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Magic Touch, résultat d’une volonté de fer

De la vente des cacahuètes dans les rue de Kiwandja à la direction d’une imprimerie réputée à Kinshasa, le destin de Seth Kambale, cet insatiable battant, patron de Magic Touch, a été forgé par sa tenace détermination à changer son étoile
Si dans les rues de Kinshasa d’aucuns estiment que l’imprimerie Magic Touch, qui s’est imposée dans la ville par la qualité de ses services, appartiendrait à des Indiens ou d’autres étrangers, il n’en est rien. C’est plutôt l’œuvre d’un jeune RD-congolais, Seth Kambale, 37 ans, dont les origines très modestes ont fait naitre en lui, dès son enfance, une singulière rage de changer son étoile. À entendre son histoire, on serait tenté de dire ça fait cliché. Cependant, à travers son témoignage fait au micro d’«AfricaNews», le patron de Magic Touch donne au dénuement un sens tout autre qu’on pourrait d’ailleurs envier. Le plus impressionnant est que, très jeune déjà, il a dû se prendre en mains et aider ses parents. Entre deux heures d’école, il a vendu des cacahuètes dans les ruelles de Kiwandja au Nord-Kivu, il s’est converti en conducteur de taxi-moto, Wewa, puis en vendeur des cassettes enregistrées,… jusqu’à monter une entreprise qui, au fil des années, grandit. En fait, sans qu’il ne le sache forcément, la dureté de la vie lui a offert une ferme détermination à aller plus loin et d’une sorte de panache, gages d’une belle réussite.
Assis derrière un bureau qui mêle bien sobriété et luxe, Seth Kambale accueille «AfricaNews» avec une bonne poignée de main qui met toute de suite à l’aise. L’homme parait déborder de joie de vivre qu’on croirait qu’il est né avec une cuillère en or entre les dents. Mais derrière ces lunettes à monture fine, il cache un passé douloureux. Dans sa vie, il en a vu des vertes et des pas mures. Né en 1979 à Kiwandja, territoire de Rutshuru, dans le Nord-Kivu, 3ème d’une famille de 7 enfants, Kambale est fils d’un évangéliste adventiste et d’une femme au foyer. «Je suis né d’une famille modeste. Quand je dis modeste, entendez très modeste. Au début c’était bien mais après quand on grandissait, je ne sais pas ce qu’il y a eu, il n’y avait juste que de quoi manger. Payer les études était un problème», raconte-t-il, le regard plongé dans le passé. Et de continuer: «je me souviens quand j’étais en 5ème primaire, je vendais des arachides et ça nous permettait de nouer les deux bouts du mois». A cette époque, qui aurait cru que ce petit débrouillard irait loin? Personne, sinon ses parents. Mais Kambale voyait loin: «J’avais moins de 10 ans quand je me disais que je dois changer mon histoire. Quand je voyais à l’école mes camarades venir en voiture, avec des habits neufs, des beaux baskets, je me disais: si moi, je n’ai pas cette vie-là, je dois quand même l’offrir à mes enfants». Rien n’était donc rose. «En 3ème, je suis tombé malade, j’ai arrêté les études pendant trois ans. Pendant ce temps, j’ai commencé à vendre dans des boutiques des gens à Goma. Quand je suis arrivé en cinquième, en 1997-1998, mon père a acheté une vieille moto, alors j’ai commencé à faire le Wewa. Je partais à l’école et quand je revenais je faisais le Wewa. Après j’ai ouvert une petite discothèque au marché juste avec une radio et une batterie. Je copiais des cassettes. C’était dur. Quand la moto était en panne, mon petit frère Amos m’aidait», témoigne-t-il. Puis: «j’allais au marché, je mettais le sac des cassettes au dos, la radio en main et la batterie sur mon épaule. C’était toujours comme ça. C’était de petites choses qui me permettaient de vivre».
D’USD 100 à Magic touch, le rêve prend corps!
