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Jean-Claude Bulabula: «la personne en situation du handicap a pris conscience de son état et considère que la mendicité n’est pas une source de vie confortable»

Initiateur de l’ONG Echos secours s’occupant des personnes en situation du handicap, Jean-Claude Bulabula est marié et père de 3 enfants. Il détient une triple licence. D’abord en Statistiques à l’Institut supérieur de statistique -ISS, puis en Informatique à l’Institut supérieur en informatique, analyses et programmation -ISIPA- et, enfin, une licence spéciale en Economie mathématique à l’Université pédagogique nationale -UPN- et un DEA en Economie à l’UPN. Dans une interview accordée à «AfricaNews», il dénonce la discrimination et plaide pour l’inclusion. «Dans notre pays, il y a de gens rétrogrades ayant de maladies intellectuelles plus graves que le handicap physique», fait-il constater. Entretien.

Pourquoi avez-vous décroché autant de diplômes de licence au lieu de vous focaliser sur un domaine précis et obtenir votre doctorat?

C’est par les circonstances de la vie que j’ai fait toutes ces licences. Quand j’ai terminé mes études comme licencié en Statistique, analyse et politique économique à l’ISS, j’ai été recruté comme enseignant à l’ISIPA. Quelques années après, j’ai été nommé appariteur comptable, obligé de rester à l’institut jusqu’à 20 heures puisqu’il faut superviser l’ensemble des activités. Pendant ce temps, au lieu d’aller fréquenter des bars, j’ai décidé d’apprendre l’informatique. C’est comme ça que j’ai obtenu mon deuxième diplôme de licence en Informatique. Voulant parfaire mes études en économie étant donné que j’ai fait l’analyse et politique économique, je ne devais pas entamer l’économie pure sans une licence spéciale me permettant de compléter mon cursus par rapport au domaine principale de formation.

Où est-ce que vous travaillez actuellement avec tout ce que vous drainez comme bagage intellectuel?

Je suis chef des travaux à l’Institut supérieur de commerce de Kikwit -ISC/Kikwit et chef de bureau chargé de développement des applications informatiques au ministère des Travaux publics.

Comment conciliez-vous ces deux métiers notamment à l’ISC/Kikwit et au ministère des Travaux publics?

Tout dépend de l’organisation. Pendant mon congé annuel, j’ai presqu’un mois pour aller dispenser mes enseignements à Kikwit, puis je reviens m’occuper de la Fonction publique.

Votre parcours professionnel renseigne que vous étiez également au cabinet du gouverneur de province. Dites-nous comment vous y étiez arrivé.

A l’époque, j’étais membre du PPRD. C’est à ce titre que le parti m’a demandé d’aller accompagner le gouverneur Jean Kamisendu dans la province du Bandundu où j’ai été nommé Conseiller chargé de l’administration. A la fin de notre mandat, nous sommes revenus à Kinshasa.

Qu’est-ce que vous pensez personnellement de la situation de la personne en situation du handicap dont vous faites partie en RD-Congo?

Pour parler de la situation de la personne en situation du handicap en RD-Congo, notre pays, il faut prendre en compte plusieurs aspects. Somme toute, la personne en situation du handicap a pris conscience de son état et considère que la mendicité n’est pas une source de vie confortable. C’est pourquoi de plus en plus à travers nos écoles, nos centres de formation, nous trouvons qu’il y a un grand nombre de ces personnes qui s’adonnent à la formation professionnelle pour que demain ou après-demain qu’elles puissent s’insérer dans la vie sociale. Mais du point de vue de la législation, il y a beaucoup de choses qui clochent. Prenons le cas de la construction des infrastructures, immeubles, maisons, bureaux, on ne tient pas de la personne en situation du handicap. Vous n’allez pas trouver de dispositifs appropriés permettant à cette catégorie de personnes éprouvant des difficultés à accéder facilement à ces immeubles ou bureaux officiels. Dans le domaine de l’emploi, il y a, permettez-moi de le dire ainsi, des personnes qui ont de plus graves handicaps que les personnesen situation du handicap proprement parlé. Ils n’ont pas le handicap physique, mais intellectuel, mental et spirituel. Ils demandent par exemple le certificat d’aptitude physique comme sila personne en situation du handicap qui va à l’université pour apprendre la mathématique a vraiment besoin de ses jambes pour faire la mathématique ou pour apprendre l’informatique. Il y a vraiment ce genre des pratiques rétrogrades que nous dénonçons. Qu’ils nous nous disent à quoi va servir ce certificat d’aptitude physique? Il y a de gens rétrogrades ayant de maladies intellectuelles plus graves que le handicap physique. Nous devons revoir notre législation et pour y arriver, il faut qu’il y ait des gens qui comprennent les conditions de vie de la personne en situation du handicap pour parler d’eux.

