
Maîtrise du secteur, assainissement de la profession, performances dans la mobilisation des recettes et contribution substantielle au budget de l’État, création d’emplois directs et indirects, règlement régulier des sinistres, constate Toussaint Mika, ancien Administrateur Directeur technique à la SONAS et consultant en assurances
Une réforme réussie. Avis d’expert. Toussaint Mika, ancien Administrateur Directeur Technique de la SONAS et consultant en assurances, analyse l’ARCA, six ans après la libéralisation du secteur des assurances en RD-Congo. Ci-dessous, sa tribune.
ARCA: 6 ans après la libéralisation du secteur des assurances, le Régulateur tient le bon bout. Maîtrise du secteur, assainissement de la profession, performances dans la mobilisation des recettes et contribution substantielle au budget de l’État, création d’emplois directs et indirects, règlement régulier des sinistres.
Le Code congolais des assurances (Loi n°15/005) a 6 ans depuis sa promulgation le 17 mars 2015. Son avènement coïncide avec la mise en activité de l’Autorité de régulation et de contrôle des assurances en République démocratique du Congo, ARCA en sigle. (L’entrée en vigueur de la loi c’était en 2016. L’ARCA a été créée en en février 2016 avec une mise effective en activité en 2017. Parler de 6 ans est un mauvais calcul… !!)
- Dans le préambule de la loi précitée, il est apparu une nécessité pour le législateur de «moderniser et de libéraliser certaines activités des secteurs économique et financier du pays», dont les assurances pour accroître les moyens de l’État en permettant, par ailleurs aux opérateurs intéressés, d’évoluer dans un régime de concurrence.
- Après des décennies de monopole au profit exclusif de la Sonas, société d’État, la volonté des pouvoirs publics de procéder au changement des paradigmes dans la gestion d’un secteur aussi porteur, témoigne de l’objectif pour l’Etat de tirer le maximum des profits générés par l’exploitation des assurances afin de servir de levier majeur de financement de l’action du pays.
- Aussi dans le souci d’éviter au pays les travers vécus sous le régime du libéralisme sauvage connu avant l’instauration du monopole, le législateur a tenu à rassembler les textes disparates et épars en matière d’assurance et, tenant compte du droit comparé et des spécificités du marché sur fond des objectifs étatiques, structurer le secteur en y plaçant un garde-fou de taille: le régulateur. La présence du gendarme du secteur, dont la mission est légalement double, à savoir «réguler» (sur base des dispositions du Code des assurances particulièrement et des textes et règlements y relatif en général, mais aussi et surtout «contrôler» l’activité d’assurance, de co assurance et de réassurance sur toute l’étendue de la République démocratique du Congo.
- Établissement public à caractère technique placé sous la tutelle directe du ministère ayant dans ses attributions la gestion des finances (article 396 du Code des Assurances), ARCA se voit investie de trois (3) missions principales au terme de l’article 395 du Code des assurances; à savoir:
4.1. Veiller à la protection des droits des assurés et des bénéficiaires des contrats d’assurance:
- L’analyse des activités menée par le régulateur après l’ouverture effective du secteur des assurances à la concurrence laisse transparaître un chapelet d’activités entreprises tant à Kinshasa qu’en provinces, auprès des opérateurs du secteur des assurances et des professions apparentées, ainsi qu’à l’étranger, auprès des partenaires pour implémenter la nouvelle vision du libéralisme des assurances. La campagne d’information et de vulgarisation des dispositions du Code des assurances a porté ses fruits: dorénavant, aucune opération d’assurance ne se réalise au pays sans l’agrément formel de ARCA. Le Régulateur a pris le contrôle effectif du secteur. Pour le bien de la communauté des assurés.
- Dans le même ordre d’idées, le suivi opéré par le Régulateur dans la gestion des contrats d’assurance par les opérateurs a pour objectif de garantir de manière optimale les intérêts des assurés et des tiers. En effet, il ressort des procédures mises en place dans la gestion des clauses de la police d’assurance, une exigence de la conformité du contrat aux dispositions pertinentes du Code des assurances. Garanties par le Régulateur qui, le cas échéant, diligente des missions de contrôle technique dans les entreprises d’assurance. Cette approche méthodologique a l’avantage manifeste de rétablir le cas échéant l’assuré dans ses droits si jamais il était lésé par l’attitude incorrecte ou supposée telle de l’assureur. A terme, pareille approche constitue une garantie supplémentaire de protection des droits de l’assuré. Il ne saurait en être autrement.
3.4.2. Veiller à la solidité de
l’assise financière des entreprises d’assurance et de réassurance ainsi qu’à
leur capacité à honorer leurs engagements.
