La prochaine guerre mondiale pourrait être celle de la transition écologique. Alors que le monde est frappé de plein fouet par le dérèglement climatique, la RD-Congo est en passe d’être la clé pour la survie de l’humanité. En plus de sa forêt vierge et dense qui est aujourd’hui, avec l’Amazonie, le plus grand poumon vert du globe, ce géant d’Afrique centrale attise également les convoitises de grandes puissances pour son sous-sol, riche en minerais stratégiques indispensables à la transition écologique. Cuivre, Cobalt, Lithium, Zinc…, tout se concentre dans la région du Katanga, au Sud-Est du pays, au point de faire baver les États-Unis et la Chine, les deux superpuissances économiques.
Début décembre, le Président des États-Unis, Joe Biden, a atterri sur le continent noir, une première depuis son arrivée à la Maison blanche en janvier 2021. S’il a choisi l’Angola pour l’une de ses dernières missions alors que son bail au bureau ovale s’achève en janvier prochain, le POTUS avait clairement des visées ailleurs, sur les minerais de la RD-Congo. L’Angola abrite surtout le terminus du Coridor de Lobito, une voie ferrée qui relie la RD-Congo à l’océan Atlantique. Pour les États-Unis, ce couloir, qui existe depuis les années 1930, est un boulevard pour les minerais stratégiques. Lors de son passage à Lobito, Biden a notamment pu assister à l’embarquement d’une cargaison de cuivre produit au Katanga.
Dans la foulée, il a annoncé un financement supplémentaire de plus de 500 millions de dollars pour finaliser ce projet, également soutenu par l’Union européenne et la Banque africaine de développement -BAD-, pour un coût global de 1,6 milliard de dollars américains. Cet intérêt de Washington n’est pas anodin. Lobito est une manière pour le pays de l’oncle Sam de rattraper le retard accumulé face à Pékin dans l’influence sur les minerais venus d’Afrique, en général, et de la RD-Congo, en particulier. Claudio Silva, un analyste politique angolais, se montre cependant sceptique sur la capacité des États-Unis à «rivaliser avec les Chinois, qui sont déjà engagés dans la région depuis des décennies et ont ainsi acquis une énorme avance».
Il a tout de même noté la détermination de Washington à ne pas «laisser les nombreuses et précieuses matières premières de la région aux Chinois sans se battre». Plus globalement, Lobito et ses 1.300 kilomètres de voie ferrée devraient servir aux intérêts du bloc occidental. Ce corridor comprend le port de Lobito, le terminal de Mineiro, l’aéroport de Catumbela et le chemin de fer de Benguela. En RD-Congo, il relie les quatre provinces issues du démembrement de l’ex-Katanga: Tanganyika, Haut-Lomami, Lualaba et Haut-Katanga.
Washington et Pékin, à chacun son corridor
Devenue partenaire incontournable de l’Afrique ces 20 dernières années, la Chine ne compte pas céder si facilement. En Tanzanie, du côté de l’océan Indien, les travaux de rénovation du chemin de fer de Tazara devraient bientôt commencer. L’accord de financement a été conclu lors du Forum sur la coopération sino-africaine en septembre dernier. Ce chemin de fer, long de 1.860 km avec plus de 20 tunnels et des ponts, relie la Tanzanie à la Zambie, avec un terminus non loin de la frontière RD-congolaise.
Officiellement, la Chine a justifié ce financement par le souci de «faire de nouveaux progrès dans la revitalisation du chemin de fer Tanzanie-Zambie, de coopérer pour améliorer le réseau de transport intermodal rail-mer en Afrique de l’Est et de faire de la Tanzanie une zone de démonstration pour l’approfondissement de la coopération sino-africaine de haute qualité dans le cadre de “la Ceinture et la Route”». Mais dans le fond, les visées et les intérêts chinois sont bien plus économiques. Tazara railroad, en exploitation depuis 1976, est en état de désuétude alors qu’il permet d’exporter les minerais à travers l’océan Indien, avec un flux avoisinant un demi-million de tonnes l’an. Plusieurs analystes de la géopolitique mondiale sont d’avis que l’intérêt de la Chine pour ce réseau entre dans la quête d’une volonté de contrôler les sources d’approvisionnement en minerais critiques pour la transition énergétique globale.
Combat des éléphants, herbes piétinées
Dans cette course aux minerais du Katanga, Lobito part avec l’avantage d’être l’itinéraire le plus court pour les exportations. Un facteur déterminant pour les exportateurs qui, en l’utilisant, pourraient réduire les délais de transport de quelques semaines à quelques jours, en plus des facilités logistiques. Actuellement, le cuivre et le cobalt extraits en RD-Congo sont exportés vers le marché mondial via cinq ports, dont quatre se trouvent sur la côte Est, sur l’océan Indien: Durban en Afrique du Sud, Dar-es-Salaam en Tanzanie, Beira au Mozambique et Walvis Bay en Namibie. Le cinquième port, l’unique sur l’océan Atlantique, est Lobito en Angola, alors que la RD-Congo ne dispose pas d’un port en eau profonde, malgré son ouverture à l’Atlantique, à Banana-Muanda.
Si le projet de construction de ce port a été lancé, bon nombre des RD-Congolais voient en Lobito un frein pour le port de Banana. Du haut du perchoir de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe a averti contre toute distraction, car, selon lui, le port de Banana est aussi important que le barrage d’Inga. «Aujourd’hui, notre économie est totalement extravertie. Notre pays est devenu le marché des autres», a-t-il fait remarquer. Le speaker de l’Assemblée nationale s’est montré particulièrement préoccupé de voir toutes les productions du sous-sol RD-congolais transiter par les ports étrangers alors que le pays devrait davantage miser une infrastructure propre. Comme plusieurs autres économistes, Kamerhe a plaidé pour une «intégration économique nationale» qui prend en compte un réseau ferroviaire avec des transbordements au niveau des cours d’eau.
Pour les adeptes de cette thèse nationaliste, Lobito est une «grande perte» alors que la RD-Congo n’a construit aucun kilomètre de rail depuis son indépendance. Des tracés existent cependant, dont un chemin de fer de 1.578 kilomètres entre Lubumbashi et Ilebo, puis 350 kilomètres entre Kinshasa et Matadi. Au moins 1.000 kilomètres manquent à l’appel pour relier les zones minières du Katanga à la zone côtière de Banana, dont 870 allant d’Ilebo à Kinshasa et 170 de Matadi à Banana.
Les défenseurs de ce réseau national estiment ainsi que cette course aux minerais du Katanga, selon la donne actuelle Lobito-Tazara, ne profite pas encore à la RD-Congo mais aux intérêts de grandes puissances alors que Kinshasa perd, selon eux, en termes de taxes et péages notamment. Comme quoi, la bataille des éléphants ne profite jamais aux herbes, naturellement piétinées.
DL