Politique

Les millions qui déchirent l’UDPS

Lancée par Moïse Katumbi, une OPA est en passe de liquider la fille aînée de l’Opposition RD-congolaise
Quand l’UDPS va mal, est-ce vraiment dans l’intérêt de ce pays et de sa population? A coup sûr, le dialogue derrière lequel tout le monde semble courir n’aurait aucun sens s’il n’est en mesure d’offrir la chance d’un compromis historique entre les forces qui comptent. Il faut, pour cela, beaucoup de courage aux acteurs politiques pour ne pas verser dans le règlement des comptes ou dans un vaudeville au goût douteux. La question est évidemment de savoir si la Majorité présidentielle est suffisamment sincère dans son offre. Et si l’UDPS appelée à conduire l’Opposition présente des ressources morales suffisantes pour se dépasser.
N’en déplaise à Bitakwira et à Steve Mbikayi. L’UDPS est bel et bien le principal parti de l’Opposition RD-congolaise. L’histoire récente de la RD-Congo témoigne, dans sa chair et son sang, de cette marche irréversible vers la démocratisation et le multipartisme. Une histoire jonchée d’arrestations, de relégations, d’emprisonnements, de privations, de cadavres. Les photographies instantanées des élections organisées dans les stades durant la marche triomphale de l’AFDL pour désigner les gouverneurs des provinces libérées n’avaient laissé aucun doute. Les dernières élections générales de 2011 ont achevé la démonstration. L’UDPS est le parti de l’Opposition qui a raflé le plus de sièges aux législatives, tandis qu’avec plus de 32% des suffrages sur l’ensemble du territoire national, son leader se classait deuxième de la présidentielle et revendiquait même la victoire finale. Les statistiques ont un grand défaut, c’est d’être impitoyables. Mais si elles permettent, à juste titre, au bénéficiaire d’en tirer un légitime avantage en termes de rapport de forces, elles ne veulent en revanche rien dire si elles ne traduisent pas les nuances, les évolutions et les transformations qui s’opèrent au sein du corps social. Etre fort aujourd’hui n’est pas nécessairement synonyme d’être leader demain. Ce statut implique des responsabilités. Il exige des qualités en termes de management, d’aptitudes au dialogue, de subtilité dans le jugement, de capacité d’analyse. L’UDPS, qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, n’a pas toujours été au rendez-vous, ratant des opportunités qui auraient pu accélérer l’émergence de la RD-Congo. Ce pourrait, encore une fois, être le cas aujourd’hui. Coincée entre le facilitateur et la Majorité, le parti d’Etienne Tshisekedi semble de nouveau attiré par cet appel à la mort politique qui lui fait toujours manquer les rendez-vous les plus décisifs de l’évolution récente de notre pays. En plus des critiques qui lui viennent de nombreux partis de l’Opposition et, plus généralement, des ténors de la scène politique RD-congolaise, le voici qui vient d’encaisser une charge en règle du facilitateur, qui accuse l’UDPS de prendre tout un pays en otage. L’histoire, il est vrai, s’écrit au jour le jour. Faiblesses, courage et décisions tracent dans les cœurs et les esprits des lettres qui ennoblissent le combat des hommes ou le tournent, par contre, en dérision. L’itinéraire se dessine au prix des engagements les plus épiques, des falsifications les plus osées ou des détournements les plus pathétiques. L’UDPS était sensée jouer un rôle clé dans la transformation historique de la RD-Congo, dans l’accomplissement de son projet de développement, de progrès social, de solidarité et de paix. Elle ne s’est pas toujours donné les moyens politiques, intellectuels et moraux de cette ambition. Dépeuplée par des purges successives, les débauchages et les guerres de clans, l’UDPS n’est plus la redoutable machine qui constituait l’espoir de tout un peuple. Beaucoup de jeunes qui en étaient les phalanges ont déserté, morts, blessés, emprisonnés ou, tout simplement, découragés du fait des crises successives au sein du parti ou d’une longue traversée du désert, dont les dividendes ne nourrissent aujourd’hui qu’un petit nombre de cadres en costume trois pièces, parfumés, manucurés et pédicurés, de plus en plus enclins à considérer qu’ils ont enfin franchi un nouveau pallier social qui les éloigne de la misère dans laquelle ils ont végété de longues décennies durant. Bref, l’UDPS n’est plus que l’ombre du monstre qui faisait peur, vautré sur sa gloire passée et sa puissance supposée. Enfin, tombe la terrible accusation, lancée par un facilitateur suffisamment diplomate pour piquer sans blesser et, en même temps, caresser sans verser dans la flatterie. L’UDPS, a déclaré Edem Kodjo, prend tout un pays en otage. Une déclaration certes assortie d’une précieuse précaution oratoire insistant sur le fait que le dialogue politique est impossible sans ce parti.
