Depuis les affrontements le 14 mars 2017, en plein séjour à Kananga, du vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur, des notables locaux et députés provinciaux révoltés ont décidé d’éventrer le boa, faisant part de la création de plusieurs écuries des milices alignées derrière plusieurs personnalités politiques dont deux se sont récemment mesurées dans la ville
Depuis les affrontements le 14 mars 2017, en plein séjour de travail à Kananga au Kasaï Central, du vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur, Emmanuel Ramazani Shadary, des notables locaux et des députés provinciaux, qui en ont marre de voir la situation se détériorer, ont décidé de délier leurs langues. Ils ont, par exemple, révélé que les troubles enregistrés ce jour-là dans le chef-lieu du Kasaï Central sont l’œuvre des écuries des milices entretenues par des hommes politiques. Ils ont parlé de deux groupes rivaux, l’un appartenant à un ancien gouverneur de l’ex-Kasaï Occidental et l’autre à un député provincial, identifié comme l’un des émissaires du Conseil provincial de sécurité initialement chargés de prendre langue avec feu chef Kamuina Nsapu, devenu depuis un de ses alliés après un baptême au feu et à la potion magique «Tshizaba» en règle. Vraiment? Comment en est-on arrivé là? Flash-back sur la genèse du phénomène Kamuina Nsapu.
En effet, selon nos informations, suite à de fortes présomptions de détention d’armes de guerre et formation d’une milice, un mandat de perquisition est signé par l’auditeur supérieur militaire de Kananga pour une information judiciaire dans la cour du chef Kamuina Nsapu. Plus tard, on entend que les agents de l’ordre auraient touché aux attributs du pouvoir traditionnel du maitre des lieux, en séjour en Afrique du Sud.
Lui-même fait part d’une présumée tentative de viol d’une de ses femmes. A son retour d’Afrique du Sud, on apprend effectivement que Kamuina Nsapu a créé une milice et fait ériger des barrières au grand carrefour de Mbondo, secteur de Dibatayi, territoire de Tshimbulu, et sur toutes les voies menant vers Kananga.
L’aventure prend de l’ampleur quand, les jours suivants, ce chef coutumier envoie une expédition punitive au village Ntenda, à la frontière avec le Kasaï Oriental, où tout est rasé. Hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux sont tués et leurs cases incendiées. Entre-temps, les survivants trouvent refuge au village Mpatu au Kasaï Oriental.
Quand la milice de Kamuina Nsapu dicte sa loi
Le gouvernement de la République opte aussitôt pour la voie du dialogue. Cependant, au grand carrefour, secteur de Dibatayi, terre du Groupement Kamuina Nsapu, la milice dicte sa loi. Elle soumet à des fouilles tous les passagers et véhicules indistinctement. Elle pourchasse les hommes en uniforme. Peu à peu, le mouvement s’étend dans les contrées environnantes.
Les miliciens attaquent la gare de Mfuamba. Ils arrêtent le train et tuent tous les hommes en uniforme. Ils saccagent la Mairie, le bureau de la Police ainsi que la résidence du commandant local de la Police. Ils brulent des policiers vifs avant de détruire systématiquement tous les symboles de l’Etat. Trois jours après, ils prennent pour cible un autre train à Tshimbulu. Des éléments de la Police et des Forces armées sont exécutés.
Réuni à Kananga, le Conseil provincial de sécurité dépêche une première mission conduite par le président de la Commission d’arbitrage des conflits du pouvoir coutumier, un certain Katende, aujourd’hui décédé, accompagné de quelques chefs coutumiers dont les villages constituent la ceinture verte de la ville de Kananga. La délégation n’est pas la bienvenue chez Kamuina Nsapu, qui va jusqu’à menacer de tuer les délégués, obligés de revenir en catastrophe sur Kananga.
