Le développement numérique de la ville de Kinshasa à l’horizon 2050 est au centre d’une exposition à l’Institut français de Kinshasa. A travers cette activité, les artistes, à travers divers médiums et techniques, donnent de la voix. Mais, en même temps, une question revient à l’esprit: les artistes qui projettent une ville au regard de la numérique anticipent-ils, chacun en ce qui le concerne, des scènes imaginaires?
On ne peut que s’étonner de la simplicité des éléments mis en œuvre par les artistes, qui sont inversement proportionnels au pouvoir hypnotique qui se dégage de leurs créations. Hilary Kuyangiko Balu, Michel Ekeba, Wilfried Luzele Vuvu, Iviart Izamba zi Kianda, Noah Matanga Buaki, Jean Jacques Tankwey, Joycenath Tshamala ont réfléchi sur comment sera la capitale RD-congolaise dans les deux prochaines décennies en tenant compte de l’évolution technologique. Des voix diverses s’élèvent. L’imaginaire artistique trouve réellement sa place. Ce qui explique cette liberté de la pensée constatée dans l’expo. «Fauteuil ya Kin», une sculpture métal, d’Iviart Izamba et «KK2050», le canapé connecté multifonctionnel de Jean Jacques Tankwey, sont deux œuvres qui nous plongent pratiquement dans un même contexte: Si le canapé d’aujourd’hui est muet, sourd, aveugle, immobile, non tactile, en 2050, dans l’univers idéel de Tankwey, il sera multifonctionnel.
C’est un canapé intelligent où l’on est connecté au monde sans avoir à se déplacer. L’on pourra bien passer des coups de fil, photographier, faire des vidéos, écouter la musique,… rien qu’à l’aide de ce meuble. Avec cette projection dans le futur, Tankwey reste confiant que Kinshasa sera Digital City, une ville intelligente et connectée. Pourtant, Iviart rajoute dans sa sculpture forte d’un design futuriste d’autres objets décoratifs caractérisant Kinshasa, une ville cosmopolite, branchée à l’évolution de la technologie, mais aussi vivante. CD collés au fauteuil, bouteilles en perche,… Iviart, ce designer à la fois sculpteur, tente de présenter Kinshasa sous une autre facette, pas celle de la musique et de la bière collée très souvent à ses habitants. Ce qui pourrait susciter débat. Mais qu’à cela ne tienne, aux yeux d’Iviart Izamba, sa ville connaitra des belles inventions en 2050.
La rencontre de grands esprits
Un même matériau peut être utilisé pour des messages divers. Tenez. Joycenath Tshamala, avec une installation de 3m X 1m, toujours avec des CD, cette fois-ci, des films de science-fiction, présentés en morceaux et rassemblés, nous donne à observer une réalité fictive, ce qui est le titre même de l’œuvre. Dans cette œuvre, Tshamala révèle l’influence que subissent les êtres humains quant à l’évolution technologique. Un support paraissant presque banal, que l’auteur dote d’une signification, en donnant corps et presque vie à des personnages incarnant une lueur d’espoir. Ce regard sur science-fiction évoquée revient encore dans la démarche de Hilary Balu, qui porte son intérêt à la mythologie africaine à travers «Cyber_Nkisi ou Nganganaut».
Ici, la spiritualité africaine, représentée en statuette traditionnelle, se confronte à la technologie contemporaine. Un mélange de la culture Kongo et du numérique. Les grands esprits se rencontrent. Comme Balu, Michel Ekeba -Kongo Astronauts- avec son installation «Le Nkisi post-humain» constituée des plaquettes des postes de télévision et de radio. Juste au fond de la salle d’expo de l’Institut français, une installation multimédia accompagnée d’une musique signée Wilfried Luzele. Cette autre fiction mariée à la poésie fait rêver. L’artiste nous fait vivre, selon lui, dans des immeubles en matériaux inoxydables.
La ville est devenue formidable! Au-delà de la lignée artistique, les photographies digitales de Noah Matanga en juxtaposée aux architectures imaginaires, accueillent bien, dès l’entrée, les visiteurs. Matanga réfléchit sur une ville de Kinshasa moderne. L’on se croirait être dans une ville «Samsung», en Corée du sud, ou dans un autre coin plus moderne. En ciblant un endroit précis -l’avenue 24 novembre- logeant plusieurs zones résidentielles et commerciales, Noah manifeste l’envie de voir cette partie de Kin subir un meilleur aménagement sur les plans urbain et environnemental. Dans son rôle d’artiste, il va encore plus loin.
Noah Matanga évoque, via l’installation des bouteilles en plastique à moitié pleine d’eau, la pollution qui pourrait constituer un obstacle pour une ville de Kinshasa digitale en 2050. Il attire l’attention sur les conséquences d’une mauvaise gestion des déchets. Sans environnement sain, pas de Kinshasa en mode Digital City. Il se dégage de cette exposition que Goethe-Institut et l’Institut français de Kinshasa tentent d’amener les artistes et, à travers leurs œuvres, les visiteurs à réfléchir notamment sur la crise environnementale. Une belle initiative.
Patrick NZAZI
Critique d’art
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