Ce n’est pas tous les jours que les professeurs d’université ouvrent leur cœur au commun des mortels. Nous venons de bénéficier du privilège d’assister, dans l’une des communes de la ville-province de Kinshasa, à une réunion de la fine fleur de l’enseignement supérieur et universitaire en RD-Congo. Au menu de la rencontre, l’autopsie sans fioriture des maux qui rongent leur profession.
Si dans un passé aux cendres encore chaudes, le corps professoral était considéré comme le dernier rempart, la référence de base à l’instar de l’Eglise au milieu du village dans les problèmes de société, tel n’est plus le cas aujourd’hui où beaucoup de ses membres pèchent à longueur de journées, par des actes immoraux qui avilissent la profession.
Et pourtant, leur expertise est très prisée dans toutes les institutions du pays, les entreprises publiques, les partis politiques, les structures d’encadrement de la société civile qu’ils auraient dû marquer de leur empreinte indélébile. Force est de relever que la plupart d’entre eux ne cessent de se laisser emporter par les grosses vagues de la primauté du remplissage de leur tube digestif plutôt que de servir de lanterne aux gouvernants à tous les niveaux.
Un rendement en dessous des seuils requis sur le plan international
«Nous avons tous mené les mêmes études supérieures et universitaires en Occident. Nous avons tous fréquenté les grandes universités d’Europe et d’Amérique. Nous avons tous pris les mêmes moyens de locomotion, mangé à la même cantine, logé à la même enseigne, reçu les soins médicaux auprès des mêmes médecins, pratiqué ensemble les mêmes activités socioculturelles, bénéficié des mêmes avantages, etc. Rentrés au pays, pourquoi notre rendement est loin d’atteindre les seuils requis?», lance un professeur à la face de ses collègues.
«Qu’est-ce qui nous empêche de faire honneur à notre rang en refusant catégoriquement les antivaleurs qui gangrènent notre société et en apportant une touche nouvelle de tout ce que nous avons appris sous d’autres cieux?» renchérit une autre icône.
«Sommes-nous fiers de l’image hideuse que certains dérapages tant décriés projettent de nous à l’écran en tant que société savante pendant que tous les RD-Congolaises et RD-Congolais fondent leurs espoirs sur nous et après que le pays aie longuement investi dans nos études tant ici qu’à étranger?», martèle un troisième.
Démarche introspective sur la profondeur du désastre et ses effets collatéraux
Un quatrième intervenant enfonce le clou: «Qu’avons-nous fait de l’éthique, des valeurs morales nous inculquées dans nos familles et en Occident pour un meilleur exercice de notre profession? Comment ne pouvons-nous pas nous débarrasser de ce fardeau d’autant plus que beaucoup de nos collègues siègent dans les hautes sphères de prise des décisions où des moyens conséquents peuvent être dégagés pour nous placer dans de bonnes conditions de dispensation des enseignements dans les universités et instituts supérieurs?»
Pareilles interrogations fusent de partout. C’est à croire que les professionnels du savoir tiennent à profiter pleinement de cette opportunité pour crever l’abcès. Sévère réquisitoire. Rien d’autre. Les propos sont parfois durs, mais courtois. L’ambiance se glace. Les bonnes consciences sont secouées. Pendant un bon moment, un silence profond règne dans la salle. Chacun mène une démarche introspective pour évaluer la profondeur du désastre et ses effets collatéraux sur la qualité de l’enseignement dispensé et la consistance du produit livré sur le marché de l’emploi en fin de cycle.
Des passes d’armes mouchetées ont lieu. Des pistes de solution sont proposées pour combattre vigoureusement toutes ces dérives. Pour des raisons évidentes, nous ne pouvons les exploiter dans les lignes qui suivent, le temps nécessaire pour leur mise en œuvre par les principaux intéressés.
Ambiance propice aux travaux d’études, de recherche et de profonde réflexion
Nous ne pouvons pas non plus nous empêcher de jeter un regard inquisiteur sur l’environnement universitaire. A l’époque, lorsque vous vous présentez à l’Université de Kinshasa -ex Lovanium-, à l’Université de Lubumbashi, à l’Université de Kisangani, vous avez l’impression d’évoluer dans un autre monde. Tout baigne dans l’ordre, la discipline, la quiétude.
