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140 ans après, Kinshasa reste une ville oubliée

Fondée le 1er décembre 1881 par Henri Morton Stanley, Kinshasa a totalisé l’année passée 140 ans d’existence. Une journée passée inaperçue. Arthur Mbumba Ngimbi, Chef de travaux en Economie à l’Université de Kinshasa -UNIKIN- et ancien vice-gouverneur de la ville de Kinshasa, a, dans sa tribune, signifié qu’a ailleurs dans le monde, la commémoration d’un événement si important aurait pu faire l’objet des manifestations grandioses.

«Partout au monde, les villes et surtout les capitales ont leur histoire, distincte de celle du reste des pays. Elle permet ainsi aux différentes générations qui se succèdent d’en lire les pages et d’honorer ceux qui en ont écrit les plus glorieuses», a-t-il indiqué, poursuivant que cet anniversaire a le mérite de nous rappeler le passé et d’assurer la cohésion et de cimenter l’unité nationale d’un peuple.

«Celle de Kinshasa devrait de ce fait être présente partout à chaque coin de la rue et enseignée à nos enfants», a regretté Arthur Mbumba. Pour lui, l’occasion aurait aussi pu être donnée de réhabiliter la mémoire de tous ceux qui ont contribué à la fondation et au développement de cette ville. C’est le cas de Stanley dont le monument a été déboulonné en 1972 de son socle du Mont qui a porté pendant longtemps son nom, mais devenu Mont-Ngaliema, à la faveur du fameux courant de recours à l’authenticité prôné par le Président Mobutu.

A cette occasion, Arthur Mbumba a invité l’Etat à adopter une politique de développement réaliste de la ville. Néanmoins, a-t-il renchéri, il incombe aussi à chacun de nous d’apporter sa part de contribution à l’effort collectif de ce développement. Car, c’est depuis longtemps que les problèmes de Kinshasa existent mais personne ne songe à y apporter des solutions appropriées. Ci-dessous, la tribune d’Arthur Mbumba.

Kinshasa: décembre 1881- décembre 2021
140 ans après sa fondation par Staley
Un paradis perdu et une ville menacée de disparaître

Fondée le 1er décembre 1881 par Henri Morton Stanley, Kinshasa compte aujourd’hui 140 ans d’existence. Elle sera baptisée le 14 avril 1882, par l’explorateur anglais, Léopoldville en hommage au Roi des Belges Léopold II qui encouragea ses initiatives.

Elle gardera cette appellation pendant 84 ans jusqu’au 1er juillet 1966, date à laquelle, par une décision du Président Mobutu, elle recouvrera le nom d’un de deux villages initiaux: Kinshasa. Il convient de préciser à ce sujet que Kinshasa qui s’appelait à l’époque N’shasa était un petit village des pêcheurs, habité par quelques familles Bateke. L’autre village, N’tamo, appelé également Kimvay et devenu par la suite Kintambo était le fief du chef Ngaliema.

Kinshasa, une ville oubliée

Ailleurs dans le monde, la commémoration d’un événement si important aurait pu faire l’objet des manifestations grandioses mais chez nous cet anniversaire est passé inaperçu, même des autorités.  Partout au monde, les villes et surtout les capitales ont leur histoire, distincte de celle du reste des pays. Elle permet ainsi aux différentes générations qui se succèdent d’en lire les pages et d’honorer ceux qui en ont écrit les plus glorieuses.  On ne peut avoir honte de son histoire. Elle a le mérite de nous rappeler le passé et d’assurer la cohésion et de cimenter l’unité nationale d’un peuple. Celle de Kinshasa devrait de ce fait être présente partout à chaque coin de la rue et enseignée à nos enfants. Les travaux scientifiques sur la ville sont aussi solides que nombreux et leurs auteurs témoignent autant de talent que d’objectivité.

