La Communauté internationale n’a pas la mémoire courte. Elle sait que, par le passé, le débat clivant sur la nationalité avait déjà causé d’énormes dégâts en Côte d’Ivoire. Alors que ce fléau re-germe dangereusement en République démocratique du Congo, elle entreprend de dissuader ses initiateurs…
L’Ivoirité, un concept glissé dans la révision du Code électoral en décembre 1994, réintroduit en août 1995 sous Henri Konan Bédié, Président de la République issu du Sud, et reconduit dans la Constitution du 23 juillet 2000 sous l’ère Robert Guéï, précisant via son article 35 que «le Candidat à l’élection présidentielle… doit être Ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine», supposée conçue pour écarter de la présidentielle du 22 octobre 2000 un rival, Alassane Ouattara, musulman originaire du Nord du pays soupçonné de ne pas avoir une ascendance ivoirienne, avait débouché sur la guerre civile et des massacres de la population pendant plusieurs années en Côte d’Ivoire. Bilan: des milliers de morts et de blessés.
En République Démocratique du Congo, le débat sur la Congolité a refait surface depuis quelques mois. Malgré les appels au rejet d’un tel projet par des pans entiers de la population, soupçonnant, comme en Côte d’Ivoire, une démarche visant à éliminer de la prochaine présidentielle un concurrent de taille, Moïse Katumbi, Congolais de mère, son concepteur, Noël Tshiani, un des candidats malheureux à la présidentielle de 2018, est passé jeudi 8 juillet par le député national Nsingi Pululu pour le déposer au Bureau de l’Assemblée nationale et, éventuellement, obtenir une Loi verrouillant l’accès aux fonctions de souveraineté aux personnes jugées ne pas être Congolais de père et de mère.
«Ma proposition a été déposée au Bureau de l’Assemblée nationale. Elle vise à verrouiller l’accès à la fonction de président de la République qui doit être réservée exclusivement aux Congolais nés de père et de mère congolais», a déclaré Tshiani à la presse.
Plusieurs autres fonctions -Premier ministre, ministres régaliens, présidents des Assemblées, chef de l’armée et de la Police…- ne devraient être réservées qu’aux Congolais nés de père et de mère d’origine congolais.
Polémique
Nsingi Pululu, ancien employé à la SNEL, promoteur d’une école privée à Selembao, non loin du Sanatorium de Makala, voté par des compatriotes, tous, peut-être, pas nés de père et de mère congolais, patron d’une chaîne de télé, pas toujours exclusivement suivie par des Congolais enfants de père et de mère congolais, paraît avoir choisi son camp, le camp de la discrimination, de la division, de l’exclusion. Sûr qu’il soit prêt à assumer et s’assumer pour l’Histoire, pour avoir pris la décision d’agir contre les traditions Né Kongo, qui ont toujours prôné l’unité dans la diversité, conformément à l’expression “Mika mia Mbua”, s’inspirant de ces poils du chien, toujours aussi solidaires, créés pour vivre ensemble, prêts à se dresser au même moment, les courts comme les longs, peu importe la couleur de chacun, pour défendre, protéger le corps commun dont ils dépendent tous. Nsingi est-il conscient de trahir le combat de Simon Kimbangu, Joseph Kasa-Vubu ou Nzeza Landu? L’élu de la Funa pourrait-il, un jour, tenir un débat sur la nationalité avec Laura Vanquallie, descendante du premier Président de la République démocratique du Congo, père de l’indépendance, candidate à l’élection Miss Luxembourg 2020? De Jéhonville à Bertrix, Laura, jeune étudiante en Droit une année avant cette élection, se targuait dans les médias luxembourgeois d’avoir comme aïeul un homme qui aura marqué l’histoire de la République démocratique du Congo: Joseph Kasa-Vubu. Fière de cet héritage familial, Laura accepterait-elle que d’autres compatriotes de son ancêtre soient, en plein 21ème siècle, objets de discrimination à cause de leur peau, des origines de leurs parents qu’ils n’ont jamais choisis pendant qu’eux ont préféré servir le pays où ils sont nés, d’où l’un de leurs géniteurs est originaire? Pour avoir longtemps évolué et travaillé