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Elections 2023 : et si Mukwege se lançait?

Certains en doutent encore, tant que le concerné ne s’est pas personnellement prononcé. Mais ces derniers jours, les médias ont entrepris d’annoncer Denis Mukwege dans les starting-blocks pour briguer la présidentielle de 2023. Le Prix Nobel n’a rien déclaré à ce sujet, se contentant, de recevoir, début juin dans ses installations de l’hôpital de Panzi au Sud-Kivu, d’où il a bâti sa renommée internationale, le couple royal belge dont la visite a été perçue par lui comme un signal fort dans le domaine de la lutte contre la violence et l’impunité en RD-Congo.

Puis de prendre, mi-juin, position contre le déploiement dans l’Est du pays d’une force régionale composée par des Etats «à la base de la déstabilisation, d’atrocités et du pillage de nos ressources», estimant qu’elle «n’apportera ni la stabilité ni la paix et risque d’aggraver la situation», affirmant que la réforme des FARDC, de la PNC et de l’ANR s’impose! Le réparateur des femmes va-t-il finalement prendre la course après avoir été cité plusieurs fois en vain en 2016 puis 2018? Suspense! En attendant, retour sur un article pertinent mis en ligne par le confrère «Afrikarabia.com».

Denis Mukwege: et si c’était lui en 2023?

A moins de 18 mois des élections en République démocratique du Congo, et dans un contexte politique et sécuritaire très tendu, l’idée d’une possible candidature de Denis Mukwege refait surface. Un collectif d’intellectuels vient d’interpeller le prix Nobel de la Paix pour qu’il soit l’ultime recours de la prochaine présidentielle.

«L’homme qui répare les femmes», «docteur miracle»… les surnoms ne manquent pour celui qui est sans doute le Congolais le plus connu et le plus respecté de la planète. Prix Sakharov en 2014 et prix Nobel de la Paix en 2018, le gynécologue Denis Mukwege, a passé sa vie au service des femmes victimes des violences sexuelles en République démocratique du Congo. Dans un récent sondage de popularité sur les personnalités politiques et de la Société civile, «le docteur», comme l’appellent de nombreux Congolais, caracolait en tête de l’étude d’opinion. C’est également une des personnalités qui fait l’unanimité auprès des politiques congolais, tous bords confondus.

Avec son nouveau statut de Nobel de la Paix en 2018, Denis Mukwege s’est très vite engagé sur la scène politique congolaise. Le médecin s’est opposé au potentiel troisième mandat du président Joseph Kabila, que la Constitution lui interdisait, et s’est mobilisé pour des élections libres transparentes et crédibles, avant de plaider pour une transition sans Kabila pendant la crise pré-électorale.

Dès 2018, de nombreux Congolais souhaitaient voir le célèbre gynécologue se porter candidat à la présidentielle. Mais le médecin a rapidement mis fin au suspens, estimant que «le contexte politique actuel du pays ne permettait pas de tenir des élections libres, crédibles et apaisées».

Populaire et intègre

Mukwege en politique, de nombreux Congolais y pensent. Il faut dire que le médecin coche en effet toutes les cases du candidat idéal: issu de la société civile, intègre, multi-récompensé pour son action en faveur des droits de l’homme, reconnu internationalement, et sans compromission avec les différents pouvoirs… Denis Mukwege se positionne aujourd’hui en recours possible alors que la situation politique, économique et sécuritaire se dégrade en République démocratique du Congo. Et l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, venu de l’Opposition, n’a pas réussi à améliorer la vie des Congolais et à faire oublier le régime de Joseph Kabila.

A l’occasion du 62ème anniversaire de l’indépendance du Congo, un collectif d’intellectuels a lancé un appel au docteur Denis Mukwege pour qu’il se porte candidat à la prochaine présidentielle de 2023 – voir le texte. Car, après 3 ans de pouvoir de Félix Tshisekedi, la déception est grande pour les signataires du texte.

Le collectif dénonce «le degré de décrépitude de notre pays a dépassé tout ce que nous pouvions imaginer. Au plan politique, nous avons la désagréable impression que les dirigeants ne sont là que pour piller le pays pour leur propre compte et celui de leurs familles. Au plan sécuritaire, la République démocratique du Congo est une véritable passoire dans laquelle n’importe quel individu, n’importe quel groupe armé ou mafieux, n’importe quel Etat téméraire peut pénétrer et y opérer à sa guise soit pour exploiter nos richesses du sous-sol».