Les autorités urbaines auraient pu profiter de cette occasion pour organiser des conférences en invitant ces derniers   en vue de réfléchir sur les différents problèmes auxquels les Kinois sont confrontés chaque jour, de tirer les leçons du passé et de dégager des pistes des solutions pour l’avenir.   L’occasion aurait aussi pu être donnée de réhabiliter la mémoire de tous ceux qui ont contribué à la fondation et au développement de cette ville. C’est le cas de Stanley dont le monument a été déboulonné en 1972 de son socle du Mont qui a porté pendant longtemps son nom, mais devenu Mont-Ngaliema, à la faveur du fameux courant de recours à l’authenticité prôné par le Président Mobutu.

Depuis lors, son buste a été jeté et abandonné au garage des TP à la première rue à Limete.

Il en est de même de son compagnon de route, Mfumu Lutunu dont l’Avenue dans la commune de la Gombe a été débaptisée depuis 1998 et remplacée sans aucune raison valable par l’Avenue du Livre.  On devrait dans ce cadre par exemple trouver une avenue au nom de Boniface Zoao qui fut le Premier bourgmestre de la ville après l’indépendance.

De même, l’Avenue de l’Université devrait porter le nom   de Luc Gillon, ancien Recteur de l’Université Lovanium qui en a eu l’initiative et financé sa construction, pour faciliter le déplacement en ville des résidents du campus. Cela d’autant plus qu’aujourd’hui plusieurs autres universités ont été créées et sont venues s’ajouter à celle de Kinshasa.

Tout comme l’Avenue Kimbuta devrait s’appeler Avenue de Trois Glorieuses pour rappeler la résistance héroïque des Kinois le 12, 13 et 14 août 1998, face à la tentative d’envahissement de leur capitale par les Rwandais. Surtout qu’il existe d’autres avenues au nom de l’ancien gouverneur qui malgré son long mandat de 11 ans à la tête de la ville n’a résolu aucun de ses problèmes. Par ailleurs, pour des raisons inexplicables, il n’y a nulle part d’Avenue du 4 janvier 1959 alors que cette date constitue la charnière entre deux périodes les plus importantes de notre histoire, à savoir: la colonisation et l’indépendance. Il y a curieusement une avenue qui porte trois noms: 24 novembre pour certains, Libération et Mulele pour d’autres.

Devant ce désordre, beaucoup de Kinois se sont toujours demandés pourquoi on ne l’appellerait pas Avenue du 4 janvier 1959 pour rappeler à notre mémoire collective l’une des dates les plus glorieuses de notre histoire.

De la petite bourgade à la grande métropole nationale

Jusque-là, simple poste administratif, Léopoldville devient capitale de la Colonie par l’arrêté royal du 1er juillet 1923. Cependant le transfert effectif des services administratifs n’interviendra qu’en octobre 1929. Aujourd’hui se sont accomplis pour Kinshasa 140 ans d’existence. Aujourd’hui également la ville est entrée dans sa quatre-vingt-douzième année depuis qu’elle assume avec succès sa fonction de capitale: capitale politique, administrative, économique, culturelle et religieuse.  Jusqu’à l’indépendance, Léopoldville était l’exemple de la réussite en matière d’urbanisme en Afrique. Elle était tellement organisée, coquette, bien propre et si belle, semblable à nulle autre ville en Afrique. Les Congolais en étaient tellement fiers qu’ils aimaient l’appeler affectueusement: «Poto moyindo», entendez «l’Europe noire».

Aujourd’hui 140 ans après, le contraste est frappant.  Kinshasa n’a plus rien d’une ville. Elle a perdu de son charme d’antan. Pour Julien Leperse, ancien journaliste français, aujourd’hui retraité, animateur de la célèbre émission «Questions pour un champion» de TV 5, Kinshasa, c’est la ville la plus sale du monde.  Pour ceux qui y ont vécu avant l’indépendance, la comparaison est cruelle: Léopoldville, c’était le ciel; Kinshasa, c’est le paradis perdu, c’est l’enfer.

Pour nous, elle est l’expression vivante de l’incapacité congénitale en matière d’organisation des Congolais.

Des problèmes devenus insolubles

La capitale a connu un développement spectaculaire et vécu en accéléré ce que d’autres capitales au monde ont vécu en plusieurs siècles.