aux États-Unis, Noël Tshiani peut-il dire à Nsingi Pululu que le Kényan Barack Hussein Obama, né en 1936 à Kanyadhiang’ Karachuonyo, une colonie britannique du Kenya, économiste travaillant pour le ministère des Finances kényan, est le père du 44ème Président des États-Unis, Barack Obama Junior, pas né d’un père américain d’origine? Tshiani et Nsingi ou leurs soutiens et fanatiques invisibles connaissent-ils le parcours de Manuel Valls, cet homme qui a occupé les fonctions de Premier ministre et postulé au poste régalien de Président de la République en France avant de se porter candidat à la Mairie de Barcelone en Espagne, où il a vu le jour en août 1962? Savent-ils ce que représente Barcelone aux yeux des indépendantistes basques pour laisser leur ville symbole entre les mains d’un ancien Premier ministre français? Que vaut cette prétendue souveraineté sans des réalisations concrètes en faveur de la population? Dans l’ex-Katanga, à Kisangani dans l’ex-Province Orientale, nul n’ignore quels acteurs, quels gouverneurs ont pu poser des actes palpables entre 2007 et 2015 pendant qu’au cours de la même période les autres provinces dirigées par des concitoyens issus des parents d’origine congolaise ont sombré dans l’inaction.
Voici que la proposition de Loi Tshiani a provoqué la polémique. Le camp Katumbi a énergiquement réagi, accusant le Président Tshisekedi et son parti de chercher à «exclure des potentiels candidats à la présidentielle en instrumentalisant la loi sur la nationalité», faisant savoir qu’il s’agit de la ligne rouge à ne pas franchir.
Mise en garde de la Monusco et des USA
Le Monde regarde la République démocratique du Congo. Devant le Conseil de sécurité le 7 juillet 2021, Madame Bintou Keita, la représentante du Secrétaire général de l’ONU et responsable de la MONUSCO, a adressé au pouvoir de Kinshasa une sévère mise en garde contre ce débat suranné et périlleux. Elle a souligné «la nécessité d’organiser les élections inclusives et apaisées en prenant garde aux conséquences potentiellement dangereuses d’un débat clivant sur la nationalité».
Bintou a plaidé auparavant pour la stabilité de la coalition au pouvoir, l’Union sacrée, insistant sur la tenue des élections dans les délais constitutionnels, recommandant qu’un consensus soit trouvé sur la nomination des animateurs de la CENI et la réforme de la Loi électorale. «J’encourage les responsables des institutions, les formations politiques et les responsables de la Société civile concernés à travailler ensemble pour rassurer le pays sur l’organisation crédible et indépendante du processus électoral de 2023», a martelé la Cheffe de la MONUSCO.
Sur Twitter, l’ambassadeur américain en poste à Kinshasa, a fait savoir que «les Etats-Unis sont tout à fait d’accord»… avec l’ultimatum lu devant le Conseil de sécurité.
Ces deux réactions sont à prendre au sérieux par le pouvoir en place à Kinshasa. Les analystes qui y ont accordé leur attention sont d’avis que le Président Félix Tshisekedi, dont l’élection et la vision ont été saluées par la Communauté internationale, doit se garder de se tirer une balle dans le pied en agissant contre les recommandations faites à son gouvernement via le Conseil de sécurité.
En 2016, l’Union européenne et les Etats-Unis avaient sanctionné une dizaine de proches collaborateurs de l’ancien Président Joseph Kabila pour avoir, selon eux, posé des actes de nature à «affaiblir les processus démocratiques». Suivant la même logique, la planification et l’adoption éventuelle de la proposition de Noël Tshiani, susceptibles de provoquer des violences à travers le pays, risquent d’être considérées, par la Communauté internationale, comme une atteinte à l’état de droit et un acte tendant à freiner le processus démocratique. Pour l’heure, la sortie de Bintou Keita et le renfort lui prêté par Mike Hammer constituent non seulement des appels à la raison en direction de l’Union sacrée mais aussi un signal clair à ceux qui seraient tentés de vicier le processus démocratique pour des intérêts égoïstes.
Natine K.