Cette disposition du Code des assurances, appliquée de manière rigoureuse par ARCA, appelle les commentaires suivants:
- La lecture des dispositions combinées des articles 400 (agrément des sociétés d’assurance), 405 (critères de l’octroi ou du refus de l’agrément), 406 (conditions d’agrément pour les entreprises de droit congolais) et 407 (Qualité et expérience professionnelle) est éloquente. En effet, au terme de ces articles, l’absence dans le chef des sociétés d’assurance de solidité financière ne saurait être tolérée, moins encore acceptée. ARCA en a fait un point d’honneur. Pourquoi?
La raison est très simple. Une entreprise d’assurance dépourvue des moyens de fonctionnement ne saurait figurer sur la liste des opérateurs admis à exercer sous agrément ARCA. Cela ne peut qu’aller de soi. Au demeurant comment peut-on assurer les risques sans garantie de contrepartie pour l’assuré en cas de sinistre? L’exercice devient périlleux et l’opérateur s’expose au retrait de son agrément. Sur ce point, le Régulateur veille.
- S’il est généralement admis que la condition financière est le préalable majeur voire incontournable de l’octroi de l’agrément par ARCA en amont, la suite, en aval, est une évidence. Simple lecture des choses. Par ailleurs il est tout aussi important de relever que le paysage actuel du secteur des assurances en République démocratique du Congo révèle l’existence de 27 nouveaux opérateurs (7 sociétés d’assurance, 2 sociétés d’assurance vie, 16 intermédiaires et 2 sociétés de réassurance). L’opérateur public, la Sonas, exerce normalement ses activités en dépit de la concurrence à laquelle elle est confrontée.
- Ce dynamisme du marché traduit les résultats tangibles suivants:
- Un apport direct en termes des recettes collectées au profit du secteur public de $ 21.000.000 de TVA) pour les exercices 2019 et 2020, ce dernier marqué par ailleurs par le ralentissement de l’activité du fait de la pandémie à virus Corona;
- La mobilisation des capitaux par les opérateurs d’assurance pour leur exploitation à hauteur de plus de $100.000.000 injectés dans l’économie du pays;
- L’émission de plus de $200.000.000 de prime d’assurance. Ces chiffres, vérifiables, sont la résultante de la politique gestion engagée par ARCA au titre de la rentabilité et de la solidité financière des entreprises d’assurances. Des efforts sont entrepris pour aller encore plus loin dans les perspectives au regard d’immenses potentialités que représente le secteur dont le taux de pénétration d’assurance, avant ARCA, était en deçà de 10% depuis des décennies;
- La protection des assurés
- ARCA a reçu mission, et elle l’assume pleinement au terme notamment de l’article 386 point 2, de contrôler les entreprises d’assurance et de réassurance ainsi que les professions liées au secteur des assurances et suivre leurs activités. Le contrôle dont il s’agit est total et porte essentiellement sur les droits prioritaires des assurés en cas de règlement de sinistres. Or il est unanimement admis que le volume global de paiement des sinistres a connu une nette progression et qu’en cas de défaut de l’assureur, l’assuré a recours à d’autres voies pour se faire indemniser.
- Bien plus, au nom de la libre concurrence qui est installée et qui fonctionne à plein régime, voire de manière quasi mécanique sous le label de ARCA, l’opérateur qui n’honore pas ses engagements vis-à-vis de ses assurés perd tout crédit et s’expose à un faisceau d’actions tant sur le plan administratif, judiciaire que financier. Cette protection maximale de l’assuré, voulue et instituée par le Code, et appliquée de manière rigoureuse par ARCA, constitue par essence un bouclier naturel du droit absolu de l’assuré ou de son ayant droit à bénéficier de la prestation de l’assureur dans les limites du contrat d’assurance conclu entre les parties.
- La lutte contre l’évasion des primes d’assurance
- Le combat déclenché par le Régulateur dans le domaine de la lutte contre l’évasion des primes d’assurance dans les secteurs minier et pétrolier singulièrement, deux activités à gros capitaux restent sans nul doute un des fleurons de la réussite de la politique de gestion de ARCA.
- En effet, sur pied de l’article 286 du Code des assurances, le Régulateur s’est engagé avec l’appui total du Gouvernement dont le dossier a figuré en bonne place dans l’ordre du jour de deux réunions du Conseil des ministres sous la présidence du Chef de l’État, à mettre sur pied un dispositif permanent de lutte contre l’assurance directe des risques à l’étranger et auprès des entreprises non agréées. Sur le plan technique, l’apport des entreprises opérant dans les secteurs précités et dont les produits connaissent un boom d’exploitation depuis quelques années, est non négligeable. L’idéal pour le Régulateur serait d’installer des bureaux de liaison dans les zones d’exploitation pour garantir la pleine application des dispositions légales en la matière avec le soutien exigé par les pouvoirs publics des services de l’État impliqués dans la répression des pratiques d’assurances non conformes par les opérateurs concernés.
- Il n’empêche, dans un élan de mobilisation et de maximisation des recettes du trésor public, les objectifs majeurs poursuivis par ARCA dans la maîtrise du flux financier généré par les entreprises opérant dans le secteur des assurances est indéniable. Des automatismes sont créés pour assurer au pays le plein contrôle des masses des primes d’assurance.