De ce développement trop rapide sont nés de nombreux problèmes. Ils se sont amplifiés au fil des années et la plupart sont devenus même presque insolubles.

Nous avons profité de nos fonctions comme vice-gouverneur de la ville de Kinshasa pour réfléchir sur l’infrastructure de ces problèmes, en nous appuyant sur notre propre expérience et observation. Leur étude a fait l’objet de notre livre, publié en 1982 à l’occasion du Centenaire de la capitale, intitulé: «Kinshasa 1881-1981. 100 ans après Stanley. Problèmes et Avenir d’une ville». Cet ouvrage a connu un succès inattendu, avec trois éditions au  pays et comme on peut le constater sur internet, il continue à être édité en France, en Allemagne et en Virginie aux Etats-Unis en version anglaise.   Il y a plusieurs accusés aux problèmes de Kinshasa au premier rang desquels, il faut citer les autorités du Pouvoir central pour leur refus de mettre à la disposition de la ville comme de toutes les autres entités décentralisées du pays, les moyens nécessaires à leur développement. C’est le cas de la perception à la source de 40 % des recettes à caractère national tel que prévu par l’articles 175 de la Constitution. C’est le lieu de préciser que contrairement à une certaine idée reçue, en tant que «prérogative des provinces et des entités territoriales», la rétrocession de cette quotité ne devrait faire l’objet ni de réduction ni de révision constitutionnelle,   conformément à l’article 220, au même titre qu’un troisième  mandat présidentiel.

Les autorités urbaines elles-mêmes ne sont pas sans reproche. Elles n’ont jamais eu le courage de protester contre cette violation de la Constitution qui leur prive de leur droit. Les Kinois sont également responsables de la dégradation avancée de leur ville: ils ne s’intéressent jamais à la gestion des finances dont ils sont pourtant les premiers contribuables.  De même, ils n’ont jamais réagi pour réclamer la suppression des institutions inutiles et budgétivores comme l’Assemblée provinciale et le Gouvernement provincial. Bien qu’étant l’émanation des entités décentralisées qui ne se sont jamais préoccupés de leurs problèmes.

Pourtant, ils sont prêts à accepter de participer aux marches et même à se laisser tuer pour obéir aux injonctions des hommes politiques qui, d’ailleurs, une fois élus, se détournent d’eux, oubliant leurs promesses de campagne. On pourrait mentionner le cas de l’installation anarchique ces dernières années partout des stations d’essence qui salissent la ville, sans aucune enquête préalable de commodo et incommodo de la part des bourgmestres. Elle ne suscite aucune réaction de la part des députés et des ministres provinciaux.

Dans la logique d’analyse de ces problèmes, nous voulons nous limiter au rappel des plus importants. Il s’agit de la pression démographique, de l’urbanisation, du logement, des moyens de transports, du chômage, des moyens financiers et de l’administration avec des propositions des solutions.

1.         Une population explosive mais qui n’atteint pas encore 13 millions d’habitants

Le mal de Kinshasa est avant tout démographique. Il résulte de l’accroissement naturel provenant de la différence entre la natalité et la mortalité et de l’exode rural. C’est la démographie qui formule l’éclairage nécessaire à la compréhension de tous les autres problèmes. Avec un taux de croissance annuel qui se situe entre 10 et 11%, la population kinoise augmente deux fois plus vite que la population totale qui est de 3,2 %.  L’exode rural intervient pour plus de la moitié soit 6% (Source: Léon de Saint Moulin). Ce taux est excessif quand on sait que la moyenne nationale de la croissance urbaine annuelle est actuellement de 6,4% et que dans les pays en développement, elle est de 5,7% (Source: Shapiro).

Contrairement à ce qu’a affirmé dernièrement le gouverneur de la ville, Kinshasa n’atteint pas encore 15 millions d’habitants, pas même 13 millions. Certes l’augmentation de la population est exponentielle quand on sait qu’à sa fondation en 1881, elle ne comptait à peine que 5000 habitants et 476.819 en 1960 mais le chiffre de 15 millions est exagéré. Kinshasa n’atteint même pas encore 13 millions d’habitants.

