Politique

Compromis ou compromission politique: le Csac dans l'oeil du cyclone à la Cenco

Le compromis politique du 31 décembre et les arrangements particuliers en cours de discussion par les politiciens du Centre interdiocésain violent la Constitution, la Loi organique du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de communication, et empiètent sur les prérogatives du Chef de l’Etat
Les supputations autour de l’Accord de la Saint Sylvestre ont, pour un temps, cédé la place au deuil, à la suite du décès du leader charismatique de l’Union pour la démocratie et le progrès social -UDPS-, Etienne TshisekediwaMulumba, le 1er février 2017, à l’Hôpital Sainte Elisabeth de Bruxelles. Le temps des obsèques, les politiques réunis au Centre interdiocésain, reviendront -s’ils ne sont pas encore revenus- pour finaliser l’acte d’engagement sur lesdits accords signés les 31 décembre 2016 -sic. Parmi les grandes lignes de ces accords, six points font l’objet des discussions. Il s’agit de la désignation du Premier ministre, de la taille du gouvernement, de l’attribution des postes ministériels aux composantes et du rôle que la Conférence épiscopale nationale du Congo -CENCO- devra jouer pendant la période de transition.
Sur ces points les pourparlers se poursuivent. Et, les observateurs croient savoir que les «dialogueurs» du Centre interdiocésain vont se surpasser et permettre aux RD-Congolais de contempler la fameuse fumée blanche sortir du haut du siège de la CENCO. Sur le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication -CSAC- et la Commission électorale nationale indépendante -CENI-, les deux autres points des engagements particuliers, ils sont presque tombés d’accord sur la manière de remanier ses institutions. Le présent article est essentiellement consacré au CSAC.

Dans l’Accord du 31 décembre 2017, il est écrit au chapitre IV, point 6, que «Les parties prenantes actent la fin légale du mandat des membres du CSAC. Elles s’accordent sur la désignation dans un délai de quatorze jours, à compter de la signature du présent accord, de ses nouveaux membres dans le respect de l’inclusivité et conformément à la Loi organique portant son organisation et son fonctionnement». Dans les arrangements particuliers qui ont suivi la signature de cet accord, les «dialogueurs» du Centre interdiocésain se contredisent. Tenez, ils donnent cette fois-ci entre 60 et 80 jours aux différents mandants de désigner leurs mandataires et de faire avaliser les listes à l’Assemblée nationale.
Et pourtant, le CSAC est créé par la Constitution du 18 février 2006, en son article 212, à côté de la CENI -article 211- comme deux institutions d’appui à la démocratie voulues indépendantes, autonomes et dotées de la personnalité juridique. La Loi organique n°11/001 du 10 janvier 2011 vient préciser la manière dont cette institution doit être composée, lui confie les attributions précises et donne son mode de fonctionnement.
Provenance claire et distincte des membres du CSAC
Les membres du CSAC, au nombre de quinze, sont investis par Ordonnance du Chef de l’Etat -article 26 de la Loi organique. Ces membres proviennent, selon l’article 24, des mandants suivants: 1 membre par le Président de la République, 2 membres par l’Assemblée nationale, 2 membres par le Sénat, 1 membre par le gouvernement, 1 membre par la Conseil supérieur de la magistrature, 3 membres par les associations des professionnels des médias, à raison d’un membre pour chaque secteur d’activité, à savoir, la radiodiffusion sonore, la télévision, la presse écrite, 1 membre représentant du secteur de la publicité, 1 membre par le Conseil national de l’Ordre des avocats, 1 membre par les associations des parents d’élèves et d’étudiants, légalement constituées, 2 membres par les associations de défense des droits des professionnels des médias, légalement constituées.
Cette désignation tient compte de l’expertise dans le secteur des médias, de la représentation nationale ainsi que de celle de la femme. Et l’article 27 de poursuive: «…Et avant d’entrer en fonction, les membres du Conseil sont présentés à la Nation successivement par l’Assemblée nationale et le Sénat siégeant en séance plénière». Cette loi précise également que les fonctions de membres du Conseil sont incompatibles avec, notamment, toute responsabilité au sein d’un parti politique.
Que veut réellement le compromis politique du 31 décembre 2016 du Centre interdiocésain? Il y a lieu de constater que ce compromis politique viole dangereusement et intentionnellement la Constitution et les Lois de la République, empiète sur les prérogatives du Président de la République et ignore l’Accord du 18 octobre 2016.
