Le 27 octobre, la nuit est tombée sur le boulevard du 30 juin, à Gombe centre-ville. Dans l’immeuble beige aux vitres clairs avec reflets bleutés teintés, Nicolas Kazadi Kadima tarde à quitter son bureau. Le ministre des Finances attend la sortie du nouveau Country Economic Memorandum -MEC-, consacré à la RD-Congo. Il s’agit d’un document de grande importance, et qu’attendent tous les décideurs à travers le monde. Et pour cause: il analyse la situation économique actuelle des pays du monde, mais aussi leurs évolutions économiques au cours des décennies passées, avec un focus sur les sources et obstacles à la croissance, afin de proposer des scénarios de croissance à long-terme.
Le mémorandum formule des recommandations de politiques publiques au gouvernement afin d’orienter l’économie vers le scénario optimiste d’une croissance plus efficiente, résiliente et inclusive. Lorsque, en fin de soirée, le document, en version anglaise, est finalement publié sur le site de la Banque mondiale, M. Kazadi se précipite pour en télécharger une copie dont il dévore goulument les premières pages. Avant de s’arrêter net, pris par une sévère douche froide qui le fait suer jusqu’en dessous des pieds. Il y a de quoi. A la fin du mandat de Félix Tshisekedi et à la veille des élections, le mémo de la BM est acide, du pain béni pour les opposants.
Intitulé «Voies d’accès à la diversification économique et l’intégration commerciale régionale. Favoriser la diversification économique et l’intégration régionale pour une croissance plus rapide et l’emploi», c’est un sévère réquisitoire contre la gouvernance RD-congolaise. «La croissance en RD-Congo ne se traduira pas par une amélioration des conditions de vie», «malgré sa richesse en ressources naturelles et humaines, la RD-Congo a du mal à atteindre son plein potentiel économique, en partie à cause de niveaux élevés et persistants de vulnérabilité et fragilité», «l’environnement des affaires est entravé par un secteur financier superficiel caractérisé par des conditions très difficiles d’accès au financement, en particulier pour les MPME», «déficiences du système fiscal, très complexe, fragmenté et peu adapté à l’environnement de l’entreprise», «faiblesses de l’administration fiscale», «fiscalité, directe et indirecte, -qui- reste largement inefficace en termes de mobilisation des recettes et comprend des exonérations fiscales très généreuses», peut-on lire, entre autres, dans le document réalisé par deux seniors économistes de la Banque mondiale, la Professeur Sandra El Saghir, et le Dr Jean-Christophe Maur.
Pas à la hauteur du plein potentiel
A la base de cette situation, l’institution de Breton Wood égrène une liste de tares qui «ont conduit à des progrès limités dans la construction du capital humain et physique, ce qui a entraîné une sous-performance économique et des niveaux élevés de pauvreté»: mauvaise gouvernance, faiblesse des institutions budgétaires, mauvaise gestion des ressources naturelles et violence prolongée dans la partie orientale du pays. Les oreilles du ministre ont dû siffler à la lecture du MEC sur la RD-Congo. Selon le mémo, des réformes économiques ambitieuses sont essentielles afin de placer le pays sur une voie de croissance diversifiée propice au statut de pays à revenu intermédiaire.
Pour autant, le mémorandum rappelle qu’après des décennies de conflit, l’économie de la RD-Congo a connu une croissance impressionnante associée à un retour significatif à la stabilité macroéconomique. «Avec une croissance moyenne de 5,7% sur la période 2011-2021, la RD-Congo possède une économie classée parmi les économies d’Afrique subsaharienne -ASS- à la croissance la plus rapide», indique le mémo. Cependant, poursuit-il, «malgré ce renouveau, la RD-Congo affiche un rythme de rattrapage plus lent et a fait peu de progrès pour ramener son PIB par habitant à son niveau de 1960». Mais aussi: «les niveaux de croissance de la RD-Congo n’ont pas été à la hauteur du plein potentiel d’amélioration des conditions de vie. Les deux dernières décennies de performance économique ne se sont pas traduites par des améliorations dans la vie de la plupart des gens, et la pauvreté reste répandue pour plus de 61,9% de la population en 2022».
Le mémo déplore le fait que, malgré le potentiel économique considérable de la RD-Congo, notamment sa richesse en ressources naturelles et ressources humaines, l’économie du pays reste concentrée dans quelques secteurs, dont les mines et l’exportation de minéraux bruts. «Une plus grande diversification des partenaires commerciaux et des produits, notamment la chaîne de valeur du secteur minier, est nécessaire pour renforcer la résilience et maintenir des taux de croissance élevés, créer des emplois, et accélérer la réduction de la pauvreté», ajoute le mémo.