Dommage qu’une telle information erronée puisse émaner du premier citoyen de la ville, lui qui est censé être le mieux informé dans ce domaine.

Le gouverneur aurait dû pour ce faire se référer aux données de l’Institut national de la statistique qui est l’institution spécialisée et fiable en la matière. En effet, en l’absence d’un recensement démographique, le dernier ayant eu lieu depuis 1984, à partir d’une série d’hypothèses scientifiques émanant de différentes informations disponibles et au moyen des méthodes modernes de calcul, cet Institut fait régulièrement une évaluation approximative de la population.

2.         Une urbanisation sans urbanisme

Kinshasa grandit de jour en jour et frappe aujourd’hui par ses dimensions. Petite bourgade à sa fondation avec 115 ha, sa superficie a atteint aujourd’hui 9.965km2, devenant ainsi la ville la plus étendue de l’Afrique. Pour avoir une idée précise du gigantisme et de la forte progression de cette superficie, on  peut noter à titre de comparaison, que la superficie de  Lagos, une autre grande métropole africaine, la plus peuplée du continent,  avec 13,903 millions d’habitants en 2020  ne couvre que 1.171 km².  Avant l’indépendance, l’extension s’effectuait suivant les plans imposés par l’urbanisme et elle était le fait de l’administration. Depuis lors, la croissance urbaine est surtout le fait de l’explosion démographique. La conséquence est qu’on assiste à une urbanisation sans urbanisme. Avec sa progression annuelle qui varie depuis 1960 entre 500 et 700 hectares, la croissance est devenue incontrôlée et Kinshasa est aujourd’hui une ville monstrueuse. On connaît à ce sujet le principe qui prévaut en matière d’urbanismes selon lequel le pouvoir d’attractivité exercée par une agglomération est proportionnel à sa taille: plus une ville est grande, plus elle attire. Le manque de planification de l’habitat, l’absence de l’autorité urbaine, l’attribution des terrains par les chefs coutumiers, les désordres créés par les agents des Affaires foncières, du Cadastre et de l’Urbanisme et Habitat sont à l’origine des occupations anarchiques avec les graves conséquences qu’on déplore aujourd’hui: érosions, constructions anarchiques, insalubrité, bouchage des caniveaux, surdensification…

Cette absence de planification a contribué au développement de l’autoconstruction, caractérisée par l’appropriation anarchique des terrains, la bidonvilisation des faubourgs dans les communes de création spontanée comme Makala, Kisenso, Kimbanseke, Mont-Ngafula, Nsele…, des baraques construites illégalement avec des matériaux de fortune dans des chantiers jamais achevés.

L’autoconstruction représente aujourd’hui 80% des maisons construites dans la ville après 1960 et favorise le développement d’un marché noir des loyers dont les prix sont souvent surfaits pour des conditions de logement particulièrement pénibles.

A maintes reprises, les pouvoirs publics ont été obligés de procéder à la destruction massive des constructions anarchiques au bulldozer, malheureusement souvent sans succès. Il faut préciser que cette urbanisation anarchique a surtout été encouragée avec la création par l’ordonnance n°68/024 du 20 janvier 1968, prise par le Président Mobutu, de 13 nouvelles communes en plus de 11 anciennes créées par l’ordonnance du 23 octobre 1957.

3. Crise de logement

Pour face à la crise de logement devenue de plus en plus forte au fur et à mesure que la population augmentait, les Missionnaires catholiques furent les premiers à prendre l’initiative de créer en 1932 un Fond d’avance aux Congolais. Ce crédit permit la constitution des quartiers comme Immo-congo -ex- 20 mai. Dépassée par la demande, cette initiative fut reprise par le responsable de la ville d’alors, le Commissaire de District de Bock, créateur du Parc qui porte encore son nom. L’autorité coloniale décida d’étendre cette activité à tout le pays en confiant par le décret du 30 mars 1953 les travaux de construction à un seul organisme, l’Office des constructions des cités africaines -OCA. Véritable outil de promotion de l’habitat du pouvoir colonial, l’OCA a pu construire jusqu’à la veille de l’indépendance, c’est-à-dire en six ans seulement, 27.500 logements dont 25.000 dans la capitale et laissé 722 chantiers inachevés (Source: Archives de la ville).

