a été fait pour produire une carte d’identité définitive.
Pour le moment, l’unique document de valeur juridique d’identité est soit le permis de conduire soit le passeport. Et pourtant, la plupart des Congolais n’ont pas un véhicule pour chercher de se procurer un permis de conduire. Sans oublier qu’obtenir un passeport dans l’ex-Zaïre c’est un casse-tête chinois. Car, le passeport congolais passe pour l’un des plus chers au monde: il coûte aujourd’hui au minimum 95 dollars américains à l’officiel et 200 dollars officieusement. Onéreux, dans les deux cas, pour un pays dont l’habitant vit en moyenne d’un dollar par jour. Sans compter de longues démarches à mener pour l’obtention d’un passeport ordinaire dans le délai.
Le 3 février dernier, à la faveur de la présentation de la feuille de route de la Centrale électorale, Dénis Kadima a énuméré quelques contraintes susceptibles d’avoir des incidences sur le processus électoral, parmi lesquelles «la mutualisation des opérations d’identification de la population, de recensement de la population et de l’habitat qui devraient être couplées avec l’enrôlement des électeurs».
S’il a souligné l’importance de ce projet du gouvernement, le président de la CENI a entrepris, de l’avis des analystes, de prendre l’Exécutif de court en insistant sur le fait que cette mutualisation comporte un risque de retarder la tenue des scrutins prévus en décembre 2023.
«Le gouvernement a un très bon projet pour doter le pays d’une carte d’identité et pour pouvoir recenser la population de la RDC. Évidemment, c’est un processus qui implique beaucoup d’acteurs, plusieurs ministères, des agences spécialisées et la CENI elle-même. Alors, la multiplicité des acteurs de mécanisme de prise des décisions qui est relativement incertain ainsi que le fait que la CENI a comme mandat d’organiser les élections, il y a un gros risque de rater l’objectif ultime, si ce travail n’est pas fait avec une bonne coordination de différentes étapes», a déclaré le président de la centrale électorale.
Et d’ajouter: «Je réitère l’engagement de la CENI à assister les autorités dans cette démarche d’avoir un recensement bien fait de la population. Mais, nous notons d’autre part que si la méthodologie adoptée n’est pas revue, nous aurons de difficultés à atteindre notre objectif ultime qui est d’organiser les élections à temps».
Un jour plus tard, soit le 4 février, le Conseil des ministres a adopté un Projet de décret portant création d’une Carte d’Identité Nationale en République Démocratique du Congo. À en croire le gouvernement, ce document administratif sera numérisé à partir des données biométriques et c’est l’Office National de l’Identification de la Population -ONIP- qui sera chargé de la production et de la délivrance de cette carte d’identité «à tout Congolais vivant sur le territoire national ou à l’étranger». L’octroi de cette carte aura l’avantage, toujours selon le gouvernement, de certifier et fixer l’identité congolaise de son titulaire.
Lundi le 12 février, le Premier ministre Sama Lukonde a levé l’équivoque entre le recensement souhaité pour avoir un fichier d’identité national et permettre aux Congolais de disposer en fin de compte d’une carte d’identité, qui, a-t-il insisté, n’a rien à voir avec l’enrôlement des électeurs en vue de la tenue des scrutins.
Le Premier ministre a précisé qu’il s’agit là de deux opérations tout à fait distinctes, qui ne vont aucunement se chevaucher. Étant donné que depuis 1984 à ce jour, il n’y a jamais eu d’identification de la population. C’est donc une action que le gouvernement entend entreprendre sans pour autant retarder l’organisation des élections.
À l’analyse, le schéma du président de la CENI tend non seulement à prolonger le provisoire en cherchant à produire une nouvelle carte d’électeur, mais aussi à imposer un double décaissement des fonds tant l’Exécutif se verrait contraint de financer dans un premier temps la production de la carte d’électeur et, dans un second lieu, l’impression de la carte d’identité biométrique.
Certaines ONG montent déjà au créneau en accusant Dénis de Kadima de vouloir maintenir la CENI dans la violation de la Constitution, en continuant à aller au-delà de ses prérogatives. Elles rappellent que conformément à l’article 211 de la Constitution, «la Commission Electorale Nationale Indépendante est chargée de l’organisation du processus électoral, notamment de l’enrôlement des électeurs, de la tenue du fichier électoral, des opérations de vote, de dépouillement et de tout référendum. Elle assure la régularité du processus électoral et référendaire». La production de la carte d’identité n’est pas de la compétence de la CENI.
Indexé pour surfacturation !
D’autres ONG, visiblement plus informées, sont convaincues que Dénis Kadima veut perpétuer la carte d’électeur parce que derrière ce document se cache un juteux marché de près de 200 millions de dollars déjà négocié avec des partenaires dont l’identité est encore gardée secrète.
Voici que, pour la fabrication de la nouvelle carte d’identité, le gouvernement a déjà sous la main des partenaires solides prêts à lui accorder près de 400 millions de dollars remboursables sur 20 ans au taux fixe de 2% avec un délai de grâce de 5 ans!
La question désormais posée est celle de savoir pourquoi dépenser 200 millions de dollars pour une carte d’électeur provisoire plutôt que de produire une carte d’identité définitive et toute l’infrastructure pérenne avec en plus un prêt avantageux de plusieurs millions de dollars.
Devenons sérieux et responsables.
Nous allons suivre de très près ce dossier en veillant à ce que seuls, les intérêts de la RDC et de sa population prime avant toute chose.
Autre chose concernant Kadima: cette tendance à manipuler l’opinion en laissant entendre que le gouvernement n’a pas encore commencé à financer la CENI pour lui permettre de lancer les opérations électorales.
Le ministre des Finances, Nicolas Kazadi, a aligné des chiffres qui font mentir le successeur de Corneille Nangaa, également indexé pour surfacturation des prix des véhicules !
«Près de 37 millions de dollars déjà remis à la CENI», a dit Nicolas Kazadi relayé par Top Congo FM. «Le 2 décembre, nous avons payé 2,9 millions de dollars à la CENI des frais d’installation et de fonctionnement», a révélé l’argentier national.
«Au même moment, nous avons payé environ 10 millions de dollars pour apurer tous les salaires des employés». À en croire Kazadi, le gouvernement a aussi payé 4,5 millions de dollars en décembre 2021. Le dernier décaissement en date au profit de la CENI a eu lieu le 11 février 2022, soit 21,7 millions de dollars pour les opérations électorales.
AFRIQUE-INVESTIGATIONS
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