Qu’avez-vous remarqué?

Après avoir lutté pendant beaucoup d’années pour que les choses changent, lorsqu’il y a une opportunité, celui qui va désigner la personne en situation du handicap va prendre son frère ou sa sœur et ce dernier va récupérer ses collègues et ses cousins qui ne connaissent rien de la situation de la personne en situation du handicap pour qu’ils puissent parler ou conseiller en sa faveur. De temps en autres, on retrouve des conseillers de ceux qui s’occupent de la personne en situation du handicap en train de chercher à vendre les autorisations des ONG ou en train de négocier la distribution des vivres. Il n’y a que ça et on ne voit le plan d’insertion de la personne en situation du handicap au plan social et professionnel. Il n’y a pas non plus de programme. Comment voulez-vous qu’avec tous les ministères et structures que regorge la RD-Congo qu’on puisse retrouver un nombre important des personnes en situation du handicap dans tous les ronds-points, autres carrefours de la ville de Kinshasa. A côté du Palais du peuple où siègent les législateurs, il y a un groupe très important de malvoyants tous les jours à leur risque et péril. Quelle solution le gouvernement a-t-il déjà prise en leur faveur? Aucun plan n’a été élaboré pour que dans deux ou trois ans qu’il n’y ait plus un nombre si important de personnes en situation du handicap sur les artères de la ville.

Le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi a un regard fixé sur cette catégorie de nos compatriotes au point de créer au sein du gouvernement un ministère en leur faveur. A votre niveau, comment êtes-vous organisés et comment le ministère de la personne en situation du handicap en RD-Congo coordonne-t-il ses actions avec les concernés?

Je ne sais pas exactement donner un point de vue très honnête sur ce que ce ministère fait. Je me dis au fait qu’on reconnait un bon arbre à ses fruits. Y-a-t-il un changement depuis qu’il y a une structure spécialisée qui s’occupe de personnes en situation du handicap en RD-Congo? La question reste posée. A mon avis, tout en faisant le plaidoyer, nous devons aussi travailler avec des gens qui ont l’ancrage sur le terrain afin que les choses puissent changer. Il faudrait organiser des séminaires et avoir des structures de prise en charge et d’accompagnement pour que, par exemple, sur le boulevard du 30 juin, le nombre de personnes en situation du handicap soit réduit sensiblement, y compris au Palais du peuple, croisement du boulevard Triomphal et l’avenue de la Démocratie -ex-Huileries. Puisque leur nombre est toujours croissant, pourrions-nous dire dans ce cas qu’il y a un changement? Pas du tout. Nous ne demandons pas un changement à l’immédiat, mais nous voulons qu’il y ait un plan qui nous permette de travailler dès aujourd’hui pour que dans les 2, 3 ou 4 ans, nous sentions que la situation est en train de s’améliorer. Il y a le Fonds national de promotion des services sociaux et tant d’autres structures qui doivent accompagner les personnes vulnérables et lutter pour qu’il n’y ait pas d’enfants dans les mines. Il y a le financement de la Banque africaine de développement -BAD- qui a été obtenu en RD-Congo. A quoi ce financement a-t-il servi? Peut-être à acheter des jeeps, à payer les frais de missions aux amis et membres de famille. Nous devons avoir des structures qui travaillent et pour le présent et pour l’avenir. Nous ne devons pas rester dans les bureaux climatisés alors que sur le terrain rien ne se fait. Devons-nous avoir un ministère qui attend seulement à la fin de l’année pour faire sortir l’argent au Trésor public pour distribuer quelques boites de sardine et brique de savons aux amis du quartier et aux personnes en situation du handicap habitant le parage pour qu’on ait la retro-commission? Est-ce que donner du pain et du poisson aux gens est-il vraiment une façon de travailler pour aller de l’avant? Je propose qu’on puisse créer des coopératives et des associations fortes qui travaillent pour l’insertion des personnes en situation de handicap. 

Propos recueillis par Octave MUKENDI

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