C’est à cette entreprise publique que l’on doit l’édification des maisons de Bandalungwa, Yolo, Matete, Lemba et du Quartier ex- Haut Zaire de N’Djili. 

L’Etat ne fut cependant pas le seul dans ce domaine, car ses initiatives trouvèrent de la suppléance auprès des sociétés privées et para- étatiques comme l’ONATRA et les Plantations Lever au Congo qui construisirent aussi des logements pour leur personnel.    Il convient cependant de préciser que sous la deuxième République, on a construit aussi des logements comme la FIKIN, Salongo, la Cité Verte et la Cité Mama Mobutu et tout récemment la Cité du Fleuve et Oasis. Malheureusement, ces initiatives d’un habitat planifié ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan des besoins en logements des Kinois, la demande dépassant toujours l’offre. Déjà en 1985, selon une étude de la Caisse nationale d’épargne et de crédit immobilier -CNECI-, il fallait construire 162.577 nouveaux logements pour une population estimée à l’époque à 3,302millions d’habitants. Il en faudrait aujourd’hui au moins 500.000 par an.

  • Insuffisance des moyens de transport

Kinshasa a connu à partir de 1950 des sociétés de Transport, notamment la Société de Transport en commun (TCL), appelée par la suite Office de Transport en commun au Zaïre (OTZ).

A côté des sociétés de l’Etat, il y a eu également celles des privés comme la Société de Transport kinois (STK), devenue après la zaïrianisation, Société de transport au Zaïre  (SOTRAZ). Depuis quelques années une société publique, la  Société de Transport Congolais (TRANSCO)  a vu le jour avec quelque 500 bus mais il  y a  toujours l’insuffisance des moyens de déplacement, en raison de la forte augmentation de la population.

Cette insuffisance des moyens de transport permet aux chauffeurs des véhicules privés de créer une situation préjudiciable aux usagers notamment, la mise à leur disposition  des places séparées  au lieu  de la voiture entière, le non-respect des tarifs imposés par l’Hôtel de ville, le fractionnement des lignes, le refus de longs parcours…

Le Bureau d’Etudes d’aménagements urbains (BEAU) a estimé en 1990 à environ 1.600 bus, le parc automobile nécessaire pour le transport en commun dans la capitale.

Dans l’hypothèse où les artères principales seraient déchargées et la voirie qui compte à peine 500 Km asphaltés, serait améliorée et augmentée, nous pensons qu’ il en faudrait actuellement 7.500.

  • Chômage

 Avant l’indépendance, Kinshasa était une ville du travail  et le chômage y  était quasi inexistant. La preuve en est que des agents de l’Etat étaient régulièrement envoyés dans les villages des provinces voisines comme le Kongo Central, le Kwango et le Kwilu pour procéder à des recrutements forcés de la main-d’œuvre devant venir travailler dans les industries naissantes de la capitale. Mais depuis plusieurs décennies et surtout depuis la zaïrianisation et les pillages, Kinshasa connaît un important chômage endémique et structurel.

Le secteur formel est devenu le supplétif de l’informel qui représente en réalité aujourd’hui l’économie congolaise avec son cortège d’activités atypiques, de commerce des trottoirs et de trafic de tout ordre.

Avec un taux de 64% de la population active, le chômage demeure, comme on peut le comprendre, un problème sérieux pour Kinshasa. Il constitue un des facteurs majeurs de la hausse de la criminalité avec les Kuluna…

Il est aussi un des facteurs explicatifs de l’extrême pauvreté du plus grand nombre que l’on côtoie chaque jour, à côté de la bourgeoisie insolente d’une infime minorité. Kinshasa fascine les pauvres et attire la pauvreté. Celle-ci se manifeste par un phénomène nouveau, inconnu même sous la deuxième République: la mendicité. Les Kinois ont perdu jusqu’à leur dignité.  En effet, on voit de plus en plus dans les rues, à la sortie des églises, des magasins, des hôtels, des hommes et des femmes de tout âge, sans se gêner, tendre la main aux passants pour leur demander l’aumône. Cette pratique honteuse était interdite dans le temps, quelques années après l’indépendance, par un arrêté du gouverneur de l’époque, Boniface Zoao et il n’a jamais été abrogé à ce jour.