Convocation de tous les chefs des groupements du Kasaï Central
A en croire plusieurs sources, après l’échec de la mission, le Conseil provincial de sécurité convoque tous les chefs des groupements du Kasaï Central pour une réunion à Kananga. Ces derniers reçoivent mission de parler avec Kamuina Nsapu, de l’inviter à arrêter son aventure et se rendre immédiatement à Kananga en vue de discuter avec l’autorité. Sans succès.
La Province n’abandonne pas pour autant. Elle convoque, cette fois-ci, tous les chefs des groupements du secteur de Dibatayi dans le même but. En vain. Revenu à la charge, le Conseil provincial de sécurité appelle en consultation toute la communauté Bashila Kasanga vivant à Kananga. Résultat négatif.
Mgr l’archevêque de Kananga puis la MONUSCO sont appelés à la rescousse dans le même souci. Rien n’y fait.
Finalement, dans sa détermination de promouvoir la paix, le Conseil provincial de sécurité décide de l’envoi d’une délégation auprès de Kamuina Nsapu. À sa tête, le ministre provincial de l’Intérieur, Affaires coutumières et Sécurité. Font partie de la délégation, le député provincial Mbayi et Monsieur Kabumbu de la Famille Kamuina Nsapu résidant dans la commune de Nganza à Kananga. On rapporte que par trois fois, la mission a dû se frotter à la duplicité du chef traditionnel. «Chaque fois qu’elle revenait avec un accord de Kamuina Nsapu d’enlever les barrières, de revenir à des bons sentiments et d’aller discuter avec la Province, la situation s’empirait sur terrain», se rappelle-t-on.
Baptême des envoyés de la province membres de la deuxième mission
Pire, on a même l’impression que certains émissaires du Conseil provincial de sécurité ont rallié le mouvement Kamuina Nsapu, poussant celui-ci à s’entêter davantage et à marcher sur Kananga pour prendre le pouvoir.
Ces soupçons tendent à se confirmer quand la quatrième mission du Comité provincial de sécurité élargie au général de la Police et son collègue de l’Armée en poste au Kasaï Central envisage de faire le déplacement de Dibatayi. Les galonnés ne sont jamais partis. Et pour cause: des sources font savoir que le député provincial a continué à intoxiquer Kamuina Nsapu sous prétexte que le chef traditionnel devait préalablement recevoir le quitus de sa cour avant toute arrivée avec les chefs provinciaux de la Police et de l’Armée. La mission n’a jamais eu lieu.
Devenus des fidèles du chef insurgé, les envoyés de la Province membres de la deuxième mission reçoivent le baptême en traversant le feu, avalant vives les fourmis rouges «Mankenene» et ingurgitant la potion magique «Tshizaba», ce liquide jaunâtre qui aurait les vertus de rendre les miliciens invulnérables. Kamuina a réussi à retourner les missi dominici!
Longue démarche du Conseil provincial de sécurité dans la recherche de la paix
Toutes ces informations fournies par des notables locaux font confirmer qu’il y a donc eu une très longue démarche du Conseil provincial de sécurité pour ramener Kamuina Nsapu à la raison avant que le Pouvoir central prenne les choses en mains. Evoquant les raisons de sécurité et stabilité, le gouvernement de la République décide d’organiser la riposte, non sans avoir, lui aussi, actionné le mécanisme du dialogue direct avec le chef Kamuina Nsapu.
Le vice-premier ministre en charge de l’Intérieur et toute la Communauté de renseignement partent à Kananga. Parce qu’il s’agit d’une affaire qui touche à la sécurité, tous les gros bras de l’appareil sécuritaire sont sur place. Avec eux, quelques députés nationaux, le chef Godefroid Munongo, président de l’Association des chefs traditionnels, le chef Kapena, le chef Mwat Yav, le chef Ngueshi et Mfumu Bols. Tous entreprennent de négocier avec Kamuina Nsapu. Sans suite favorable.
Les éléments sonores de ces pourparlers au téléphone avec l’homme de Dibatayi existent, selon des sources concordantes. Kamuina Nsapu rejette tout avant, finalement, de proposer d’être sécurisé et escorté à Kananga par la MONUSCO. Mais les ultimes négociations capotent.
