Politique

Le discours choc de Minaku sur l’évaluation du gouvernement Matata

Ce n’est pas coutumier. Aubin Minaku a déjà prononcé plusieurs discours dans le cadre de ses fonctions de président de l’Assemblée nationale. Mais celui qu’il a lu mardi à la faveur de la rentrée politique est un discours choc. Le speaker s’est illustré en s’exprimant sur des sujets sensibles concernant le gouvernement: la croissance non inclusive, la baisse du niveau des recettes, le déséquilibre dans l’exécution des crédits budgétaires alloués aux institutions, le devoir de reddition des comptes… et le contrôle parlementaire. Une grande première. Des pavés dans la mare… gouvernementale. A la fin de son speech, Minaku a eu droit à une standing-ovation des députés. Signe de temps.  
Discours d’ouverture de la Session ordinaire de septembre 2015 par l’honorable Aubin MinakuNdjalandjoko, Président de l’Assemblée nationale
 
Comme de tradition et conformément aux Articles 115 de la Constitution et 55 de son Règlement intérieur, l’Assemblée nationale ouvre ce mardi 15 septembre 2015 sa deuxième Session ordinaire de l’an 2015.
 
Au nom des membres du bureau, de toute la représentation nationale et au mien propre, j’adresse une cordiale bienvenue à toutes celles et tous ceux qui ont accepté d’honorer l’Assemblée nationale en rehaussant de leur présence la cérémonie d’ouverture de la présente session.
 
Avant de développer mon propos de ce jour, j’invite l’auguste Assemblée nationale ainsi que distingués personnalités conviées à cette audience solennelle à observer une minute de silence en mémoire de notre collègue, l’honorable ShomwaMongera Innocent, qui nous a quittés en date du 12 août 2015.
 
La Session ordinaire qui s’ouvre est essentiellement budgétaire. Dès lors, priorité est accordée à l’examen et au vote du projet de loi de finances de l’exercice 2016, qu’il revient au gouvernement de déposer au bureau de notre Chambre dans le respect des délais requis par la Constitution et les lois de la République.
 
L’examen du projet de loi de finances de l’exercice 2016 va intervenir dans un contexte national caractérisé notamment par des échanges intenses entre acteurs de la classe politique nationale, la poursuite du processus de décentralisation et de mise en place de nouvelles provinces ainsi que les perspectives de la tenue des élections.
 
Par ailleurs, le fléchissement du niveau des recettes publiques dû à la baisse des cours des matières premières dont dépend l’économie RD-congolaise aura certainement un impact sur les principaux indicateurs économiques du pays.
 
Au plan international, cet examen du projet de loi de finances intervient au lendemain de l’adoption, depuis juillet 2015, du Programme d’action d’Addis-Abeba sur le financement du développement durable. A travers ce programme, les Etats affirment leur ferme volonté politique de relever les défis du financement et de créer, à tous les niveaux, les conditions idéales pour un développement durable.
 
Enfin, ledit examen va également coïncider avec la tenue du Sommet des Nations unies consacré à la même problématique pour les quinze prochaines années afin d’accélérer l’élimination de la pauvreté et de la faim et de réaliser le développement durable dans ses trois dimensions, à savoir: la croissance économique pour tous, la protection de l’environnement et l’inclusion sociale.
 
Comme je l’ai déjà souligné, la présente session s’ouvre dans un contexte politique marqué par le Dialogue politique envisagé par Son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, afin de permettre aux fils et filles du pays de pouvoir se parler et de réfléchir ensemble sur des nombreux défis qui nous guettent.
 
Il s’agit entre autre de la nécessité d’avoir un processus électoral apaisé, mais aussi en même temps de préserver les acquis fondamentaux que sont la paix, l’unité, la stabilité et la cohésion nationale.
 
En effet, l’histoire nous renseigne que toutes les fois que notre pays a été confronté à des défis majeurs, la sagesse a toujours commandé le recours aux vertus multiples du dialogue. Dialoguer pour nous RD-Congolais n’est pas une option, c’est plus qu’un devoir républicain et citoyen, c’est une culture! Une culture positive et heureuse qu’il faut encourager aussi bien pour nous que pour les générations à venir.
 
Le dialogue, seul le dialogue entre toutes les composantes de notre société et par des mécanismes particuliers, nous permettra de tenir compte des attentes et appréhensions des uns et des autres, Opposition dans toute sa pluralité, Société civile dans toute sa diversité et Majorité en toutes ses nuances internes.
 
De ce dialogue, nous pourrions, puisque nous sommes tous responsables et soucieux de la République, recadrer tout ce qui peut être recadré pour organiser les élections et alors toutes les élections, de la base au sommet, dans un schéma raisonnable et acceptable.
 