La plupart de ces chômeurs se recrutent malheureusement parmi les immigrants venus des campagnes dont l’absence ou la mauvaise qualité de formation rend l’engagement difficile sinon impossible. Ce chômage pèse aussi sur les jeunes diplômés universitaires qui arrivent régulièrement chaque année en bataillons serrés sur le marché du travail. 

Selon des études disponibles, il faut créer chaque année à Kinshasa en moyenne au moins 25.000 nouveaux emplois pour absorber une demande toujours plus accrue.

  • Insuffisance des ressources financières

Contrairement à ce qu’on croit, la ville a des ressources fort limitées et connaît régulièrement des difficultés de trésorerie. Pourtant jusqu’aux premières années de l’indépendance, avec moins de 500.000 habitants, elle réussissait à mobiliser près de 3 milliards de dollars; avec 12 millions aujourd’hui, elle est incapable d’atteindre même 1 milliard de dollars. On peut noter à ce sujet que le budget de la ville pour l’exercice 2022 a été arrêté à 1.401.914.730. 804 FC soit 500 millions de dollars.  Entretemps, on assiste à une flambée des charges avec les émoluments des membres des institutions comme l’Assemblée provinciale et le Gouvernement provincial.

Cette situation est inexplicable quand on sait que le budget d’une petite ville comme Douala au Cameroun, avec une population de 1,300 million d’habitants atteint chaque année 5 milliards de dollars.   

Cette situation déplorable qui concerne presque toutes les entités décentralisées du pays s’explique pour une large part comme nous l’avons dit, par le refus des autorités du Pouvoir central d’appliquer une fiscalité décentralisée favorable au développement des entités de base.

Le Gouvernement central se réjouit sans cesse de réaléser des performances avec 500 millions de dollars des recettes intérieures par mois mais on est surpris d’apprendre que de ce montant, il s’accapare de 420 millions de dollars et laisse 80 millions de dollars seulement à la disposition des entités décentralisées. (Source: Inspection générale des Finances).

Le plus inquiétant est que ces fonds au lieu d’être affectés à la production, servent plutôt à entretenir ceux qui gravitent autour du pouvoir et de l’Etat. Il s’agit des dirigeants des institutions politiques et de leurs collaborateurs. 

Tout cela se fait malheureusement à l’abri de l’indifférence du Sénat, qui est pourtant l’émanation des entités décentralisées.

  • Une administration pléthorique et inefficace

En vue de contrôler la Colonie, les Belges réussirent à mettre rapidement en place, une administration réputée la plus structurée et la plus efficace de toute l’Afrique subsaharienne. Kinshasa en était devenue le siège depuis 1929, année de transfert définitif de la capitale. Alors qu’en 1960, environ 800 fonctionnaires assumaient à eux seuls l’ensemble des tâches administratives de la ville. Ils étaient 15.195 en janvier 1981 pour 4.871 postes organiques et environ 160.000 actuellement (Source: Hôtel de ville).

Cette évolution scandaleuse du personnel trouve son origine surtout dans les affectations fantaisistes des agents, souvent membres des partis politiques, sur lesquels l’autorité urbaine n’exerce pratiquement aucun pouvoir hiérarchique. C’est précisément la présence de tels agents non préparés à l’exercice de la fonction publique ou insuffisamment informés sur le rouage de l’appareil de l’Etat qui est à la base de l’inefficacité qui ronge l’administration urbaine.

Quelles solutions pour Kinshasa?

Nous venons d’analyser les principaux maux qui rongent la ville. Au regard des problèmes que nous venons de développer, nous sommes convaincu qu’à cause du manque de volonté politique des dirigeants pour freiner l’exode rural et pour maîtriser la croissance urbaine, en raison du surpeuplement et de l’absence de l’Etat, du manque de prise de conscience et d’intérêt de la part des autorités et des Kinois eux-mêmes, que si rien n’est fait dès maintenant pour les résoudre, Kinshasa est menacée de disparaître un jour. 

