La crise, volontairement créée par Modeste Bahati Lukwebo -il a mis 18 ans pour découvrir les méthodes staliniennes pratiquées dans sa famille politique- suscite des réactions en tous sens, les unes proportionnelles, les autres disproportionnelles. A les analyser méticuleusement, elles sont révélatrices d’un bras de fer mal engagé résultant d’un plan d’«autodétermination» mal conçu. L’autre dirait d’un même coup de tête. En effet, censé connaître les conditions laborieuses pour et dans lesquelles la coalition FCC-CACH a été négociée pour la sauvegarde du principe de continuité de l’Etat relevant de la compétence exclusive du Président de la République selon les prescrits de l’article 69 de la Constitution, MBL devait s’inscrire dans le schéma de consolidation des premiers pas de l’alternance politique. La première, depuis 1960, à émaner d’un processus électoral voulu libre et démocratique…
Les dernières sorties politiques, diplomatiques et médiatiques de Modeste Bahati Lukwebo incitent à se demander ce que veut en réalité cet acteur politique. Si elles portent réellement sur sa détermination à animer l’institution sénatoriale, elles n’ont rien d’anormal. En surface, elles traduisent l’ambition légitime de briguer le poste de président du Sénat. Et là, aucune loi, aucune morale ne lui prive ce droit. Ce qui est alors valable pour lui l’est aussi pour Alexis Thambwe Mwamba ou pour un autre candidat. Qu’au final, on en arrive à la crise faute de consensus au sein du FCC ne peut surprendre personne. Le Congo a la réputation de voir se défaire en catastrophe à midi les alliances contractées avec pompe le matin. Mais, en profondeur, les mêmes sorties inquiètent, à analyser sérieusement les conséquences dès lors que certaines langues commencent à évoquer la possibilité de revisiter la mise en œuvre de la coalition FCC-CACH voulue au lendemain des élections du 30 décembre 2018.
Une fronde aux dimensions d’une tumeur cancéreuse
En raison de la cohabitation imposée par les urnes avec, d’un côté, un Président de la République issu de l’Opposition sortante et, de l’autre, une Assemblée nationale disposant d’une Majorité issue quant à elle du Pouvoir sortant, les deux familles politiques gagnantes ont convenu d’une coalition devant organiser et faciliter une gouvernance institutionnelle de façon concertée. C’est dans cet ordre d’idées qu’il a été procédé le 20 mai 2019 à la désignation du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba, membre du FCC, homme de consensus et d’écoute ayant une expérience avérée dans la gestion de la chose publique. Professeur d’université de son état, plusieurs fois ministre et maintes fois mandataire public auprès des entreprises du Portefeuille, il est perçu au pays et à l’étranger comme la personnalité idéale dans le contexte particulier de la coalition. Or, la fronde du sénateur Modeste Bahati Lukwebo a tout d’une tumeur cancéreuse quoique perçue comme du pain béni par ceux qui, pour une raison ou une autre, n’ont jamais voulu de cette coalition. La question est, bien entendu, de savoir si les turbulences qui secouent aujourd’hui l’espace politique sont susceptibles de modifier les équilibres voulus par les deux parties. La réponse est à la fois Oui et Non. Oui, si on veut voir le sentiment l’emporter sur la raison. Une victoire en feu de paille. Non, car la raison finit toujours par prendre sa revanche et l’emporter sur toutes autres considérations. Il est connu de tout le monde que la radiation de MBL est la conséquence normale de toute bravade dans toute organisation qui se respecte. Ailleurs, elle est assimilable à l’auto-exclusion.
Perte de la majorité des parlementaires par effet boomerang
Dans la Charte du FCC, bien que l’article 3 dise de chaque membre qu’il «garde son identité et son autonomie dans le respect de la présente charte, de ses textes d’application et des décisions des organes du Front», il n’en martèle pas moins dans sa disposition suivante que «les membres se donnent la garantie de solidarité et de bonne foi avant, pendant et après les élections. Ils restent soumis à la discipline du groupe et respectueux de leurs devoirs en tant que membres». Les observateurs avisés retiennent, dans ce contexte, la tendance de MLB à brandir l’identité et l’autonomie de son regroupement mais la propension à garder silence, s’agissant de la discipline du groupe et le respect des devoirs en tant que membres de la plateforme. Aujourd’hui, par effet boomerang, il est en train de perdre la majorité de ses parlementaires déterminés à demeurer fidèles aux engagements pris. Ce qui annihile ses chances d’accéder au perchoir de la Chambre haute. Faisant de leur côté peu cas de cet effet pourtant réel, certains acteurs politiques et de la Société civile se servent des départs enregistrés dans les rangs de l’AFDC-A pour remettre en cause la majorité FCC telle qu’elle était avant la fronde. Ils préconisent l’identification d’une nouvelle majorité au sein de l’Assemblée nationale dans l’espoir de la nomination d’un autre Premier ministre. Allusion est faite aux trois premiers alinéas de l’article 78 selon lesquels «Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement. Si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition. La mission d’information est de trente jours renouvelable une seule fois».