C’est pour cela que je rends un hommage mérité à Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, Son Excellence Joseph Kabila Kabange, pour l’usage constant de cette tradition de dialogue.
 
Avant de revenir sur la loi de finances, permettez-moi de rappeler que la République démocratique du Congo a résolument exprimé son ambition de s’élever au rang de pays émergents à l’horizon 2030.
 
Les efforts réalisés à ce jour en termes de stabilisation du cadre macroéconomique, de mobilisation des investissements impulsés par le secteur privé et de mise en place des infrastructures socioéconomiques de base sont très encourageants sous l’angle de la reconstruction nationale.
 
Cela dit, il importe à présent que la Représentation nationale note que ce tableau, principalement tributaire du secteur minier, tend à occulter les difficultés opérationnelles d’autres secteurs de l’économie réelle qui ne cessent de réduire leurs niveaux d’activités, ce malgré le maintien à 2% du taux directeur de la Banque centrale du Congo et à moins de 1% celui du taux d’inflation.
 
Paradoxalement, au moment où les taux débiteurs des banques se fixent entre 18 et 25% pour l’obtention des crédits à court-terme, la situation n’est toujours pas assez favorable pour une réelle impulsion du secteur productif national dans sa globalité et pour la création effective d’une classe moyenne notamment par redynamisation des petites et moyennes entreprises.
 
A ce propos, il vous souviendra que, lors de son dernier discours sur l’état de la nation, Son Excellence Monsieur le Président de la République avait souligné l’importance pour le gouvernement de veiller à la bonne répartition du fruit de la croissance qui tendait vers deux chiffres, et la nécessité de réduire progressivement l’inadéquation qui existait entre le niveau de la croissance atteint et le revenu moyen annuel par habitant en vue d’une amélioration progressive du vécu quotidien de nos compatriotes.
 
Il en est de même de la mobilisation des recettes dont le niveau de réalisation ne cesse de baisser, au point de mettre en mal la réalisation du budget de l’exercice en cours.
 
Lors de mon allocution d’ouverture de la Session ordinaire de septembre 2014, j’avais attiré l’attention du gouvernement sur les aspects pratiques de l’application de la Taxe sur la valeur ajoutée, pilier de la dernière réforme fiscale, qui donne, à ce jour, l’impression de ne pas encore permettre une mobilisation optimale des recettes publiques au-delà de son niveau actuel, trois ans après sa mise en œuvre.
 
A ce sujet, j’avais exprimé quelques inquiétudes s’agissant notamment:
– du manque de fiabilité des données relatives à la récolte de la TVA;
– du dysfonctionnement du mécanisme «déductibilité-remboursement» de la TVA;
– de l’absence d’un système informatique intégré pour une gestion efficiente de la TVA sur l’ensemble du territoire national comme partout ailleurs;                      
– de la nécessité de diversifier, selon les secteurs, le taux de la TVA au lieu de le maintenir à 16%, au regard de son rendement actuel quasi-stationnaire.
 
Au vu du fléchissement du niveau des recettes publiques dû notamment à la baisse des cours des matières premières de base de notre économie, le gouvernement se devrait d’approfondir les réformes économiques et fiscales en vue de diversifier nos filières d’exportation.
 
Il devrait aussi améliorer les canaux de mobilisation des ressources internes en luttant davantage contre la fraude fiscale et douanière de manière à faire face aux nombreux défis qui nous attendent au cours de l’exercice budgétaire 2016.
 
En effet, outre les efforts de consolidation de la paix et de stabilisation du cadre macroéconomique, la poursuite de la construction des infrastructures socioéconomiques de base nécessaires à l’installation de nouvelles provinces et le parachèvement du processus électoral, nos populations attendent de la Loi de finances de l’exercice 2016 le partage juste et équitable du fruit de la croissance.
 
