Profitant d’un séjour à Kinshasa, l’ancien conseiller économique du chef de l’Etat a livré ses positions et fait ses suggestions sur la triple crise qui secoue la République Démocratique du Congo
Haut fonctionnaire international à l’Organisation mondiale du commerce -OMC- en charge du desk Asie et Pacifique, professeur des universités, ancien conseiller économique du président de la République, Faustin Luanga Mukela séjourne à Kinshasa. Il a piqué une crise des nerfs après un tour dans deux grands restaurants kinois, quasi vides à cause de la crise, à en croire les tenanciers.
Sa déception a pris de l’ampleur quand il a appris que dans la plupart des provinces, ministres et députés, fonctionnaires et membres des cabinets des gouverneurs accusent plusieurs mois d’arriérés des salaires. Sur son mur Facebook, il n’a pas manqué de déplorer les dégâts causés par la pluie torrentielle qui s’est abattue sur la capitale le mardi 7 février dernier et coupé en deux la RN1 Kinshasa- Matadi, principale voie d’importation et exportation des biens et autres produits à l’ouest de la RD-Congo.
«Une seule pluie et toute la ville a été inondée, paralysée. Kin la belle a cessé de l’être. Tous sous l’eau; tous dans la boue… Et cette fois-ci, c’est sans réserve! La révolution de la modernité ou une décadence en ordre?», a asséné Luanga.
Puis de plaider: «Ailleurs, il existe des clauses de bonnes exécutions de travaux pour un délai minimal de 5 ans. Que ceux qui avaient mal exécuté les travaux de voiries urbaines soient rappelés pour parfaire leur boulot ou qu’ils soient forcés de rembourser. C’est cela aussi la bonne gouvernance».
Le pays va mal et frôle le chaos
Jeudi 9 février 2017, à la faveur d’une interview accordée à AfricaNews, Luanga a donné de la voix, affirmant que la situation vécue dans les restaurants, les arriérés des salaires dans les administrations provinciales, le problème des voiries ou le retour de l’inflation sont les signes que le pays va mal et frôle le chaos avec l’accentuation de la crise sur les fronts politique et social.
Il ne s’agit pas d’un quelconque opportunisme, mais d’une conviction, d’un débat de fond et de vérité qu’a décidé de lancer ce cadre resté égal à lui-même et réputé pour le courage de ses idées. Luanga a demandé «d’arrêter de se taire et de nous laisser gouverner par le silence». Il a dit s’imposer le devoir de réfléchir avec courage. Il est revenu sur la gouvernance pendant les 5 dernières années avant de faire des propositions idoines susceptibles de provoquer un sursaut, convaincu qu’il y a encore de l’eau pure qui sort de la source.
Seules les élections sont susceptibles de mettre fin à la crise de légitimité actuelle
«La gouvernance procède de l’organisation de la Cité. On a eu un leadership et une gouvernance faibles durant les 5 dernières années. Les gens ont préféré le paraitre plutôt que des solutions de fond et durables. Le cadrage macroéconomique de 5 dernières années a lamentablement échoué. On a maquillé les chiffres. On a longtemps dit que l’inflation a été maitrisée au lieu d’avouer qu’on avait comprimé les dépenses», a déploré Luanga, condamnant le galvaudage de tout le travail de refondation abattu avant l’avènement de Matata et la dilapidation des revenus tirés du boom minier, et appelant à rectifier le tir.
Prié d’indiquer ses recettes alors que les finances font cruellement défaut, le haut fonctionnaire international a déclaré que l’argent existe. «Il faut être crédible. Il faut créer les conditions pour convaincre ceux qui ont l’argent de nous le prêter ou de venir chez nous. Il faut créer un partenariat d’intérêt. Aujourd’hui, la RD-Congo n’a aucun partenariat d’intérêt avec aucun de ses 9 voisins et ne partage presque rien avec eux», a-t-il suggéré.
Puis: «Il faut créer de grands projets communs avec le Rwanda, l’Ouganda, le Sud- Soudan, l’Angola, la Zambie ou le Congo afin de créer un vaste marché et des emplois. Les atouts sont les ressources naturelles que nous avons en partage avec tous nos voisins mais que nous n’exploitons pas en commun. Cela aurait l’avantage de minimiser les risques d’éventuelles agressions ou de soutien à des rebellions éventuelles».
Puis encore: «Il faut encourager des partenariats publics-privés pour susciter les investissements. Il faut asseoir un cadre attractif en vue d’élargir l’assiette fiscale, encore trop petite. Il faut encourager les microprojets en amenant les gens de l’informel et vers le formel par le soutien de la micro finance. Il faut aussi réformer l’Administration publique et la Justice pour réguler et contrôler les prix, lutter efficacement contre la fraude et la corruption».
Initiation de grands projets rentables avec des investisseurs ayant pignon sur rue
Luanga a fait remarquer que ces secteurs épinglés s’ajoutent à l’industrialisation de la pêche, la relance de l’élevage, la mécanisation de l’agriculture et aux mines, domaine à partir duquel le gouvernement doit initier de grands projets rentables avec des investisseurs ayant pignon sur rue, respectueux des normes environnementales et des textes légaux, engagés au développement et au bien-être des populations autochtones.
L’ancien conseiller économique du chef de l’Etat a exprimé son regret quant à la gestion du projet Bukangalonzo, où 300 millions de dollars ont été engloutis selon ses informations, alors que, selon lui, on aurait engrangé plus des résultats si l’on avait confié, aux grandes confessions religieuses ou à des coopératives sérieuses, l’initiative des projets de type Bwamanda d’environ 11,5 millions de dollars dans chacune des 26 provinces.
Tout en faisant part de sa douleur et regrettant le vide créé par la mort du président du comité des sages du Rassemblement Etienne Tshisekedi wa Mulumba, «vaillant combattant de la liberté» à qui il a encore rendu un vibrant hommage, Luanga a exhorté la classe politique de la RD-Congo à lever l’option soit d’appliquer le compromis politique issu du dialogue de la Cité de l’Union Africaine, soit de conclure sans atermoiement l’arrangement particulier de l’Accord de la Saint- Sylvestre.
Tout en regrettant l’immobilisme et la lenteur dans la prise de décisions par le leadership du pays, le prof Luanga a rappelé qu’un leader, un chef doit savoir choisir et pouvoir décider.
Un gouvernement ayant les coudées franches
«En temps de crise, la bonne décision serait préférable; la mauvaise décision regrettable et la non décision impardonnable. Quoi qu’il en soit, un leader doit pouvoir choisir et décider. Aujourd’hui, l’idéal, le plus important c’est d’avoir un gouvernement, actuel ou à venir, ayant les coudées franches pour, d’une part, trouver les finances nécessaires à l’organisation des élections et, d’autre part, donner les réponses urgentes à la crise économique et sociale», a-t-il déclaré, croyant dur comme fer qu’un sursaut est possible.
«Je suis d’avis que seules les élections sont susceptibles de mettre fin à la crise de légitimité actuelle, qui va bientôt frapper toutes les institutions issues des joutes électorales de 2006 et 2011, et permettre d’envisager l’avenir avec sérénité. Je suis aussi d’avis que tout demeure possible pour une démocratie apaisée en République Démocratique du Congo. Il suffit de le vouloir, de vouloir le faire et, surtout, de le faire», a-t-il lancé en direction des acteurs politiques.
AKM
5 minutes de lecture