Circonstances du décès de Kamuina Nsapu, cas de légitime défense
Un mandat d’amener signé par l’auditeur supérieur militaire est minuté. Kamuina Nsapu, le criminel, doit être conduit de force à Kananga. Malheureusement, dans cette opération, tout le monde est surpris d’apprendre que le chef traditionnel a été tué. Dans quelles circonstances?
Après enquête, on se rend compte qu’il s’agit d’un cas de légitime défense. Armé, Kamuina Nsapu a descendu six policiers avant d’être tué par les forces de l’ordre s’estimant en danger. Dans un des enregistrements d’un des meetings populaires tenus par le chef Kamuina Nsapu, il dit avoir demandé sans succès aux autorités de province son Arrêté de reconnaissance en qualité de chef traditionnel après avoir fourni ce qu’il fallait.
Il dit encore avoir sollicité vainement une audience auprès du gouverneur de province. Il s’attaque également au Président de la République et au Pouvoir central, affirmant que l’argent de la RD-Congo sert à construire des pays étrangers bien identifiés. Il évoque le déficit d’infrastructures dans la Province et dans tout le pays.
Arrêté de reconnaissance d’un chef coutumier, compétence exclusive du gouvernement central
Des affirmations démontées par la réalité. S’agissant de l’Arrêté de reconnaissance revendiqué, l’administration indique qu’un gouverneur de province n’est pas compétent pour signer ce document officiel. La signature de l’Arrêté de reconnaissance d’un chef coutumier est du ressort exclusif du gouvernement central.
Elle intervient après un procès-verbal de la famille régnante, dûment transmis au chef de secteur pour enquêtes d’usage, puis à l’administrateur du territoire, qui transmet au gouverneur de province. Ce dernier a la latitude de tout vérifier par ses services. Après ce passage au peigne fin, le gouverneur envoie le PV au ministre des Affaires coutumières qui fait signer l’Arrêté par le ministre de l’Intérieur. «Ça parait lourd mais telle est la procédure», explique un fonctionnaire du ministère de la Décentralisation.
Le dossier Kamuina Nsapu a-t-il suivi ce cheminement légal? «Non», répond-on à l’Administration provinciale et à l’Administration centrale. «Il n’y a jamais eu un tel dossier. Ce qui est étonnant, le chef Kamuina Nsapu a exercé son pouvoir depuis six ans. Dès lors, il est permis de mettre en doute l’existence d’un PV de sa désignation», témoigne un chef de Division. «Aux plus sceptiques de fournir la moindre preuve», défie-t-il.
Naissance du mouvement politico-coutumier avec des visées politiques
En ce qui concerne l’audience prétendument sollicitée auprès du gouverneur, les services du protocole laissent entendre qu’aucune preuve de demande n’existe, contrairement à la rumeur. On donne d’autres éléments qui mettent les défenseurs du chef Kamuina Nsapu dans une très mauvaise posture.
Pour la gouverne, Kamuina Nsapu était frère à Madame l’ancien Secrétaire exécutif de l’ex-Kasaï Occidental, actuel ministre près le gouverneur. A défaut d’une demande d’audience formelle, il pouvait passer par sa sœur pour obtenir un rendez-vous sans protocole. Rien n’a été fait dans ce sens. Il devient donc curieux que les revendications administratives virent en des réclamations d’ordre politique avec la naissance du Mouvement politico-coutumier Kamuina Nsapu avec des visées politiques.
Problème d’infrastructures dans la province? «C’est un problème général. La province, réputée pauvre, n’a pas bénéficié régulièrement des fonds d’investissement ni de la rétrocession. Les lois de reddition des comptes dûment adoptées au Parlement à Kinshasa l’attestent», s’écrie un député provincial élu de Kananga, rappelant les calvaires subis sous Matata par les provinces du Grand Kasaï, de l’Équateur et de l’ex-Bandundu.