Pour contribuer à l’amélioration de la gouvernance et de la transparence dans la gestion des finances publiques, la présente session a inscrit parmi ses priorités l’examen et le vote de la loi portant reddition des comptes du pouvoir central pour l’exercice 2014.
Loin d’être une simple formalité, l’examen de ce projet de loi devra être l’occasion pour les honorables députés d’évaluer, conformément à l’article 127 de la Loi n°11/011 du 13 juillet 2011 relative aux finances publiques, la réalité de l’exécution du budget concerné par le gouvernement, de mesurer les écarts éventuels entre les crédits qui avaient été prévus et autorisés, les dépenses effectivement effectuées et les recettes encaissées.
Conformément au prescrit de l’article 87 de la même loi, l’adoption de cette loi de reddition des comptes est un préalable à l’examen et au vote de la Loi de finances de l’exercice 2016.
Si la mémoire ne défaille, nous avons été élus le 28 novembre 2011 et c’est depuis la date du 13 avril 2012 que nous exerçons pleinement comme députés nationaux.
De cette date à ce jour, nous avons adopté quatre budgets respectivement pour les exercices 2012, 2013 2014 et 2015.
A la lumière des observations pertinentes et des appréhensions particulières émanant de plus d’un député, il me semble venu le moment de nous interroger sur le sens réel d’un budget, sur la signification républicaine de notre prérogative consistant à autoriser les dépenses du Trésor public par le gouvernement.
Il me paraît indiqué de nous interroger aussi sur la façon dont nos différentes autorisations ont été exécutées et d’en tirer les conséquences positives et non politiciennes, ayant pour seul objectif l’amélioration de la gouvernance financière dans notre pays.
Voilà pourquoi nous allons, au cours de cette session, mettre un accent sur le rapport de la Commission économique, financière et contrôle budgétaire relativement à l’exécution du budget de l’Etat sur le premier trimestre 2015, ce conformément aux dispositions pertinentes du Règlement intérieur et de la Loi relative aux finances publiques.
Sur un autre registre, votre bureau se permet, à la quatrième année de l’exercice de son mandat, d’attirer aussi votre attention sur l’impérieuse nécessité d’œuvrer pour la mécanisation des enseignants de l’Enseignement primaire et secondaire, professionnel et technique ainsi que du personnel soignant du ministère de la Santé publique.
Il est vrai qu’au crédit des statistiques officielles de 1985, la République disposait de 180.000 enseignants mécanisés et à peine quelques milliers de membres du personnel soignant mécanisés sur l’ensemble du pays. De 2001 à ce jour, la République a mécanisé plus de 300.000 enseignants et presqu’autant de membres personnel soignant. Il s’agit là d’une avancée remarquable!
Cependant, il est difficile de comprendre comment certains enseignants ou membres du personnel soignant ayant plus de dix ans d’exercice demeurent jusqu’à ce jour non payés faute de mécanisation.
On a eu, pour le seul secteur de l’enseignement, plus ou moins 120.000 personnes de plus.
C’est pourquoi je suis d’avis que les députés nationaux devront analyser et approuver le budget en ayant en vue «l’option zéro mécanisé» au sein de l’Enseignement primaire et secondaire, professionnel et technique et de la Santé publique.
Il faut qu’on arrive à payer tous les enseignants et tous les membres du personnel soignant après régulière et parfaite mécanisation.
Une frange de l’opinion et des médias semble s’intéresser à une récente déclaration de la «Troïka» du gouvernement, qui a annoncé une réduction nécessaire de 30% des frais de fonctionnement des institutions de la République. J’aimerais à ce sujet attirer votre attention sur l’impérieuse nécessité de tirer les conclusions objectives face aux contraintes relevées par le gouvernement. Cela va de soi!
Cependant, la participation de chaque institution à la réduction du train de vie se lit plus aisément au moment de l’exécution du budget. Il faudrait, à mon humble avis, qu’il y ait équilibre entre institutions et respect des textes en vigueur.
Et, puisque nous parlons assainissement des finances et contrôle budgétaire, il me revient aussi d’annoncer que la présente session va accorder une attention particulière à l’examen et au vote de la proposition de loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour des comptes.
Notre objectif est d’adapter le cadre juridique de cette institution aux exigences de la Constitution perçues sous l’angle de l’amélioration des mécanismes de contrôle des finances de l’Etat, des provinces, des entités territoriales décentralisées et des organismes publics.
Bien qu’essentiellement budgétaire, la présente session a également inscrit parmi ses priorités la poursuite des réformes législatives initiées dans le cadre de la mise en œuvre du Programme du gouvernement, de certains des engagements pris par lui en vertu de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba ainsi que des recommandations pertinentes formulées lors des assises des Concertations nationales.
Concernant le processus de décentralisation, il vous souviendra que les deux Chambres du Parlement ont, au cours de la Session ordinaire de mars 2015, adopté et transmis au Président de la République, pour promulgation, la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Caisse nationale de péréquation.
