Professeur de droit et avocat, Kodjo Ndukuma a donné de la voix et son avis après la polémique née du refus du Premier ministre Sylvestre Ilunga d’endosser les ordonnances du Président de la République portant nominations dans l’Armée et la Magistrature. Reçu sur le plateau de la télé privée B-One, le prof a essentiellement parlé droit.
Le régime politique congolais rend irresponsable politiquement le Chef de l’Etat devant le Parlement. Est-ce la cause fondamentale du contreseing?
Le contreseing est fondé sur l’article 79 de la Constitution. Cela signifie que le Président de la République signe ou statue par ordonnances et ces dernières sont contresignées par le Premier ministre. Mais il y a des matières qui relèvent du pouvoir propre et autonome du Président de la République. Comme, par exemple, l’ordonnance d’investiture des gouverneurs consacrée par l’article 80 de la Constitution, l’ordonnance portant nomination du Premier ministre consacrée par l’article 78, la déclaration de la guerre par l’article 143. Ces matières précédemment énumérées n’appellent pas le contreseing. Mais toutes les autres matières, notamment les nominations des magistrats consacrées par l’article 82 de la Constitution ou toutes les nominations qui concernent les hauts fonctionnaires de l’Etat, consacrées par l’article 81, sont susceptibles de contreseing du Premier ministre.
Et pour revenir à votre question, le contreseing c’est la signature apposée par une autorité autre que l’auteur de l’acte pour trois fonctions, notamment: celle d’authentifier l’ordonnance, celle d’assurer la collaboration entre le Gouvernement et la Présidence de la République et enfin celle d’endosser la responsabilité politique de l’acte du Président de la République qui n’est pas responsable devant le Parlement. La question de l’intérim est évoquée dans l’article 16 de l’ordonnance d’organisation et de fonctionnement du Gouvernement. Mais quand vous lisez cet article, vous avez deux cas de figure. Premièrement, il y a le cas de l’intérim que le Premier ministre laisse au vice-Premier ministre en cas d’empêchement.
Deuxièmement, il y a le cas du mandat spécial que le Premier ministre peut donner à un vice-Premier ministre dans le cadre de ses compétences. Après la lecture de cette ordonnance d’organisation et de fonctionnement du Gouvernement, on a l’impression qu’en cas d’intérim, la délégation d’autorité est ouverte, sauf si le Premier ministre la limite. Et c’est qui ressort finalement du communiqué sorti par le Premier ministre après les différentes nominations et contreseing, disant qu’il avait restreint la délégation d’autorité. L’article 16 de l’ordonnance portant organisation et fonctionnement du Gouvernement dit: «à moins qu’il n’assume l’intérim du Premier ministre en cas d’empêchement ou qu’il ne soit spécialement mandaté par lui, le vice-Premier ministre exerce en temps normal les seules attributions qui sont de son ressort».
Etant donné que le Premier ministre n’était pas sur place et que son intérim était assuré, nous ne sommes pas dans un temps normal. Mais, nous sommes dans le droit politique qui accorde une attention particulière aux règles non écrites appelées conventions de la Constitution. Ça veut dire qu’au-delà de ce qui est écrit, il y a une immémorialité pour savoir que lorsqu’on est intérimaire, même si vous avez un champ de délégation qui peut être limité ou pas, quels sont les actes que l’on peut poser ou non. Ça, c’est en terme de l’autorégulation de la personne qui assure l’intérim et également au niveau de l’autorité de la fonction du Premier ministre. Mais pour le Président de la République, il agit dans son pouvoir de statuer par ordonnance et s’adresse à un gouvernement pour enfin obtenir un contreseing qui semble présenter une certaine légalité formelle.
Concernant l’autorégulation, l’intérimaire n’aurait pas pu respecter le circuit? C’est-à-dire que la correspondance passe par le cabinet du PM pour la signature et repartir par le circuit normal?
L’alinéa 2 de l’article 16 de l’ordonnance portant organisation et fonctionnement du Gouvernement dit que «les directives ou les instructions que le vice-Premier ministre entend donner aux ministres en cas d’intérim font l’objet d’une communication préalable au Premier ministre. Mais est-ce que nous sommes dans un cas où c’est le Premier ministre intérimaire qui doit donner les instructions aux ministres et doit se référer préalablement au Premier ministre ou, plutôt, dans un cas où le Président de la République a déjà signé les ordonnances et les transmets au Premier ministre intérimaire? Dans ce cas de verticalité ascendante plutôt que de verticalité descendante, est-ce qu’on est tenu d’informer préalablement le Premier ministre? Lorsque la règle est transgressée sans qu’elle ne soit floue, c’est en ce moment qu’on fait appel à une procédure disciplinaire.
Il est important que la pièce maitresse de la lettre de délégation d’autorité apparaisse pour que l’on sache si l’intérimaire a outrepassé le pouvoir qui lui a été délégué ou qu’il a agi dans le cadre d’une légalité formelle, en présentant toutes les apparences d’un plénipotentiaire vis-à-vis d’une Présidence de la République qui a souhaité avoir le contreseing. Deuxième chose qui demeure en tout état des choses, ce sont les articles 146 et 147 de la Constitution. Le Président de la République étant irresponsable politiquement devant le Parlement, le Premier ministre ou le ministre qui contresigne un acte, une ordonnance du Président de la République engage sa responsabilité. En ce moment, l’Assemblée nationale pourra, par une question orale ou une interpellation, poser la question.
Le fait de la cohabitation et de la coalition ajoute l’aspect politique du contreseing. C’est-à-dire que dans ce pays, nous avons une dissociation des faits majoritaires. Le suffrage a donné le Président de la République, mais le vote des députés a donné la majorité à un autre camp. Dans la cohabitation, le Président de la République a le pouvoir d’empêcher mais pas celui de faire aller. Si la majorité veut faire passer une loi et que le Président n’est pas d’accord, il s’abstient de le promulguer. C’est une chose vécue en France.
Il s’est aussi abstenu pour le cas Malonda…
Oui. C’est ça la capacité d’empêcher dans le cadre d’une cohabitation ou d’une coalition qui peut tanguer entre les deux. Mais lorsque le Président de la République, dans une majorité qu’il ne contrôle pas, obtient la possibilité d’un ordonnancement vertical et monolithique, il s’agit plus d’un présidentialisme parce qu’il ordonne et il se fait obéir directement. Alors que dans le cas d’une coalition, l’ordonnance aurait été signée et il y aurait eu une association de décisions avec le Premier ministre qui émane d’une majorité parlementaire qui n’est pas forcément acquise. Ce qui s’est passé dans ce cas est qu’on a atteint les règles du parlementarisme classique qui veut une collaboration, un équilibre des pouvoirs et un respect des champs du possible politique détenu par la majorité présidentielle qui est sa propre majorité issue du suffrage universel et par la majorité parlementaire.
Retranscrit par Brice NLANDU