Empiètement des prérogatives constitutionnelles du Chef de l’Etat
«Les parties prenantes actent la fin légale du mandat des membres actuels du Conseil supérieur de la l’audiovisuel et de la communication -CSAC. Il s’accorde même un délai de 14 jours pour la désignation de nouveaux membres…». Qui, quand, comment, devrait-on acter la fin du mandat des membres d’une institution constitutionnelle, créée sur base de la Loi organique et dont les membres ont été investis par Ordonnance du Chef de l’Etat? Pour ceux qui ne le savent pas, dans la hiérarchie des textes juridiques, la Loi organique vient juste après la Constitution.
Selon toute vraisemblance et dans le respect du sacrosaint principe de parallélisme des formes et compétences, c’est le Chef de l’Etat, l’autorité qui a investi les membres du Conseil qui doit -prendre acte de- acter la fin de leur mandat. Ce, soit au cours du mandat si un membre tombe dans un cas cité par la Loi, soit à la fin du premier mandat, si un des mandants estime que l’intéressé n’a pas correctement rempli ses obligations. Et cela doit être prouvé par l’Assemblée plénière du CSAC ou par la Justice.
Les membres actuels du CSAC sont investis pour un mandat de quatre ans renouvelable une seule fois. Leur prise de fonction a été faite, conformément à la Loi, après leur présentation à la Nation par les deux chambres du Parlement. Ce fut le 23 et le 24 août 2011.
A l’expiration du mandat d’actuels membres, ça fait aujourd’hui une année et cinq mois, aucune de ces parties, ni moins encore le Chef de l’Etat n’a trouvé à redire sur l’exercice de leurs fonctions.
Renouvellement ou reconduction des membres du CSAC pas clairement définis
Il sied de constater que la procédure du renouvellement du mandat à l’expiration du premier n’a pas été édictée par le législateur. En effet, il n’est pas clairement indiqué de quelle manière le renouvellement ou la reconduction des membres se fera. En outre, aucun évènement majeur n’est venu perturber le mandat des membres actuels, soit par dénonciation d’une partie ou de plusieurs parties. Cela amène à conclure qu’au regard du silence du législateur sur cette question, c’est le principe de la «Tacite reconduction» contraire à la «Reconduction expresse», qui s’applique.
Les membres actuels du CSAC sont en droit de croire que le renouvellement du mandat s’est déjà ainsi fait de plein droit à l’échéance si l’une des parties ne l’a pas dénoncé dans le délai, dans le cas d’espèce, il y a plus d’un an et cinq mois. En droit, ce principe de la tacite reconduction est un mécanisme juridique qui permet le renouvellement automatique d’un mandat à l’issue de son terme sans formalité particulière en l’absence de décision contraire des parties des mandants. C’est un débat entre juristes.
Ce n’est pas aujourd’hui que des politiciens qui se réunissent quelque part dans la ville -qui n’ont ni titre ni qualité- peuvent acter la fin du mandat des membres du CSAC. C’est une violation des prérogatives constitutionnelles du Chef de l’Etat, garant du bon fonctionnement des institutions. C’est comme si on disait au Chef de l’Etat qu’il n’a pas fait son travail.
Tentative de violation de la Loi n°11/001 du 10 janvier 2011
Lorsque le compromis politique du 31 décembre 2016 évoque la notion de l’inclusivité dans la désignation des membres du Conseil, cette notion n’est reprise nulle part dans la Loi organique du CSAC. L’inclusivité est une notion politique, qui désigne la co-gestion de l’Etat, pendant la période pré-électorale et électorale, par tous les regroupements politiques. La Loi organique du CSAC a définitivement mis fin à la présence des acteurs politiques et aux délégués des regroupements ou partis politiques dans l’institution de régulation des médias.
Cette Loi organique du CSAC est une correction des dérives politiciennes qui ont caractérisé le fonctionnement de la Haute autorité des médias -HAM-, qui était composée des délégués des ex-belligérants et des ex-entités signataires de l’Accord de Sun City.
Nous pouvons lire dans le préambule de la Loi organique du CSAC ce qui suit: «Dans une première tentative visant à remédier aux différents maux dont souffre ce secteur, la Haute autorité des médias a été instaurée pendant la période de Transition à la suite du Dialogue inter-congolais. Elle a joué le rôle de la première instance de régulation qui a fonctionné dans notre pays jusqu’à ce jour. Cependant, elle a souffert, dans sa substance, de nombreuses interférences des opérateurs politiques l’empêchant d’accomplir sa mission», parce que les animateurs furent désignés parmi les ex-belligérants et ex-entités.