Cependant, le Cour constitutionnelle, saisie en application de l’article 124 point 3 de la Constitution, a déclaré certaines dispositions non conformes à ladite Constitution.
Par conséquent, les deux Chambres du Parlement devront au cours de cette session procéder à une nouvelle délibération de cette loi organique.
Figurent aussi parmi les priorités de la présente session, l’examen et le vote du projet de loi portant statut du personnel des établissements publics d’enseignement national.
L’Assemblée nationale pourrait aussi analyser, au cours de cette même session, un texte de loi visant l’amélioration de la législation actuelle sur les adoptions internationales qui ont, au cours de deux dernières années, posé des problèmes sérieux d’ordre administratif.
La République démocratique du Congo fait du secteur privé le moteur de la croissance et poursuit les réformes nécessaires en vue de l’amélioration du climat des affaires.
Aussi, la présente session poursuivra-t-elle l’examen de quelques textes de lois jugés prioritaires pour mettre en œuvre le Traité de l’OHADA et ses actes uniformes.
Il s’agit notamment du projet de loi modifiant et complétant la loi du 05 juillet 2001 portant organisation et fonctionnement  des Tribunaux de commerce et du projet de loi fixant les modalités de mise en application du droit OHADA.
Il en est de même du projet de loi sur l’entreprenariat et de la proposition de loi relative à la sous-traitance.
Dans la même optique de l’amélioration du climat des affaires, j’invite le gouvernement à accorder la diligence voulue au dépôt au Parlement des projets de loi autorisant la ratification des accords pour la promotion et la protection réciproques des investissements conclus respectivement entre la République démocratique du Congo et le Royaume de Belgique, la République de Corée et République d’Afrique du Sud.
En ce qui concerne le contrôle parlementaire, je voudrais ici réaffirmer la détermination de l’Assemblée nationale à poursuivre l’exercice de ses prérogatives constitutionnelles en matière de contrôle du gouvernement, des entreprises et établissements publics et des services publics.
En démocratie, l’exercice du contrôle parlementaire est un devoir, mieux une exigence démocratique. L’on ne peut pas d’un côté avoir l’ambition de participer à la gestion de la respublica  et de l’autre vouloir échapper au devoir sacrosaint de redevabilité envers le peuple, à travers ses représentants.
Par ailleurs, si les initiatives liées au contrôle parlementaire doivent être prises par les honorables députés en toute responsabilité, il est tout autant indiqué que les personnes visées ne puissent pas le considérer comme un acharnement personnel, mais bien au contraire comme une activité normale de tout exercice démocratique.
Concernant les initiatives elles-mêmes, je voudrais réitérer le souhait du bureau de voir les honorables députés les diversifier en utilisant aussi des moyens de contrôle autres que les questions orales avec débat. Je pense ici aux questions d’actualité, aux questions écrites et surtout aux auditions en commissions.
Après avoir pris part aux activités liées à la diplomatie parlementaire, qu’il s’agisse de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie ou de l’Union interparlementaire, qui a organisé tout récemment à New York, du 13 août 2 septembre 2015, la 4ème Conférence mondiale des présidents de Parlement, autour du thème: «Mettre la démocratie au service de la paix et du développement durable: construire un monde tel que le veut le peuple», l’Assemblée nationale entend apporter sa contribution lors de la réunion parlementaire de Paris, qui se teindra en décembre 2015, en marge de la 21ème Conférence des Etats parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
Cette réunion donnera aux parlementaires l’occasion de recueillir des informations de première main sur les principaux enjeux et les grandes orientations de la COP21 et d’échanger des vues sur la suite que les Parlements pourront donner à la Conférence de Paris sur le climat.
Je voudrais conclure en plaçant chacun devant ses responsabilités d’Homme et Femme d’Etat face aux immenses défis qui nous guettent.
Il est de moment où nous devons être capables de tous regarder dans la même direction en ne privilégiant que le seul intérêt supérieur de la nation.
Notre agir politique doit aller dans le sens de garantir aux RD-Congolaises et aux RD-Congolais paix, sécurité, unité, prospérité et démocratie.
Dans un élan citoyen et républicain, chacun de nous devrait donner sa part dans l’effort collectif pour mener notre pays vers un destin de grandeur qu’il mérite.
Aucune stabilité politique n’est à espérer, aucun développement n’est envisageable, aucun progrès social n’est possible si nous ne prenons pas, à notre niveau, en tant qu’élite, la mesure de l’immense responsabilité qui est la nôtre.
C’est ensemble que nous bâtirons un grand Congo et c’est pour cette raison qu’il ne faut jamais tourner le dos à une occasion de dialogue.
Il faut dialoguer, dialoguer et encore dialoguer, sans se lasser. C’est là la clé de notre réussite.
Puisse l’intérêt supérieur de la nation guider nos actions et nos réflexions quitte à bouleverser nos idéologies, nos analyses et nos sensibilités partisanes.
Fructueux travail à chacune et chacun.
Sur ce, je déclare ouverte la Session ordinaire de septembre 2015.
Je vous remercie.         

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