Implication totale des notables Bashila Kasanga et des chefs de groupements de Dibatayi
Quand certains vont jusqu’à proposer la suspension du gouverneur «pour avoir mal géré et manqué de maîtriser la province», cet élu, complété par le député national Zacharie Bababaswe, s’interpose encore en ces termes: «Qu’ils commencent d’abord par dire dans les détails ce qui a été mal géré. Pourquoi ils ne disent pas qu’après la mort de Kamuina Nsapu, la Province a réuni, avec l’appui et l’implication totale des notables locaux Bashila Kasanga, tous les 13 sur 15 chefs des groupements de Dibatayi à Kananga?».
Renseignements pris, ces faits s’avèrent vrais. À cette rencontre initiée par la Province, seuls manquaient feu Kamuina Nsapu et le chef Kabeya Lumbu, condamné par la justice militaire à Kananga pour détention des armes de guerre, incendie volontaire du village Tshimbawu et homicide, et emprisonné à Kinshasa pour ces infractions.
Même réaction dans l’ex-Luluabourg en ce qui concerne la phase des contacts suggérés avec la famille régnante. «Il ne s’agit pas d’étaler son ignorance des textes légaux en demandant au vice-gouverneur dont le sort est étroitement lié à celui du gouverneur d’envisager des rencontres avec la lignée Kamuina Nsapu», dit-on.
Excuses publiques du gouvernement, amende honorable de la milice Kamuina Nsapu
Si d’aucuns réclament des excuses publiques du gouvernement pour avoir profané un chef traditionnel, il s’en trouve un autre courant, plus raisonnable, qui préconise l’idée d’une réparation mutuelle. Arguments avancés: «Si le gouvernement doit demander pardon pour avoir violé le pouvoir traditionnel et profané le corps du chef Kamuina Nsapu, à son tour, les responsables de la milice Kamuina Nsapu doivent faire amende honorable pour avoir troublé l’ordre public, tué les populations innocentes et les forces de l’ordre, incendié des villages entiers et désacralisé les symboles de l’Etat».
Puis: «Exiger la réparation du gouvernement seul, c’est tendre à innocenter Kamuina Nsapu et les auteurs de toutes les exactions déplorées depuis le lancement de ce mouvement».
Par ailleurs, des sources à Kananga et à Kinshasa font de plus en plus état de la récupération politicienne du mouvement Kamuina Nsapu. Au cours de l’émission «Parole aux auditeurs» sur Radio Okapi, le vice-ministre de l’Intérieur Basile Olongo a récemment indiqué que la milice initiale de Kamuina Nsapu a été infiltrée à des proportions importantes par des écuries à la solde des chefs coutumiers rivaux et chaque faux chef coutumier a aujourd’hui sa milice privée. Puis par des groupes des bandits, kuluna et autres repris de justice. Il y a aussi ces milices créées pour des raisons évidentes par les politiciens, rapporte-t-on.
Non entretien d’une milice par la famille régnante
Ces différents groupes s’affrontent dans la ville et dans certains villages. «Par exemple, les affrontements mardi 14 mars 2017 pendant que le vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur, Ramazani Shadary, ont été le fait de 2 milices rivales, l’une à la solde d’un ancien gouverneur de l’ex-Kasaï Occidental et l’autre dirigée par un député provincial mieux connu à Kananga», font savoir des notables.
À Kananga, un milicien a avoué avoir reçu USD 4.000 des députés nationaux à Kinshasa pour acheter machettes, téléphones et crédits. Inutile donc de chercher faussement des boucs émissaires. Aujourd’hui, la famille régnante ne reconnaît pas une milice entretenue par elle et regrette que certains cadres véreux continuent à salir le nom du chef Kamuina Nsapu. Faute de faire parler le gouverneur Alex Kande, dont on aimerait entendre la version, ces précieux détails glanés des notables, députés provinciaux et autres témoins à travers la province font part de la vérité éludée dans l’Affaire Kamuina Nsapu.
AKM

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