Les RD-Congolais ont à juste titre manifesté leur soulagement samedi 26 septembre à l’arrivée à Kinshasa de l’Airbus 320 de Congo Airways baptisé Laurent Désiré Kabila. Cet aéronef était bloqué, un mois durant, à l’aéroport de Dublin sur décision d’un tribunal irlandais à la suite d’une requête de la société Miminco-LLc. Cette société de droit américain opérant dans le secteur du diamant à Diboko, territoire de Tshikapa, réclame à l’Etat congolais 13 millions de dollars à la suite d’un litige porté devant le CIRDI en juin 2003. La sentence arbitrale du tribunal international était intervenue en novembre 2007 à Paris et la RDC avait commencé à s’exécuter en versant 1.300.000 USD la même année.
Soulagement,certes, mais aussi inquiétude légitime dans le chef des observateurs qui se demandent comment on en est arrivé à ce dénouement, si la République Démocratique du Congo est réellement parvenue à liquider le litige à la base de la saisie de l’aéronef, et donc si, à l’avenir, il n’y aura plus lieu de craindre d’autres actions aussi spectaculaires.
Mensonges d’Etat
Inutile de remuer le couteau dans la plaie en revenant sur l’attitude récente des responsables gouvernementaux. Ces derniers, lorsque l’affaire a rebondi il y a un mois et demi, ont délibérément choisi la voie du mensonge, commençant d’abord par nier l’existence de la créance de Miminco-LLc et choisissant le raccourci d’un complot monté par des prétendus ennemis de la RD-Congo, avant de jeter les dirigeants de la société en pâture à l’opinion. Surtout ceux qui, bien qu’Américains, avaient la particularité d’avoir des origines RD-congolaises.
En dépit du fait que tous ces mensonges d’Etat ont été rattrapés par la vérité simple et sans artifices que le gouvernement lui-même avait fini par admettre dans sa déclaration du 26 août, force est, par ce fait même, de constater qu’en RD-Congo plus qu’ailleurs il ne sert à rien de chasser le naturel dans la mesure où il revient toujours au galop. Cette triste réputation a même été constatée par la presse irlandaise, à l’instar du très sérieux Irish Times daté du 24 septembre. Voici ce qu’écrivait, en substance, le tabloïd irlandais: «Congo claims grounded plane released by High Court. DAA says Airbus A320 still at Dublin Airport with ‘no information on when it’s leaving”.
Et d’ajouter: The Democratic Republic of Congo’s justice minister has said the High Court released an airplane belonging to the country’s new national carrier this week after it was grounded over a debt row with two American investors». Traduction libre:«Le Congo prétend que l’avion cloué au sol a été libéré par la Haute Cour. Le porte-parole de l’aéroport de Dublin explique qu’il n’y a aucune information sur le moment où l’avion allait quitter». DAA says Airbus A320 still at Dublin Airport with ‘no information on when it’s leaving’Ensuite: « le ministre RD-congolais de la Justice a déclaré que la Haute Cour a libéré l’avion appartenant à la nouvelle compagnie aérienne nationale cloué au sol à la suite d’une créance de deux investisseurs américains».
Convocation ou réunion: pour quoi faire?
Rappelons que le principal argument de la délégation RD-congolaise consistait à démontrer, comme le souligne Irish Times, que l’aéronef saisi n’appartenait pas en propre à l’Etat congolais. Pourtant, on le sait aujourd’hui: l’assemblée constitutive de Congo Airways, datée du 1er juin, suspendue aussitôt après son début, ne s’était pas tenue selon les règles de l’OHADA, la liste des actionnaires ne figurait pas dans le procès-verbal et le supposé actionnaire principal ne l’a pas signé. Rappelons aussi que l’assemblée générale du 14 août n’avait débouché sur aucune décision concrète mais avait vu certains actionnaires déposer bizarrement leurs mises avant sa tenue. Enfin, relevons ces conditions pour le moins suspectes dans lesquelles la Rawbank a précipitamment présenté, dans la nuit du 22 septembre, un extrait bancaire destiné à convaincre la Haute Cour irlandaise que les actionnaires avaient en effet libéré leurs parts à hauteur de …10 millions de dollars.
Des sources proches du dossier indiquent, contrairement à la version officielle, que c’est à l’effet d’une part d’apaiser le climat -de la même manière qu’il avait refusé que d’autres créanciers ne viennent se joindre au dossier au risque de l’empoisonner- et d’éviter à Miminco-LLc de devoir, passé le délai fixé par le tribunal, payer les pénalités en maintenant la saisie, que le Dr Ilunga Jean Mukendi a décidé de ne plus demander au juge de garder l’avion dans l’état où il se trouvait.
Force est malheureusement de constater que face à cette main tendue, la réponse des autorités congolaises consiste à investir dans l’intolérance, en lieu et place du sens de l’Etat. Dans bien des commentaires circulant dans les cercles officiels, le Dr Jean Ilunga Mukendi continue en effet d’être présenté comme un comploteur et un ennemi de l’Etat, au seul motif qu’il a l’audace de réclamer sa créance. Le seul droit qui lui est ainsi reconnu est celui de subir l’arrogance des autorités pourtant bien placées pour savoir que leurs actes finiront par avoir des lourdes conséquences dans l’avenir; et que la meilleure attitude à adopter, dans le cas d’espèce, est de se dire que les hommes passent mais que les institutions restent.