De la qualité des infrastructures d’accueil, des homes d’habitation, des installations socio-médicales, récréatives, sportives, culinaires, des auditoires et autres laboratoires, toutes les dispositions sont prises pour placer les apprenants dans les meilleures conditions. L’ambiance est réellement propice aux travaux d’études, de recherche et de profonde réflexion, etc.
De nos jours, les sites universitaires ont perdu leur éclat d’antan. Ces milieux sont envahis par des corps étrangers dont la présence est d’une incongruité notoire. Bistrots, «ligablos», restaurants de fortune dits «malewa», bureautiques en plein air, insalubrité rivalisent tous d’ardeur dans ce havre de paix. Les ambassadeurs des églises dites de réveil et les rabatteurs des sciences occultes y trouvent un terrain fertile pour gagner des âmes et adeptes sans coup férir.
Décrochage accru de l’élite par rapport à la montée en flèche des débrouillards dans les auditoires
S’agissant des étudiants, un grand nombre se signale par un très bas niveau d’instruction et des insuffisances notoires à tous égards. Des craintes persistent sur le décrochage accru de l’élite par rapport à la montée en puissance des débrouillards qui squattent les auditoires. Aussi curieux que cela puisse paraitre, une frange importante d’étudiants peine à s’exprimer correctement dans la langue de dispensation des cours, celle de Voltaire. Ceci constitue un sérieux handicap tant pour les professeurs que les apprenants.
Un recteur honoraire de l’IFASIC indique à cet effet que le projet d’implantation d’une section préparatoire a germé à un moment donné suite aux faiblesses criantes constatées dans la production orale et écrite des étudiants. Cette idée a été abandonnée au regard de la profondeur d’un mal plus que pernicieux. La solution repose sur un sérieux encadrement des enfants aux niveaux primaire et secondaire en vue de leur inculquer des bases solides dès le bas âge. A ce diapason se pose aussi un autre problème lancinant de la carence d’enseignants aguerris, car de nombreuses personnes ont tourné le dos à la filière de l’Université pédagogique nationale -UPN. La relève est aujourd’hui assurée par de jeunes autodidactes formés sur le tas ou n’ayant pas trouvé mieux ailleurs, avec ce que tout cela comporte comme aléas.
Dans certains établissements scolaires qui ont pignon sur rue, l’exercice de la dictée française est rendu obligatoire à tous les niveaux ainsi que la phraséologie, la composition et la lecture des ouvrages adaptés qui ornent leur bibliothèque. Même son de cloche avec l’intégration de la dissertation à l’échelon secondaire, la participation à des conférences débats, cinés forum, pièces de théâtre, etc. Ces pratiques sont méconnues dans beaucoup d’écoles du pays dépourvues de matériels didactiques et de personnel compétent up to date.
Distribution anarchique des points par des voies contraires à la morale
Autre écueil qui paralyse le bon suivi des cours est la surpopulation estudiantine dans les auditoires. Les apprenants éprouvent moult difficultés dans certains locaux pour accéder au savoir, savoir-faire et savoir-être dispensé par les professeurs. Au-delà de la chaleur caniculaire, tout s’arrête en cas de fortes intempéries.
De plus, ce sont les mêmes professeurs qui, pour la plupart, sillonnent tous les instituts supérieurs et universités de la RD-Congo. Au finish, chaque professeur se retrouve débordé par un nombre exponentiel d’étudiants à gérer dans certaines facultés populeuses. Conséquemment, la qualité de l’enseignement en pâtit.
Passons sous silence le raccourci pris par beaucoup de professeurs visant à conditionner la distribution des points par le paiement de leur prétendu droit d’auteur ou l’acquisition des syllabus de leur cours moyennant décaissement des pièces sonnantes et trébuchantes. Ne pas s’y conformer expose inévitablement l’étudiant a un échec ou à une absence de cote dans le cours concerné.
Que dire alors des pratiques honteuses des points transmis par des moyens que la morale réprouve? Professeurs, étudiants, parents ou parrains ont tous une part de responsabilité. La solution passe par un grand sursaut de tous à travers un retour inconditionnel aux valeurs morales, spirituelles et culturelles positives pour relever la société congolaise. Il n’est jamais trop tard pour mieux faire.
Tino MABADA
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