Des questions sans réponses
Edem Kodjo dénonce le fait que l’UDPS n’a toujours pas déposé la liste des délégués de l’Opposition au comité préparatoire, quand bien même il ne se prononce pas sur les garanties que réclame la même Opposition pour que le dialogue ne tourne pas à la farce. Un piège, se défend un cadre de l’UDPS, pour lequel l’attaque vise plutôt à pousser l’UDPS à foncer tête baissée, sans s’entourer de nécessaires garanties d’inclusivité et de bonne fin. Il ajoute qu’Edem Kodjo donne l’impression de vouloir exonérer tous ceux qui ont entraîné le pays dans l’impasse actuelle pour n’avoir pas mis en place les outils nécessaires pour préparer techniquement et financièrement les élections. Mais le dire, c’est souligner en même temps le déficit d’analyse, de courage et d’anticipation de l’UDPS qui n’a pas toujours été réactive pour pousser le pouvoir à faire face à ses devoirs constitutionnels. Du coup, plusieurs questions se posent. En quoi les entretiens préliminaires ont-ils été une bonne chose si la logique des contacts ne peut plus se poursuivre? On sait qu’une feuille de route a été arrêtée de commun accord entre l’UDPS et le pouvoir «en vue de la mise en œuvre du dialogue politique national inclusif». Mais aussi, que les deux parties ont réaffirmé, au cours de leurs différents contacts en Italie puis en Espagne, le principe d’un «accord formel sur la tenue du dialogue national représentatif des forces politiques et sociales du pays en vue de permettre un nouveau processus électoral apaisé, complet, inclusif et crédible conformément aux standards internationaux». Le protocole d’accord du 18 mars le confirme, les deux parties allant même jusqu’à convenir d’un avant-projet de règlement intérieur du comité préparatoire. Question: où est passée cette belle entente? Autre question: qui veut dribbler qui? Enfin: l’arrêt de la Cour constitutionnelle a-t-il vidé le dialogue ou ce dernier reste-t-il indispensable dans la perspective d’un compromis politique plus global? Guerres internes
Cette démarche n’est toujours pas épuisée à ce jour, alors qu’il était permis d’espérer qu’elle allait se consolider avec la mise en place du comité préparatoire avant le dialogue lui-même, dont les travaux étaient prévus pour débuter le 15 avril et s’achever 10 jours plus tard, selon la feuille de route et le protocole d’accord, dans un schéma de 120 participants comprenant 50 délégués du Pouvoir, 50 de l’Opposition et 20 de la Société civile. Que s’est-il passé? L’UDPS était-elle prête à franchir le pas? A-t-elle craint de se faire dribbler par le pouvoir, de se faire isoler par la frange la plus dure de l’Opposition, ou encore de se couper d’une opinion publique qui demande toujours à être convaincue de l’utilité d’un dialogue susceptible de remettre en cause le socle constitutionnel? La réponse n’est pas évidente. D’autant qu’à l’extérieur la MP se frottait les mains en pointant les divisions de l’Opposition sur les listes des délégués au comité préparatoire au moment où, à l’interne, le débat au sein de l’UDPS virait à la cacophonie au gré des querelles de positionnement et des aléas de la guerre de succession à l’ombre du leader historique. A titre d’exemple, après la désignation officielle du facilitateur par la présidente de la commission de l’Union africaine le 6 