Trois raisons majeures qui énervent l’illusion stratégique de MBL
Disons-le d’emblée: il s’agit manifestement d’une illusion stratégique difficile à réaliser à l’heure actuelle, et cela pour trois raisons. Première raison: le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba n’a pas de gouvernement. Le Chef de l’Etat sait qu’il n’est pas en mesure d’ordonner sa démission sans violer la Constitution car cet acte est lié à la présence d’une équipe gouvernementale. Deuxième raison: à ce moment précis, le FCC garde sa majorité même si MBL venait, par miracle, à retirer ses 40 députés nationaux. C’est un coup d’épée dans l’eau. Troisième raison: l’autorité morale du FCC, en la personne de Joseph Kabila, sera amenée à consulter les sociétaires pour la désignation d’un autre Premier ministre. Elle est en droit de renouveler sa confiance en Sylvestre Ilunga Ilunkamba à qui, du reste, le Président Félix Tshisekedi ne peut rien reprocher au stade actuel. Ou plutôt, si! Le seul «grief à sa charge» est son silence. Il est vrai que pour la première fois dans l’histoire du Congo indépendant, il est le premier des chefs du gouvernement à gérer une alternance politique qui commence en plus par une cohabitation transformée en coalition par les forces en présence. Il est vrai qu’à la différence de Lumumba en 1960, il attend des négociateurs la désignation des membres de l’équipe qu’il doit animer. Mais, on aimerait bien le voir tantôt au Palais de la Nation ou à la Cité de l’Union africaine, tantôt au Palais du peuple, tantôt à «GLM» ou à Kingakati pour suivre l’évolution du dossier constituant sa préoccupation essentielle.
Une stratégie susceptible d’inquiéter Félix Tshisekedi et les siens
C’est à ce niveau que se comprend la citation d’Aristote «La nature a horreur du vide». Car, Modeste Bahati Lukwebo, planté dans la quadrature du cercle, veut en tirer profit par la première brèche à sa portée. Il sait que:
– en maintenant contre vents et marées sa candidature au poste de président du Sénat, il inquiète Félix Tshisekedi et les siens.
– en s’autoproclamant 3ème force politique de la Majorité, il a conscience d’en devenir plutôt la 2ème au regard de son poids politique comparé à celui de CACH. Cela ne peut pas ne pas inquiéter également Félix Tshisekedi et les siens.
– en réclamant coûte que coûte du Premier ministre l’intégration de sa nouvelle famille politique dans la composition du gouvernement, il se livre à un forcing qui doit inquiéter davantage Félix Tshisekedi et les siens dans la mesure où il sera procédé nécessairement à la révision du quota! Quand on sait qu’à défaut d’être Président de la République -il se voulait candidat présidentiable pour le compte d’abord de la MP puis du FCC-, ne pouvant être président de l’Assemblée nationale -il a échoué aux législatives-, et dès l’instant où il a peu de chances d’être président du Sénat, tout ce qui reste comme poste de rechute est la… primature. Cette primature à laquelle il a de tout temps rêvé depuis qu’il s’est rapproché de Joseph Kabila. Il ne peut que trouver son compte dans tout schéma de nomination d’un informateur, voie ouvrant à des nouvelles négociations qui prendront, elles, le temps qu’elles prendront.
Les illusions qui préparent les désordres
Toutes les issues menant vers la satisfaction de ses ambitions dévorantes étant obstruées, il baigne dans les illusions qui préparent les désordres. Son égocentrisme le dispose à créer le disfonctionnement et la paralysie des institutions avec possibilité du dédoublement de l’ordre institutionnel. C’est ici que la mémoire historique devrait rappeler à l’opinion les conséquences de toutes les cohabitations politiques connues dans ce pays. La première entre Kasa-Vubu et Lumumba en 1960 avec pour résultat la neutralisation du Premier ministre en septembre 1960. La deuxième entre Kasa-Vubu et Moïse Tshombe avec pour résultat le coup d’Etat de novembre 1965. La troisième entre Mobutu et Tshisekedi de septembre 1992 à avril 1997 avec pour résultat l’insurrection de l’AFDL. Ces leçons de l’histoire politique RD-congolaise devraient éclairer les actuels politiques. A commencer par Modeste Bahati Lukwebo, l’homme par qui la coalition FCC-CACH pourrait faire écrouler l’édifice laborieusement bâti après les élections de la première alternance politique en 60 ans d’Indépendance.SN