On pourrait peut-être nous accuser de nous laisser emporter par un pessimisme facile. Notre conviction se fonde sur le fait qu’une ville est comme un pays. Elle est condamnée si ses dirigeants et ses habitants s’interdisent de rechercher les solutions adéquates à leurs problèmes. Car il y a longtemps qu’un grand nombre des problèmes qui se posent aujourd’hui avec acuité auraient pu être résolus si les autorités avaient la volonté. En effet, on dispose de plusieurs études de grande valeur sur Kinshasa avec des propositions des solutions. La plupart ont même été élaborées par des partenaires extérieurs mais elles n’ont jamais suscité le moindre intérêt de la part des autorités pour leur mise en application. Parmi ces études, nous pouvons citer, notamment: le Schéma directeur de Kinshasa par la Mission française d’Urbanisme, le Plan directeur des Transports de Kinshasa par les Japonais, le Schéma d’orientation stratégique de l’agglomération de Kinshasa par un bureau d’études français.

Mais il ne suffit pas de dénoncer le mal pour y remédier.  C’est pourquoi nous proposons ci-après des solutions alternatives à prendre si on veut encore sauver la capitale:

-démographie: de toutes les solutions, la plus importante, selon toute vraisemblance consiste dans le frein de l’exode rural.

Des projections démographiques établies par l’Institut de la statistique paraissent plus pessimistes et éclairent d’un jour inquiétant l’avenir de la capitale. Elles portent le chiffre de la population  à 12,789 millions pour 2025 et à 33,282 millions pour 2050 (Source : Institut national de la statistique).

 Ce dernier chiffre est même supérieur à celui de la population en 2020 de trois pays de l’Afrique Centrale, à savoir: le  Cameroun, 25, 640 millions,  le Congo- Brazzaville, 5,062 millions et le Gabon, 2,119 millions soit au total 32,82 millions.

Même si les estimations avancées ne représentaient qu’un ordre de grandeur vraisemblable, nous pensons qu’il est impérieux à brève échéance pour les pouvoirs publics de tout mettre en œuvre pour atténuer cette explosion démographique par le frein de l’exode rural, empêchant les flux migratoires comme cela fut le cas sous la colonisation. Pour cela, il faudra prendre des mesures qui doivent être à la fois administratives, sociales et économiques

Pour empêcher par exemple la capitale de détenir le monopole des entreprises, il faudra favoriser une répartition géographique  judicieuse des investissements en les orientant davantage vers l’intérieur.

Nous pouvons suivre en cela l’exemple des pays voisins comme le Congo-Brazzaville dont les autorités, grâce à une politique rurale cohérente et efficace ont réussi depuis plusieurs années à mettre fin à l’exode rural. On y parle aujourd’hui de l’exode urbain, c’est-à-dire que les ruraux et particulièrement les jeunes préfèrent rester au village que d’émigrer en ville.

-transports: pour apporter une amorce de réponse au grave problème de déplacement, il sera question de songer à d’autres moyens de transport comme le métro léger. Bien qu’annoncé depuis 1977, il n’a jamais été réalisé. Il serait capable de véhiculer 2.000 à 28.000 personnes par jour, d’après les études du Bureau des Etudes d’Aménagements urbains.

        -urbanisation: c’est la multiplication des services qui est à la base de l’anarchisme qui règne en matière d’urbanisation. Aujourd’hui les conflits fonciers constituent  70% des  litiges soumis devant les cours et tribunaux. C’est pourquoi il est de l’intérêt de tous que soient supprimés les Ministères des  Affaires foncières et de l’Urbanisme et Habitat, en faire  comme sous la 1ère République des Directions des  Ministères de l’Aménagement du Territoire et des Infrastructures et Travaux publics.