avril, l’UDPS a rapidement réagi le 10 avril en fixant les conditions de sa participation au dialogue, notamment l’adéquation du mandat du facilitateur avec la feuille de route d’Etienne Tshisekedi. Mais dans un deuxième communiqué daté du 14 avril signé Bruno Mavungu, le secrétaire général, l’UDPS libérait ses propres démons en remettant en cause tous les acquis des contacts antérieurs avec le facilitateur. Particulièrement ceux de la mission du 7 mars confiée, à partir de Bruxelles, à quatre cadres du parti «pour échanger avec l’émissaire de l’UA et les autorités de la MONUSCO sur la mise en œuvre d’un mécanisme conjoint des parties prenantes au dialogue politique en RD-Congo, portant sur le choix du facilitateur et la mise en place d’un comité préparatoire». Des noms, qui ne sont pas n’importe qui, figurent sur l’ordre de mission, avec comme chef de la délégation le plus que célèbre Floribert Tendaie Kasumpata. Ce dernier est accompagné de Me Papis Tshimpangila Lufuluabo, avocat-conseil du parti; Kalonga Kabongo, conseiller spécial du président et Christian Tshisekedi Tshiminyi, conseiller du président. Si, à juste titre on pouvait estimer que le choix du facilitateur venait d’être acquis, il n’en était en revanche pas le cas en ce qui concerne la mise en place du comité préparatoire. Parallélisme de forme oblige, on comprenait difficilement dans certains cercles de l’UDPS, que le communiqué du 14 avril dépêchant trois délégués auprès du facilitateur -Mavungu, Tshibala et Tshilombo- pour remplacer l’ordre de mission du 7 mars. C’est pourtant l’interprétation qu’en fait Bruno Mavungu en indiquant que sa délégation était le seul canal de transmission de tout engagement liant le parti dans le cadre de la préparation, de l’organisation et de la tenue éventuelle du dialogue, et que «tout autre échange ou contact avant la désignation officielle du facilitateur ne constituait que des échanges informels dont le parti ne se sentait pas lié». Ou l’art d’être plus royaliste que le roi. Pourquoi une telle communication ne s’est-elle pas déroulée dans un cadre interne? Quel bénéfice y avait-il à tirer d’une telle opération, sinon d’humilier, de régler des comptes à des cadres du parti qui se sont souvent sacrifiés pour ce dernier et d’éviter qu’ils aient un son de cloche différent par rapport à des schémas tendant à imposer à l’UDPS, sans doute moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, une identité d’emprunt qui réduirait à néant ses propres ambitions de parti historique et locomotive de l’Opposition politique? Enfin, à quoi pouvait-il bien servir de dépêcher une délégation auprès d’Edem Kodjo si l’objectif était de ridiculiser par la suite ces envoyés spéciaux et, en même temps, le facilitateur lui-même dont on aurait ainsi perdu le temps et gaspillé l’énergie? L’UDPS pouvait évidemment faire mieux. Il n’en reste pas moins que cet étalage de linge sale et ces règlements des comptes en public font désordre, donnant du parti une bien triste image. D’autant qu’ils ne cachent pas, en dépit des sourires de façade, la mésentente cordiale qui existe depuis des lustres entre Mavungu et Tshilombo, ou les tentatives de ce dernier pour ne pas favoriser le rapprochement avec d’autres tendances -Mubake, Mutanda-, dont il estime qu’elles pourraient lui disputer la succession.