Expertise des professionnels des médias, de la représentation nationale et de la femme
Dans la désignation des membres du CSAC, la notion qui s’applique naturellement est celle de l’expertise, de la représentation nationale et de la femme, conformément à l’article 24, alinéa 2 qui stipule que: «Cette désignation tient compte de l’expertise dans le secteur des médias, de la représentation nationale ainsi que de celle de la femme».
Ou encore le point 3 de l’article 25 qui ajoute que «nul ne peut être membre du Conseil s’il ne remplit les conditions suivantes… être titulaire d’un diplôme de licence au moins ou d’un diplôme jugé équivalent et justifier d’une expérience d’au moins dix ans dans un domaine pouvant présenter un intérêt pour le Conseil…».
Bien plus, la même loi, en son article 31 concernant les incompatibilités précise que «les fonctions de membres du Conseil sont incompatibles avec, notamment, toute responsabilité au sein d’un parti politique». Lorsqu’on parle de l’inclusivité, allusion est faite à quoi exactement?
Car pour leur désignation, les membres du Conseil proviennent des institutions de la République, des corporations des professionnels de la presse et de la Société civile, conformément à l’article 24 alinéa 1 cité ci-dessus. C’est ainsi que la désignation des animateurs de cette institution est l’affaire des professionnels des médias -lire alinéa 2 de l’article 24.
A ce stade, seule une révision de la Loi organique, et cela nous retourne à l’époque de la HAM pro-Dialogue inter-congolais, qui permettrait de mettre en place une nouvelle procédure, prônant l’inclusivité. C’est en cela que le CSAC est différent de la HAM et de la CENI. Il sied de se poser la question de savoir si, en demandant à la profession de faire avaliser les listes au niveau de l’Assemblée nationale, les politiciens du Centre interdiocésain confondent le CSAC avec le Commission nationale des Droits de l’homme -ils le font par ignorance- ou ils sont dans la logique du fameux Régime spécial. Dans un cas comme dans un autre, cette disposition est contraire à la loi. Elle viole les articles 24, 26 et 27 de la Loi organique du CSAC.
Violation de l’Accord du 18 octobre 2016
Dans l’Accord du 31 décembre 2016, les politiciens qui se réunissent sous les auspices des Evêques au Centre interdiocésain«s’accordent sur la désignation dans un délai de quatorze jours, à compter de la signature du présent accord». C’est comme s’ils donnaient injonction à la presse de procéder au remplacement ou confirmation d’actuels animateurs dans 14 jours -sic. Comme ils se sont faits prendre au piège, ne sachant comment procéder, ils se rebiffent; cette fois dans les arrangements particuliers, ils donnent entre 60 et 80 jours aux différents mandants de désigner leurs mandataires et de faire avaliser les listes à l’Assemblée nationale.
Et pourtant, l’Accord du 18 octobre, dit de la Cité de l’OUA, qui avait bien compris et le travail du CSAC et la manière de désignation de ses membres et la manière dont leurs mandats doivent prendre fin, a levé des options plutôt républicaines. Au point VI, qui concerne la CSAC, les signataires n’ont repris que les attributions du CSAC qui sont: assurer l’égalité d’accès aux médias publics à toutes les parties prenantes, garantir la liberté d’expression, veiller au respect, par les journalistes, y compris les correspondants de la presse étrangère œuvrant en RD-Congo, de la déontologie et de l’éthique de leur métier et sanctionner les médias qui incitent à la haine.
Pourquoi l’ont-ils fait? Est-ce à dire qu’ils ont été corrompus par le CSAC ou instrumentalisés? La réponse est ailleurs. Le CSAC est une institution indépendante et autonome vis-à-vis du pouvoir politique et du pouvoir d’argent. Le mandat de ses membres ne peut dépendre ni des politiciens ni des turbulences ou interférences politiques. Si le CSAC est sous pression parce qu’il doit contenter tel ou tel groupe de politiciens, adieu la démocratie!
Il sied de se demander si le compromis politique de la Saint Sylvestre abroge l’Ordonnance convoquant les négociations de la Cité de l’OUA ou carrément il abroge l’accord en question. Les observateurs pensent que la CENCO a été invitée par le Chef de l’Etat à élargir le consensus autour de cet Accord du 18 octobre 2016 et non à créer de nouveaux problèmes. Il est temps de rectifier le tir.
Léon KITUBU
Correspondance particulière

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