Peu importe les difficultés, Kambale décroche son diplôme d’Etat à l’année scolaire 1999-2000. Dieu aidant, il obtient une bourse des Nations unies qui lui permet de poursuivre son cursus en Australie. Il y étudiera les Sciences informatiques et les Graphics design pendant deux ans avant de rentrer au pays, les rêves pleins la tête. «Je suis revenu au pays, je voulais faire quelque chose pour moi. Je n’avais pas d’agent. J’ai commencé un petit truc chez nous à Goma. Il n’y avait pas assez de mouvement», confie-t-il. Entretemps, Seth Kambale est parfois perçu par les gens qui les côtoient comme un fou, tellement ses rêves paraissaient surfaits. N’empêche. Il ne baissera pas les bras. Il va plutôt tenter sa chance dans un des pays de la RD-Congo. «J’ai commencé en décembre 2005. J’avais un peu d’agent. J’ai acheté une vieille machine Pentium 3 que j’ai toujours ici -dans mon bureau. Je rêvais d’un truc grand. Je faisais des petites choses, des cartes de visites,… Je n’avais pas de scanner, je n’avais pas Internet. Le tout dans un petit espace de quasiment 2 mètres carré. Ce n’était pas facile. Mais avec le temps, comme je faisais de la bonne qualité et j’avais un bon design, j’ai eu quand même du succès, les clients me recommandaient à leurs amis», narre Kambale.
En octobre 2006, il se rend pour la première fois à Dubaï. «Je suis arrivé à Dubaï avec USD 3700, à part le transport. Là, j’ai acheté des petites machines et une imprimante. L’objectif de ce voyage était plus de voir ce qui se faisait ailleurs. Et j’ai eu des contacts». Ce voyage lui ouvrira d’autres horizons: «à mon retour, je n’avais plus peur de prendre des grosses commandes parce que je connaissais qui peut me faire ça à Dubaï, qui peut me l’expédier…». Très vite, Kambale accumule les commandes. Au bout de trois ans, en 2009, cet homme qui avait moins d’USD 100 en mains pèse USD 100 000. Ce pactole en poche, Kambale voit le ciel s’éclaircir. «Là, j’ai attaqué fort parce qu’avec l’argent je pouvais acheter des machines. Et c’est parti comme ça. Je ne me souviens plus de ce qu’on a exactement fait pour en arriver là, mais je sais que j’avais une bonne équipe», souffle-t-il avec un sourire plutôt fier. Mais il n’y est pas encore. Pour lui, on n’arrive jamais. «L’excellence c’est une course qui n’a pas de ligne d’arriver», cite-t-il. Jusque-là, Magic Touch n’est encore qu’à l’état embryonnaire. Kambale n’employait que 7 à 8 personnes, une nette évolution par rapport à ses débuts où il était seul à bord. Mais il voulait plus: «J’avais une grande vision, je voyais ça comme une grande entreprise».
Mon rêve n’est pas d’avoir un montant X d’argent
En 2011, l’entreprise s’implante à Kinshasa. Dans cette sphère où les imprimeries ne sont pas à chercher, Kambale ne met pas longtemps à se tailler une réputation grâce à son savoir-faire, au rapport qualité-prix et à la célérité dans la réalisation des commandes. Cependant, comme toujours, il en veut plus. «Mon rêve n’est pas d’avoir un montant X d’argent, mais d’avoir une grande entreprise qui rende des très bons services en RD-Congo, Afrique centrale et ailleurs», professe-t-il. Puis: «selon nos prévisions, cela va arriver bientôt. On voit comment ça marche, nous avons fait des prospections dans certains pays. On va aller au-delà de l’imprimerie ce qu’on veut c’est grandir et pouvoir être dans plusieurs secteurs». A en croire le patron de Magic Touch, le secret de son succès réside dans l’amour qu’il a pour son travail. «C’est un boulot en même temps c’est un hobby. Ce qui me donne de l’énergie. Même si l’argent n’entre pas comme je veux, mais bon! Je fais ce que j’aime». Voilà qui justifie son panache.
Hugo Robert MABIALA

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