Ces millions qui rendent fou…
Quitte à s’allier avec des forces extérieures pour bloquer les rivaux internes, faire main basse sur l’appareil du parti et le vendre au plus offrant? L’hypothèse n’est plus exclue dans plusieurs cercles, où l’on pense que la citadelle imprenable a fini par tomber. Témoin, cette difficulté récurrente à faire revenir l’ordre dans les rangs, à taire la cacophonie, à imposer une indispensable discipline à des cadres soudain déchaînés, comme si chacun avait le sentiment d’y jouer sa dernière carte. Bref, de quoi douter de la capacité de l’UDPS à surmonter ses propres démons et à offrir au pays une alternative crédible. Surtout quand des rumeurs persistantes font état, dans la ville haute, des contacts assidus entre certains cadres de l’UDPS avec Moïse Katumbi. Notamment en Afrique du Sud, récemment, sous le couvert de rencontres avec des hommes d’affaires. De la même manière, on fait état des rendez-vous successifs de Gilbert Kankonde au Palais de la nation. A quel titre et pour quel résultat? Toujours est-il que les fréquentations actuelles de certains cadres de l’UDPS avec l’ex-gouverneur du Katanga dérangent la majorité des cadres qui se demandent si leur parti est en passe d’être vendu au plus offrant. On parle d’une véritable Offre publique d’achat -OPA- qui permettrait à Moïse Katumbi de pousser l’UDPS à renoncer à ses ambitions présidentielles au profit des siennes. Une opération dont on dit qu’elle coûterait des millions, sur lesquels un cadre bien en vue aurait déjà encaissé deux. Selon des informations dignes de foi, ces contacts ont ému jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, où il n’est pas rare qu’on se pose la question de fond: «Ces gens connaissent-ils l’importance réelle de leur parti»? Il reste qu’amplifiée par la suspicion, la méfiance et les ambitions, la guerre n’a pas fini de faire rage dans les coulisses du parti. Rappel de quelques faits. Le 20 avril 2016, un nébuleux «collectif des membres du parti» a écrit à Etienne Tshisekedi pour lui proposer des candidats de l’UDPS au comité préparatoire, expliquant, très sérieusement, que cette initiative visait à éviter les erreurs du passé. Lesquelles? En attendant, on s’interroge sur le silence prolongé d’un des trois secrétaires généraux adjoints ayant fait la pluie et le beau temps lors des contacts préliminaires, Joseph Kapika de son nom, qui semble avoir disparu corps et biens. Sanction ou repli stratégique, on se perd en conjectures tant la communication a difficile à passer. Il en est de même du troisième secrétaire général adjoint, Roger Kikonge, totalement ignoré dans les différents contacts et dont le rôle semble se limitait à celui de simple faire-valoir. Tout cela est évidemment symptomatique des dysfonctionnements qui ont élu domicile au sein de la fille aînée de l’Opposition. A l’exemple de cette lettre ouverte aux organes statutaires et non statutaires du parti et à tous les combattants de l’UDPS. Datée du 8 février 2015, la lettre pose un diagnostic impitoyable des maux dont souffre l’UDPS. «Franchement, écrit Alain Mawanda, si nous ne sommes pas nous-mêmes motivés à apporter le changement dans notre façon de diriger le parti, de nous accepter comme membres d’une même famille, poursuivant le même objectif, à savoir récupérer l’impérium par toute voie de droit et de faire de notre chère patrie un Etat de droit, nous ne serons jamais prêts à affronter les élections ou, mieux, à diriger ce pays». On se souvient aussi de la fronde de plus d’une vingtaine des cadres de l’UDPS extérieure qui n’ont pas hésité à saisir un avocat bruxellois pour réclamer justice. Mais aussi de l’initiative, certes très peu médiatisée, de l’équipe des «Volontaires pour l’Unité» en avril 2015, ou du «Cri d’alarme de la jeunesse de l’UDPS», en octobre 2015, déplorant «le non fonctionnement optimal des organes du parti et l’absence d’une administration doublée du déficit d’un leadership transformationnel et responsable devant conduire avec efficacité le parti, la faible préparation du personnel politique en prévision de l’alternance politique, le déficit de partenariat stratégique avec les alliés politiques, la société civile, les médias, l’administration et la diplomatie, la violation systématique des textes du parti». En février 2016, une note confidentielle au président Etienne Tshisekedi datée de Johannesbourg-Ottawa-Kinshasa et signée Willy Cilengi, Claude Kiringa, Valentin Mubake et Willy Vangu renchérissait en proposant un processus de rectification-réconciliation aux allures d’ultimatum. La liste n’est pas exhaustive. Mais l’UDPS a-t-elle encore les ressources nécessaires pour prétendre toujours au statut de fille aînée de l’Opposition? La réponse, sans doute, lors d’un congrès qui tarde à se mettre en route.
Amba NKUAMBA

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