Marigot politique

Selon les signataires de l’appel, le Congo a besoin «d’une personne d’envergure internationale, à la carrure d’un Chef d’Etat, à la probité morale reconnue, résolue, ayant une vision de grandeur et de dignité pour notre pays et aimant passionnément les Congolais. Aujourd’hui, il est incontestablement établi que vous êtes l’homme qu’il nous faut à la fonction de président de la République démocratique du Congo» explique le collectif.

La question est maintenant de savoir si Denis Mukwege en a envie et s’il est prêt à se lancer dans le marigot politique congolais et à prendre des coups? Interrogé par «Afrikarabia», l’un des initiateurs de l’appel, le politologue Alphonse Maindo, estime que le prix Nobel «a pris conscience de sa responsabilité, quant aux coups, il est maintenant habitué d’en recevoir». Depuis plusieurs années, Denis Mukwege est devenu le porte-voix de la mobilisation pour déterrer le «Rapport Mapping», ce document qui recense les crimes commis au Congo entre 1993 et 2003, et qui dort dans un placard des Nations unies depuis plus de 10 ans.

Dans ce rapport, les acteurs congolais, mais aussi étrangers, dont le Rwanda ou l’Ouganda, y sont dénoncés. En mai 2021, le président rwandais, Paul Kagame avait fustigé les prises de positions du prix Nobel, estimant que Denis Mukwege était manipulé et un était «un outil de forces que l’on ne voit pas». Le docteur avait déjà encaissé sans broncher.

Réunir les conditions d’élections transparentes

Aujourd’hui encore, face aux attaques des rebelles du M23, que Kinshasa accuse d’être soutenus par Kigali, le médecin a continué de pointer du doigt le Rwanda «dont le soutien au M23 est connu de tous depuis des décennies». Denis Mukwege semble avoir «pris la mesure de ce qu’on attend de lui» poursuit le professeur Alphonse Maindo. «Il se pose juste la question de savoir, comment y aller et avec qui? Pour cela, Denis Mukwege doit dépasser son appréhension du monde politique et travailler avec la jeune génération qui ne cherche pas le pouvoir pour le pouvoir».

Les signataires de l’appel à la candidature du Nobel veulent également travailler avec l’ensemble des Congolais et de la société civile pour que les conditions de la candidature de Denis Mukwege soient rendues possibles. «Il faut que ces élections soient organisées dans les délais, soient transparentes et soient surveillées par des observateurs citoyens pour en assurer la crédibilité».

Mais pour Alphonse Maindo, il sera difficile d’assurer une transparence totale du scrutin. «Denis Mukwege s’en est rendu compte et il faut maintenant se battre pour créer soi-même ces conditions qui ne seront jamais données. C’est pour cela que nous attendons le leadership du docteur Mukwege pour que les élections soient enfin crédibles au Congo».

«Il voit les Congolais souffrir, il ne peut pas refuser»

Très populaire auprès des Congolais, Denis Mukwege l’a également été chez la plupart des politiques, excepté peut-être Joseph Kabila. Mais avec une possible candidature à la présidentielle de 2023, le statut du prix Nobel risque de passer de partenaire et faire-valoir… à concurrent. Le docteur a été très largement courtisé par les politiques, qui cherchaient une caution morale dans le soutien du célèbre médecin. Denis Mukwege s’est vu proposer plusieurs postes, comme celui de président de la Commission électorale -CENI- ou de Premier ministre.

«Des propositions dont le but était de l’empêcher de se présenter à la magistrature suprême et d’éliminer un concurrent politique» estime Alphonse Maindo. «D’ailleurs, quel pouvoir aurait-il eu à la CENI? Il a bien fait de refuser» note le politologue.

L’appel des intellectuels à Denis Mukwege n’a pas encore reçu de réponse du principal intéressé. Souvent, lorsqu’on lui posait la question d’une possible candidature, le médecin estimait qu’il était plus utile dans son hôpital de Panzi, à soigner ses patients, que dans les salons dorés du pouvoir. Mais il est vrai que la situation au Congo ne s’est pas améliorée depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi. Les bruits de bottes et les flots de déplacés qui fuient la guerre à l’Est rappellent de bien mauvais souvenirs au docteur. Un contexte qui pourrait faire changer d’avis le médecin? «Il voit les Congolais souffrir, il ne peut pas refuser», veut croire Alphonse Maindo.

Christophe Rigaud/Afrikarabia

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