Effondrement des réserves minières
Petite bonne note: le mémo soutient que sur la base des tendances actuelles, les perspectives sont favorables à moyen et long terme en raison d’un secteur non minier plus fort. Cependant, il se fait fort de souligner immédiatement que ces perspectives ne se traduiront pas par une amélioration du PIB par habitant sans réformes économiques d’ampleur.
«La croissance en RD-Congo devrait atteindre près de 6% dans la seconde moitié des années 2020 avant de ralentir à son niveau potentiel de 4% d’ici 2035 et se stabiliser autour de 4,4% jusqu’en 2050. Cependant, en raison d’une évolution rapide de la croissance démographique, le PIB réel par habitant devrait augmenter en moyenne de 3% au second semestre dans les années 2020, mais diminuera à 1 à 2% à long terme», lit-on dans le mémorandum. À court terme, la croissance est principalement tirée par le secteur minier.
À moyen et long termes, le secteur non minier présente de meilleurs fondamentaux -des partenaires techniques et financiers en croissance, capital humain et population en âge de travailler-, tandis que le secteur minier souffre de l’épuisement des réserves et de la carence de gains de productivité. Le mémorandum économique pays prédit l’effondrement des réserves minières du pays à l’horizon 2050, où la part du secteur minier dans le PIB devrait passer de 32% actuels à 13%. «Les principaux obstacles à la croissance par habitant sont la croissance démographique et l’épuisement des réserves de cuivre. Sans réformes économiques, le revenu par habitant en RD-Congo devrait croître lentement, de moins de 2 pour cent en moyenne, avec un RNB inférieur à 1 000 USD d’ici 2050», écrivent les deux seniors économistes de la BM.
Evolution très positive
Le mémorandum insiste sur les réformes nécessaires que le gouvernement RD-congolais devra entreprendre. «L’économie de la RD-Congo aura besoin de réformes plus ambitieuses pour atteindre son objectif de statut de pays à revenu intermédiaire inférieur/supérieur d’ici 2035/2050. Les perspectives économiques de la RD-Congo s’améliorent et le pays dispose d’une fenêtre d’opportunité pour mettre en œuvre des réformes qui soutiendront des niveaux de croissance accrus et permettront à de nouveaux moteurs de croissance à émerger», indique le mémo. Qui poursuit que les simulations de modélisation montrent que grâce à un programme de réformes ambitieux, la RD-Congo pourrait atteindre une tendance de croissance potentielle à la hausse d’ici 2050.
«En combinant différents facteurs, il y a un potentiel de croissance considérable grâce aux réformes économiques. De plus, des réformes modérées et ambitieuses peuvent stimuler la croissance du PIB par habitant à 2 à 4% d’ici 2035 et à 3 à 6% d’ici 2050», peut-on lire dans le mémorandum. Qui tempère immédiatement ses prévisions: «cependant, toutes les réformes et les scénarios ne permettront pas d’atteindre l’objectif des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure -PRIM- d’ici 2050». Eventuelle consolation: «des réformes ambitieuses peuvent presque doubler le revenu par habitant pour le porter à plus de 1 600 USD d’ici 2050 par rapport au scénario de référence».
Avant d’asséner un coup frontal contre la gouvernance RD-congolaise: «la diversification économique en RD-Congo est entravée par un environnement des affaires et des réglementations clés, et des contraintes budgétaires qui ne sont pas propices à une croissance tirée par le secteur privé». Enfin, le mémo soutient que l’intégration commerciale régionale et la diversification commerciale peuvent promouvoir le développement des chaînes de valeur et contribuer à créer des emplois, ouvrant ainsi la voie à une croissance plus forte et à l’amélioration du bien-être.
Il s’agit, en particulier de l’adhésion de la RD-Congo à la Zone de libre-échange continentale africaine -ZLECAf- et à la Communauté d’Afrique de l’Est -EAC- constitue une évolution très positive et devrait créer les conditions d’une intégration plus poussée avec les économies régionales tout en réduisant les coûts du commerce. «Les simulations de réforme de la politique commerciale suggèrent que l’ampleur des gains liés à l’adhésion à l’EAC pourrait être très important pour la RD-Congo -8% de richesse supplémentaire- si des politiques ambitieuses de libéralisation des échanges sont mises en œuvre».
Mulopwe wa ku DEMBA
Avec finance-cd.com