En tout état de cause, ces observateurs s’interrogent sur le bénéfice que la RD-Congo tirerait d’une présentation aussi biaisée des faits par ses officiels, ainsi que sur les non-dits de la déclaration du ministre de la Justice, selon laquelle il prenait désormais sur lui de convoquer la prochaine rencontre de négociation entre les deux parties à Kinshasa. Selon les informations en notre possession, Miminco-LLc a évidemment décliné cette offre en faisant valoir, d’une part que Kinshasa n’était pas un lieu neutre. D’autre part, qu’il y avait déjà eu un accord de principe entre les deux parties pour se retrouver dans les quatre semaines suivantes à Dublin.
Miminco-LLc s’interroge du coup sur les véritables raisons de l’arrogance des représentants de l’Etat congolais. Tout en insistant sur le fait que le temps des négociations était révolu avec l’existence d’une sentence arbitrale, la société s’estime fondée à penser que la seule raison à la base des voltefaces de la RD-Congo est le refus délibéré de régler le litige. D’autant qu’à plusieurs reprises dans un passé récent, des rencontres ont été organisées à Bruxelles, apparemment dans le seul but de justifier la sortie des fonds pour des raisons évidentes, justement parce que de toutes les promesses entendues lors de ces rendez-vous, aucune n’a été tenue à ce jour.
Non seulement il y a déjà eu, en plus de la sentence arbitrale, plusieurs autres rounds de négociation auxquels le Dr Jean Ilunga Mukendi a été convié pour rien par le passé, il convient de noter, en plus, que ce dossier avait fait en son temps l’objet des délibérations du Conseil des ministres présidé par le chef de l’Etat lui-même, aboutissant à la position officielle de la RD-Congo de payer la créance, ce qui a été fait en 2007 avec le premier versement. D’où vient donc qu’un dossier traité et approuvé par le Conseil des ministres conduit par le Président de la République en personne -en d’autres termes l’institution habilitée en la matière pour engager l’Etat congolais- soit remis en cause par le gouvernement, qui s’acharne ainsi à détricoter tout ce qui a été fait avant lui, en plus de la sentence arbitrale que la RD-Congo avait déjà commencé à exécuter en 2007?
On rappelle que plusieurs ministres qui se sont, depuis, succédés au portefeuille de la Justice, à commencer par Honorius Kisimba Ngoy de glorieuse mémoire, tous des juristes éminents, ont toujours respecté l’option levée par le Conseil des ministres. Miminco-LLc déclare en outre ne pas comprendre l’acharnement du gouvernement actuel à vouloir organiser un autre round de négociations à Kinshasa après avoir adhéré au principe d’une rencontre à Dublin dans les quatre semaines suivant la libération de l’aéronef. D’autant que rien ne dit que se rendre dans la capitale RD-congolaise serait dans l’intérêt de Miminco-LLc, et qu’aucune circonstance fâcheuse n’y arriverait par exemple à l’intégrité physique du Dr Jean Ilunga Mukendi comme cela vient d’en être le cas avec l’avocat Tshibangu Kalala, dont le tort est d’avoir, lui aussi, réclamé sa créance.
D’autres actions à venir?
Cette question est d’autant plus importante que, peu à près l’arrivée de l’aéronef de Congo Airways à Kinshasa, certains officiels sont allés jusqu’à faire courir le bruit que Miminco a été payée à hauteur de 9 millions de dollars, poussant même les services de l’ambassade américaine à Kinshasa à féliciter les représentants de la société dans la capitale RD-congolaise. Au même moment, soufflant le chaud et le froid, d’autres autorités se sont plutôt investies à faire croire que Miminco se prévalait d’un faux jugement, remettant ainsi, avec une mauvaise foi évidente, toutes les avancées déjà réalisées dans le processus et confirmant Miminco-LLc dans sa conviction que le gouvernement de la RD-Congo ne veut toujours pas régler le litige!
Bref, inviter les dirigeants de Miminco-LLc à Kinshasa alors qu’un rendez-vous a déjà été fixé à Dublin ne constitue pas la meilleure façon de rétablir la confiance. Bien au contraire, ce comportement arrogant et cavalier n’aura pour conséquence que de radicaliser les positions. Faut-il rappeler, à ce propos, que les dirigeants de Miminco n’ont pas besoin d’être physiquement présents pour que l’Etat congolais consente à payer la créance; que par le passé, d’autres actions tendant à faire exécuter la sentence arbitrale ont été menées en France, en Belgique, en Afrique du Sud et aux USA, que la RD-Congo n’a jamais contesté aucune de ces procédures et que d’autres actions similaires sont susceptibles d’être lancées dans un avenir plus ou moins proche?
Nous terminerons cette correspondance avec la réflexion d’un brillant juriste RD-congolais. A savoir que «tout créancier a le droit de se faire payer sur les biens du débiteur au cas où ce dernier refuse de s’exécuter librement. Ce principe est reconnu en droit congolais par la loi régissant les obligations contractuelles. En droit international, les biens d’une entité étatique sont considérés comme biens de l’État. Ces biens peuvent faire l’objet d’une saisie dès lors qu’ils ne sont pas couverts par les immunités et privilèges diplomatiques». Alors, croisons les doigts.
AMBA NKUAMBA
Correspondance particulière
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