 De même, il faudra songer à permuter dans l’immédiat tous les agents de commandement, c’est-à-dire à partir  de ceux revêtus du grade de Chef de bureau, œuvrant à Kinshasa avec ceux de l’intérieur, en les affectant de préférence dans leurs provinces d’origine,  seule manière de les obliger à  changer de mentalités et de  mettre fin à la maffia et à la corruption qui ont élu domicile  dans  ces services.

Il faut en même temps songer à restructurer la ville en détruisant les anciens quartiers mal vieillis et en réhabilitant la voirie dégradée. On réussira ainsi à faire de Kinshasa une ville nouvelle.

-administration: l’encadrement d’une population plus nombreuse nécessitera la présence d’un personnel administratif plus efficace et plus dévoué. Il sera nécessaire de procéder à l’élimination systématique de tous les agents inaptes aux fonctions qu’ils doivent assumer, au renforcement de la discipline et à la sanction sévère des négligences.

-revenir au système d’un Gouverneur et des Adjoints nommés par l’Exécutif. Cette question a toujours divisé les Congolais depuis l’indépendance.

En raison de leur importance, partout au monde la gestion des capitales a toujours été confiée à des hommes compétents et expérimentés. La triste expérience que nous vivons actuellement avec des Gouverneurs et leurs Adjoints élus devrait nous faire réfléchir. Le système de mandat électif a abouti à placer à la tête de la ville des hommes peu compétents, sans expérience et inefficaces.

Il est temps de revenir au système pratiqué sous la deuxième République de la nomination des organes par l’Exécutif. Ils devront être choisis parmi les Fonctionnaires de commandement, justifiant d’une expérience en matière territoriale et relevant du Ministère de l’Intérieur.

-supprimer l’Assemblée provinciale et le Gouvernement provincial.

Partout des voix s’élèvent pour exiger sans autre délais leur suppression.

Pour se faire une idée exacte de l’inutilité d’une institution comme l’Assemblée provinciale, on peut se rappeler les résultats du travail d’inventaire fait en 2018 par le Ministère chargé des Relations avec le Parlement concernant les édits pris pendant 11 ans par les différentes Assemblées provinciales du pays. Celle de Kinshasa s’est trouvée avec une moyenne annuelle de trois édits. Comme quoi on a gaspillé tant d’argent qui aurait pu servir au développement de la ville pour payer des chômeurs. Entretemps, on déplore comme partout ailleurs dans les autres provinces, le climat d’intrigues, d’anarchisme et de désordre qui ne permet pas aux Gouverneurs de travailler dans la quiétude. C’est pourquoi il est plus qu’urgent de supprimer les Assemblées provinciales et leurs exécutifs provinciaux si on veut réellement développer le pays.

-donner plus de moyens à la ville

Le refus de l’application de la retenue à la source de 40% des recettes à caractère national prévu à l’article 175 de la Constitution empêche le développement de Kinshasa et des autres entités territoriales et partant de tout le pays. Il devient donc de plus en plus indispensable qu’une nouvelle réflexion se fasse autour de la fiscalité décentralisée qui seule permet de donner plus de moyens financiers à la ville, en vue d’assurer au mieux son développement et la sécurité des générations futures. Entretemps, la ville doit continuer à user de ce droit constitutionnel en percevant à la source la quotité de 40% qui  constitue 70%  de ses ressources.

 Conclusion

C’est depuis longtemps que les problèmes de Kinshasa existent mais personne ne songe à y apporter des solutions appropriées. La réponse ne réside pas dans une contemplation morbide ou dans une position attentiste mais plutôt dans une pratique de participation. Certes il appartient à l’Etat d’adopter une politique de développement réaliste de la ville mais il incombe aussi à chacun de nous d’apporter sa part de contribution à l’effort collectif de ce développement.

En cet anniversaire qui est également un point de l’histoire où ne se retrouve que le fruit des efforts de chacun, nous avons voulu faire prendre conscience aux Congolais en général et aux Kinois en particulier, de l’ampleur des problèmes soulevés et leur donner l’occasion de réfléchir sur les solutions qu’ils méritent.

Arthur MBUMBA NGIMBI

Chef de Travaux en Economie à l’Université de Kinshasa et ancien vice-gouverneur de la ville de Kinshasa

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