- La fiabilité des entreprises d’assurances
- L’observation et la simple analyse du processus d’agrément des opérateurs d’assurance suffisent à rassurer les professionnels, le public et bien entendu les assurés, de la rigueur mise en place pour ce faire. En effet, la rigidité des dispositions financières mises en place par le code des assurances quant à la capacité des assureurs à exercer leurs activités dans le marché congolais se passe de tout commentaire. A y regarder de près, le secteur a développé déjà la banque assurance avec certains de ses opérateurs. L’attractivité du secteur voulue par les pouvoirs publics en instituant la concurrence et balisée par le Régulateur produit des résultats espérés.
- En effet, de nombreux opérateurs de renom ayant élu domicile dans plusieurs pays africains et européens ont posé leurs valises en République démocratique du Congo, preuve s’il en est de l’alignement du pays sur les standards internationaux de l’activité des assurances. L’engouement observé dans la quête d’agrément auprès du Régulateur qui, à ce jour, a autorisé 27 opérateurs à fonctionner sur l’ensemble du territoire national. Le dynamisme actuel du secteur congolais des assurances prouve qu’il est porteur d’espoir au regard de l’immense potentialité qu’il renferme. Les estimations les plus basses indiquent 800 millions de dollars d’activité, il y a un an, pour une projection de 3;5 à 5 milliards de dollars dans les cinq prochaines années. La marge de progression est possible dans les limites actuelles de la maîtrise des paramètres par ARCA.
- Les statistiques de production et le satisfecit du gouvernement
- L’analyse des statistiques de production et de règlement des sinistres, données disponibles pour exploitation auprès du Régulateur, indique une nette progression des chiffres de l’ensemble du secteur sur une échelle de deux années d’activité libéralisée.
- L’assurance automobile, branche largement exploitée pendant des décennies et financièrement déficitaire pour un assureur, a vu les autres garanties émarger et atteindre des chiffres d’affaires notables. Le bâtiment, l’activité minière, l’exploitation pétrolière et l’assurance scolaire sont logés à la bonne enseigne.
- Des efforts tangibles apparaissent dans la vente des assurances des personnes avec deux compagnies major, notamment dans les assurances maladie et des risques apparentés.
- Toutes choses restant égales, les rapports d’activité de ARCA mis à la disposition du gouvernement via le ministère des Finances, ont reçue un satisfecit général des pouvoirs publics sur le programme de gestion du secteur. Il paraît de plus en plus évident que l’extension effective des activités de ARCA dans l’axe Kinshasa – Kongo Central – Grand Katanga et Grand Kivu dans un premier temps est salutaire pour renforcer la régulation et le contrôle des assurances dans ces provinces. La deuxième phase pourrait concerner l’ex-Province Orientale ainsi que les zones frontalières de certains territoires pour capter, à travers les sociétés d’assurance installées localement, des niches des primes d’assurance.
- Cette approche, à la fois sectorielle et globale, devrait permettre à terme, de densifier la maîtrise territoriale à l’échelle nationale du secteur des assurances par le Régulateur. Dans la mesure où la phase première de son activité a produit des résultats tangibles. Cette stratégie est la suite logique du travail réalisé en amont.
8. Quel bilan?
Au regard des objectifs et missions lui assignés par les pouvoirs publics dans la gestion du secteur des assurances, il n’est pas exagéré d’affirmer que le leadership de ARCA est positif, à ce jour. Loin des considérations théoriques, dont les plus inimaginables conduisent à la liquidation pure et simple de l’opérateur public en l’occurrence la Sonas, ARCA a pu et su gérer la coexistence pacifique entre les différents intervenants, chacun disposant suffisamment d’espace pour exister. En guise de conclusion, il est permis de dire que les jalons posés par ARCA au cours de ces deux dernières années ont le mérite de porter un regard nouveau, de l’extérieur comme de l’intérieur, sur le marché prometteur de l’industrie congolaise des assurances. La République démocratique du Congo est bien partie pour asseoir l’application actuelle du Code des Assurances, dont la révision réclamée par certains paraît hasardeuse et inutilement prématurée, dans toutes les activités professionnelles d’assurances et apparentées. Il est superflu de rappeler que dans un pays post conflit et post Covid, mobiliser l’épargne nationale dans l’exploitation garantie des risques d’assurances est une perspective heureuse de mobilisation des recettes. Le challenge actuel se trouve à l’intersection entre la mise en place des stratégies de développement du secteur et l’observance stricte par les uns et les autres des dispositions du Code des assurances. ARCA est appelée à jouer, hier comme aujourd’hui et demain, ce rôle sans désemparer en affirmant à chaque échéance son autorité sur le marché.
Toussaint Mika
Ancien Administrateur Directeur technique à la SONAS et consultant en assurances